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une traduction qui leur plaît. L'un des monuments les plus authentiques et les plus précieux que l'histoire puisse nous offrir a été tracé sur le marbre; nous voulons parler de ces tables chronologiques trouvées dans l'île de Paros, acquises à la science par les soins généreux de lord Arundel, et maintenant l'un des plus beaux ornements de la bibliothèque de l'université d'Oxford. Avant les Grecs, les habitants du bord du Nil avaient écrit sur la pierre, et l'une de leurs pages est lue maintenant par les savants des bords de la Seine entre le Louvre des rois, l'arc de triomphe et le palais des vieux guerriers.

On a placé avec raison sur certaines routes des bornes ou des poteaux qui apprennent au voyageur à combien de mètres il se trouve d'un point donné. Est-il moins utile de fournir des renseignements à celui qui calcule plus les souvenirs que les distances et de lui dire : Faites halte auprès des ombres illustres de Rollon et de Guillaume le Conquérant? »

En 1823, sous l'administration préfectorale et par ordre de M. le baron de Vanssay, on a jugé convenable d'insérer dans l'Annuaire statistique du département de la Seine-Inférieure, ouvrage qui n'a pas été réimprimé depuis cette époque, un Abrégé chronologique de l'histoire de Normandie, abrégé fort bien fait et rédigé par des hommes très capables. Eh bien! une faible minorité des habitants de Rouen possède l'Annuaire; beaucoup de ceux qui le possèdent l'ouvrent

rarement; quelques lignes gravées sur le marbre auraient été moins longues à rédiger, auraient demandé des frais moindres que les frais d'impression, auraient été lues par des millions de personnes, étu diées scrupuleusement par les moins studieuses, comprises de toutes, retenues par un grand nombre, transcrites et quelquefois transportées fort loin par des étrangers.

Observera-t-on que telles ou telles gens ne feront guère attention à ces documents historiques? Qu'importe après tout, dès lors que l'établissement de semblables choses n'est pas dispendieux, et que les gens de bonne volonté pourront en faire leur profit? Si la nonchalance de quelques visiteurs ne leur permet pas de s'inquiéter le moins du monde de ce qui s'est passé jadis dans les lieux qu'ils explorent, ou s'ils préfèrent s'en rapporter à des cicerone souvent fautifs, qui leur débiteront des fables et leur tairont des choses vraiment intéressantes, ce n'est point un motif suffisant pour négliger un moyen de mnémonique aussi facile. Ou bien alors il vaudrait mieux dire franchement : « Nous faisons peu de cas des

études; nous nous inquiétons peu que les masses sachent ou ne sachent point; assez de quelques « élus dans le sanctuaire de la science, sanctuaire qui n'a pas droit à plus de fréquentation qu'un « autre. »>

Citons à l'appui de ce projet les paroles d'un écrivain très spirituel, M. Ulric Guttinger, dans son

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opuscule intitulé Jumièges. « Ce que j'ai toujours « désiré..... » dit-il, « c'est de n'avoir point de « gros et vieux livres à ouvrir, de dates à vérifier a de faits à contester. Le moindre travail de l'esprit « dans ce genre mène vite à la fatigue, à la préten⚫tion et à la sécheresse..... Voici ce que je voudrais : « trouver à mon arrivée dans ces beaux aspects historiques une table sommaire au front des grands « débris, leurs archives résumées, quelques noms qui disent tout. Vous figurez-vous le soulagement ⚫et la satisfaction du visiteur, assis à notre place vis-à-vis de ces clochers, de ces arceaux, de ces lierres, de ces fleurs de ruines, et lisant sur un beau et spacieux marbre noir et en lettres d'or ces mots Abbaye de Jumiéges. Saint Philibert, attiré « dans ces solitudes, qu'il appelle la terre des gémissements, fonde l'abbaye sur les restes d'un ancien chateau-fort, poste militaire des Romains. Cela eut lieu en 640, sous Clovis II et sainte Bathilde. Austérité, « sainteté, science, etc.... « Qui « donc » poursuit l'auteur, « après avoir lu cette <table en même temps qu'il contemplait les ruines, << n'aura pas une juste et suffisante idée de la grandeur de ces lieux ? Si donc, après ces noms de saints, de papes, de héros, de rois, vous demeurez indifférent, si vous ne vous sentez point l'âme attendrie, élevée, renoncez au culte des ruines et du passé, éloignez-vous de l'abbaye et vivez du présent « et du présent matériel et positif.

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Si l'on veut bien reconnaître l'utilité de ces tables, pourquoi ne pas en faire un usage encore plus fréquent ? Pourquoi ne point en placer aux portes des basiliques et des principaux édifices publics? Avec cette méthode, nous aurions un cours complet d'histoire locale, écrit en caractères durables, et présentant non pas seulement l'ensemble mais aussi les principaux détails. Jadis, sous l'empire d'un autre ordre de choses, les temples se remplisaient de tombeaux; les guerriers revêtus de leurs armures dormaient sur des mausolées somptueux, et quelquefois leur dernier sommeil y était entouré d'un faste qui semblait narguer l'Eternel dans sa demeure; cela nous rappelait quelque peu l'apothéose payenne; mais convenons qu'il y avait bien de la poésie. Remplaçons-la par d'autres choses, cette poésie; évoquons sous ces vieilles voûtes noircies par tant d'années les générations qui s'y sont agenouillées. Que faut-il pour cela ? Quelques lignes, et voilà tout.

Nous possédons dans notre cathédrale les tombeaux des deux cardinaux d'Amboise; de Pierre de Brezé grand sénéchal d'Anjou, de Poitou et de Normandie, mort en 1465, à la bataille de Montlhéry; de son petit-fils Louis de Brézé; de l'archevêque Maurile ; de Rollon et de son fils Guillaume Longue-Épée. C'est bien d'avoir placé à l'entrée du sanctuaire, comme deux sentinelles vigilantes, les noms de l'archevêque Maurile et du cardinal d'Estouteville, et surtout d'avoir mentionné sur le marbre du premier qu'il

fut contemporain de la conquête d'Angleterre. (Hoc pontifice Normanni, Guillelmo duce, Angliâ potiti sunt.) Voilà donc un témoin de cette expédition glorieuse pour les armes normandes : Inclinez-vous, voyageur; il dort depuis plus de sept siècles, à quelques pas des cendres du guerrier législateur et de la victime de Péquigny, à la translation desquelles Maurile avait présidé. (Ossa hic collocata sunt à B. Maurilio, archiepiscopo Rothomagensi.) D'autres inscriptions sont placées dans le pavé du cœur, à la place des tombeaux de Richard Coeur-de-Lion, de son frère Henri, surnommé le jeune, de Jean, duc de Bedfort, régent du royaume de France.

Mais qu'est-ce qui peut apprendre aux visiteurs que Guillaume, fils de la seconde Mathilde et frère de Henri II; que Sybille, femme de Robert-Courteheuze, furent inhumés dans la cathédrale de Rouen; que Charles V, roi de France, qui avait été duc de Normandie et portait une affection toute particulière à cette province et à sa ville capitale, légua son cœur à ce même temple? Le monarque était représenté sur un tombeau que les chanoines avaient continuellement sous les yeux pendant la célébration du service. « C'est en vain, dit M. Deville (1), « qu'on cher«cherait à l'heure qu'il est ce tombeau. Une petite « dalle en marbre noir, portant une inscription << latine..... l'avait remplacé..... l'inscription fut en

(4) Tombeaux de la cathédrale de Rouen.

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