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levée à son tour; quelques poignées de plâtre, cachées sous le pied du pupitre, restent seules aujourd'hui pour la place où fut déposé le cœur de Charles V. En léguant ce précieux dépôt à sa • chère église de Rouen, ce bon roi ne s'attendait pas « à un si cruel outrage. »

Quoique les tombeaux de Maurile, notre 54° archevêque, et de Pierre de Brézé, subsistent encore, que l'un et l'autre soient pleinement en évidence, et que le second se fasse remarquer par la grâce et l'élégance de ses proportions ainsi que par la multitude de ses ornements, les étrangers ne trouvent rien qui leur apprenne des noms dont le premier s'est voilé pendant longtemps sous l'écorce bizarre d'un conte populaire, et dont le second a pu disparaître derrière celui de Guillaume de Flavacour (c'est cependant le nom d'un héros) « Pierre de Brézé »,..... lisons-nous (1), « comtemporain et compagnon d'ar«mes des Dunois et des Sintrailles, se fit remar• quer même à côté de ces preux capitaines. Leur ⚫égal en vaillance, il les surpassa par l'étendue et

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l'agrément de l'esprit ; tous les historiens s'accor⚫dent à vanter son mérite..... Le nom de Pierre de « Brézé est cité avec honneur dans nos annales lors de ⚫ la conquête de la Normandie par Charles VII. Sans parler de ses autres faits d'armes, ce fut lui qui • reçut à composition le château d'Harcourt, Gisors,

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(1) Tombeaux de la cathédrale de Rouen.

ale Chateau-Gaillard. Aussi, lorsque la ville de Rouen ouvrit enfin ses portes au vainqueur des Anglais, en 1449, l'honneur d'y entrer le premier lui fut-il réservé. Charles VII l'en nomma < gouverneur. >> (1)

Comment savoir que les corps de trois seigneurs, Jean Mallet sire de Graville, le sire de Maubué et Doublet, décapités, en 1356, dans le Champ-duPardon et pendus au gibet de la ville, par ordre du roi Jean, à une époque où la justice était un peu trop expéditive, furent inhumés dans la cathédrale, lors de leur réhabilitation par Charles de Navarre? Le voyageur qui s'arrête peut-être dans le collatéral droit, pour donner une larme à la mémoire de trois jeunes hommes injustement exécutés à mort, en 1626, par jugement présidial d'Andely, ne se doute point que sous ses pas se trouvent d'autres cendres, sinon aussi innocentes, du moins plus fameuses que celles de Jacques Turgis, de Robert Tallebot et de Charles Lebrasseur.

Nous désirerions donc qu'on poussât plus loin l'usage des tables commémoratives, et qu'après avoir appris par ce moyen aux voyageurs les principaux faits historiques d'une ville, après avoir mis sous les yeux de ses habitants un résumé de leurs annales, ce grand livre sur lequel chacun d'eux peut

(1) Hâtons-nous de dire que, depuis la lecture de ce mémoire dans une des séances particulières de la société, une inscription a été placée sur le tombeau de Pierre,de Brézé.

méditer, on songeât à populariser l'histoire particulière des monuments. Ainsi on placerait à l'entrée de notre église métropolitaine une inscription conçue à peu près en ces termes :

"L'église cathédrale de Rouen, primatiale de Normandie, reconstruite au commencement du XIIIe siècle sur l'emplace«ment d'un temple précédent, qui avait été consacré par « l'archevêque Maurile, en 1063, et en présence de Guillaume «<le Conquérant.

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«En telles et telles années, tels et tels ducs de Normandie y recurent l'onction ducale.

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Quatre pyramides ont été successivement élevées sur le transept. La première fut renversée par la foudre, en 1117, « sous l'épiscopat de Gesfroi. La seconde fut dévorée par un incendie, en 1514, sous l'épiscopat de Georges d'Amboise second. La troisième, œuvre de Robert Becquet, fut con"sumée par le feu du ciel, en 1822, sous l'épiscopat de " Bernis.

"Une cloche du poids de 18,000 kilogrammes, qui était placée dans la tour de Georges d'Amboise, après avoir re«tenti pendant près de trois siècles, fut fèlée en 1786, lors « du passage du roi Louis XVI à Rouen, puis elle fut détruite "et transformée en canons, en 1794.

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« Cette cathédrale a reçu les cendres de trois rois, de trois princes et princesses, de vingt-quatre cardinaux, archevêqués et évêques.

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Les églises de Saint-Ouen et de Saint-Maclou, le palais de Justice, l'hôtel du Bourgtheroulde, la voûte de la Grosse-Horloge, le besle de la VieilleTour, nous semblent réclamer des inscriptions de ce genre. Est-ce qu'il n'est point urgent de rétablir

celles que le vandalisme à détruites? Qu'on inscrive dans le temple de l'ancienne abbaye bénédictine le nom d'Antoine Bohier, comme on y a mis celui de l'abbé Roussel Marc d'argent. Qu'on en fasse autant pour celui du cardinal Cibo. Ne trouverait-on pas quelque plaisir à lire sur une des murailles de Saint-Ouen les noms de tous ceux qui gouvernèrent la maison conventuelle, depuis Hildevert jusqu'à l'archevêque de Sens, dernier abbé commandataire ; dans la vaste salle des Pas-Perdus, ceux des premiers présidents au parlem ent de Normandie, depuis messire Geoffroi Hébert jusqu'à messire Camus de Pontcarré? Ne trouverait-on pas quelque plaisir à lire aux pieds de la statue de la vierge de Vaucouleurs les vers latins que l'abbé Saas lui avait consacrés, et dont la disparition accuse la fin du XVIIIe siècle et même le nôtre ? Voici ces vers avec la traduction :

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Flammarum victrix, isto rediviva tropheo

« Vitam pro patriâ ponere virgo docet.

Eminet exemplum, succendat pectora, regno
<< Luscitet heroas Neustria det que suos.
"Stemma vides, sculpsit victoria; facta puello

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« Ritè triumphali sunt ibi scripta manu.

Regia virgineo defenditur ense corona,

Lilia virgineo tuta sub ense nitent.

« Cette jeune fille dont la gloire est victorieuse ⚫ des flammes, revit sur ce trophée; elle apprend « à sacrifier sa vie pour sa patrie. Son exemple est

éclatant; qu'il enflamme les coeurs; que la Neus

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«trie fasse naitre des héros dans le royaume, et qu'elle lui donne les siens. Vous voyez sa noble image, la victoire l'a sculptée; les actions de la Pucelle sont écrites ici en beaux caractères et par << une main triomphale. Sa couronne royale est protégée par le glaive d'une jeune fille : les lis bril⚫lent sans aucun danger sous la protection du glaive • d'une jeune fille. »

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Félicitons-nous de ce que les heaux monuments de notre ville ne sont pas au nombre des vieux débris. S'ils n'ont pas, fort heureusement, cette poésie des ruines qu'on admire à Jumiéges et à SaintWandrille, ils ont du moins cette poésie que leur donne le laps des années.

On sait que chaque siècle apposait son cachet sur la plupart des édifices du moyen âge; les caractères des XII, XIII, XIV et XVe siècles, qui s'y rencontrent en même temps, ne forment point de disparate; ils sont tous enfants d'une même famille. Mais il y a plus de trois siècles qu'on aurait dû dire : << Maintenant n'ajoutons plus rien; ne plaçons pas de styles grecs ou romains sous ses voûtes ogivales; à chaque famille son génie; à chaque architecture son caractère. Le mauvais goût a perdu sa cause dans notre siècle, et, si maintenant on veut faire des additions aux édifices construits par nos pères dans les beaux jours de l'architecture, sous l'influence de ces idées qui sourirent aux Robert de Luzarches, aux Ingelramme, aux Eudes de Mon

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