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MOYENS DE POPULARISER

LES CONNAISSANCES HISTORIQUES

PAR M. LÉON DE DURANVILLE.

L'importance de notre histoire provinciale se révèle de plus en plus, et d'une manière tout-à-fait remarquable. Nous voyons paraître en Normandie une multitude d'ouvrages de tous les formats et de tous les styles, les uns rectifiant, à l'aide de documents fournis par la littérature du Nord, des faits accrédités par nos écrivains du XI° siècle (1); d'autres replaçant sur leurs siéges ces magistrats qui, pendant trois siècles, vinrent successivement s'asseoir sur les fleurs de lis (2); d'autres enfin, bagage des

(1) L'Histoire des Expéditions Maritimes des Normands, par M. Depping. L'Histoire de Normandie, par Licquet.

(2) L'Histoire du Parlement et l'Histoire du Privilège Saint · Romain, par M. Floquet.

tiné pour le voyageur, lui révélant ce qui se passait jadis dans nos villes, et jusque dans les moindres lieux. Si l'on veut apprendre aux masses les points les plus importants de l'histoire locale, faut-il se contenter de les consigner dans les livres, ne faut-il pas encore employer d'autres moyens?

Dans l'intérêt des souvenirs, l'auteur de ce mémoire a réclamé des noms historiqnes pour quelques rues de Rouen, et la Société libre d'Émulation a bien voulu s'associer à ses vues, en les transmettant à l'autorité municipale. Leur adoption nous semblerait bonne, mais ce ne serait pas encore assez.

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Depuis plusieurs années» lisons-nous dans un recueil périodique consacré aux questions morales, «sur divers points de la France, des monuments, ⚫des bustes, des statues ont été élevées à la mémoire d'hommes illustres; mais de pareils hommages deviennent très dispendieux, et dès lors ne peu« vent se produire que rarement. La reconnaissance publique, qui est une noble vertu civique, digne « des plus grands encouragements, ne peut donc s'exercer que de loin en loin; mais un moyen bien plus simple se présente pour obvier à ces inconvé« nients.

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Recherchez avec soin les édifices chétifs ou somp• tueux dans lesquels sont nés comme aussi sont décédés les hommes utiles.....; demandez au conseil municipal du lieu de voter l'érection d'une plaque en pierre dure ou en marbre, pour être

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placée avec solennité au-dessus de l'entrée principale de ces maisons avec une inscription rappe⚫lant les noms et les titres principaux à la reconnaissance publique, le jour ou le lieu de leur naissance, ou de leur mort, et vous peuplerez « ainsi vos campagnes de monuments historiques à la portée du peuple, vous écrirez pour lui de « l'histoire pratique, de l'histoire vivante, qui, bien comprise, digérée par lui, ne peut manquer « d'exercer avec le temps l'influence la plus heureuse sur la moralisation. >>

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Félicitons-nous donc de rencontrer dans plusieurs quartiers de notre ville des inscriptions qui distinguent les maisons où naquirent Corneille, Jouvenet, Fontenelle, Boieldieu, Géricault, etc.; « l'exemple • donné par la ville de Rouen » a dit un journal, ⚫ de placer sur les maisons illustrées par la naissance « ou la demeure des personnages célèbres une pla" que commémorative, se propage dans les différentes

villes de la Normandie. Caen, Cherbourg, et tout « récemment Dieppe, ont adopté cette louable déter⚫mination. »

C'est bien; mais ce n'est pas encore assez. M. A. Passy, dans un discours prononcé aux Andelys, le 22 septembre 1844, lors d'une séance publique d'une section de la Société libre de l'Eure, a donné connaissance d'un projet dont l'adoption peut être utile.

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Dans l'une des salles de l'Hôtel-de-Ville du chef

lieu d'arrondissement, dit-il, << on dispose les

murs à recevoir des inscriptions. Sur la façade on « écrit en majuscules dorées ces mots Illustrations « de l'Arrondissement. Au bas de la légende sont dispo«sées des couronnes de bronze, que surmonte une a étoile d'immortalité. Au-dessous des couronnes on « écrit en lettres d'or les noms des personnages cé« lèbres..... Offrir à la reconnaissance et au souvenir « des habitants de chaque arrondissement le nom de a leurs concitoyens qui ont, à quelque époque que • ce soit, illustré leur pays par leur talent ou par ⚫ leurs vertus et leurs belles actions, c'est une pen«sée digne de vous. Ce plan n'est pas une pure a théorie; il vient d'être exécuté dans un chef-lieu « d'arrondissement; il s'exécute dans plusieurs au⚫ tres. Imitez cet exemple,» poursuit M. A Passy, en ravivant le souvenir des hommes célèbres, on honore à la fois leur mémoire, leur famille et « leur cité. L'émulation des jeunes gens s'éveille plus vive. Vous rendez à la fois un hommage au passé, et vous fécondez l'avenir. »

Le plan de M. A. Passy est bon, mais il est circonscrit dans les personnes. C'est bien, ce n'est pas encore assez; il nous faut autre chose qu'un Elysée.

Pourquoi, dans chaque ville qui présente quelques souvenirs, ne point placer sur un obélisque, sur une fontaine, ou bien à l'entrée de l'édifice municipal, une table de bronze ou de marbre contenant en peu de lignes le résumé de ses fastes, les principa

les dates de son histoire? Nous rencontrons dans l'enceinte de nos murs des inscriptions qui apprennent l'origine de certaines constructions; n'aurait-il pas mieux valu en faire autant pour l'origine de la ville même? L'étranger venu de deux cents lieues parmi nous aimerait autant ne pas savoir que la caserne de Martainvillle fut construite sous Louis XVI en 1786, que l'édifice des Consuls remonte au règne de Louis XV et à l'année 1735, que la fontaine de la GrosseHorloge est une œuvre de l'an 1732, du gouvernement de François-Frédéric de Montmorency, duc de Luxembourg, et trouver sur le bronze ou sur le marbre les principales époques de l'histoire locale. Quand il s'éloigne et qu'avant de voir disparaître nos flèches et nos tours, il s'arrête pour leur donner un dernier regard, n'aime-t-il pas mieux arrêter son esprit sur des faits généraux que sur des faits particuliers? On pourrait comparer ceux qui réservent les inscriptions pour des monuments de peu d'importance à ceux qui ne font consister l'histoire qu'en anecdotes; ces derniers se trompent, et sont cause que l'histoire, cette école des rois et des peuples, n'est point abordée, comme elle devrait l'être, avec un grave respect.

L'étranger aurait beau être muni d'excellents itinéraires, avoir même lu fort en détail l'histoire de Rouen et celle de la Normandie toute entière; n'importe, ceux qui lisent sont bien aises que les choses leur soient dites ailleurs que dans des livres, et de trouver

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