Page images
PDF
EPUB

suisse; il se proposait de passer de Genève dans les Pays Bas, afin d'y solliciter des secours pour ses frères, quan Båville le fit surveiller par ses agents et arrêter sur le la dans les eaux qui appartenaient au canton de Berne. L'in fortuné captif fut conduit à Montpellier, où il fut romp vif. 1

Immédiatement après cette exécution parut l'édit d 17 mai 1711 qui, dans le but d'empêcher une nouvel émigration, défendit aux protestants de vendre, penda trois ans, leurs meubles et leurs immeubles, sous pein de confiscation; moins d'un an après (8 mars 1712) par un nouvel édit qui enjoignit aux médecins d'avertir l protestants de se confesser le second jour de toute malad qui pouvait avoir trait à la mort; si le troisième jo malade ne présentait pas un billet de confession, le m decin devait sortir de sa demeure et le laisser sans secours s'il n'obéissait pas, il encourait la première fois un amende de trois cents livres, la seconde, une interdictio de ses fonctions, la troisième il était privé de sa profe sion. Le même jour (18 mars 1712) parut un autre é qui fut le couronnement des deux premiers, il suppos audacieusement qu'il n'y avait plus de protestants France, parce que tous ceux des religionnaires qui vaient pas émigré devaient avoir nécessairement embras le catholicisme, attendu que sans cela on ne les aurait soufferts, ni tolérés dans le royaume. En conséquence cette supposition l'édit portait qu'à partir du jour de promulgation tous ceux qui mourraient sans être munis d sacrements de l'Église seraient réputés relaps, que leu biens seraient confisqués, leurs corps traînés sur la cla et privés de sépulture comme celui des criminels de lès majesté.

VII.

<< Cet édit dit un historien moderne, entraîna des scèn révoltantes. En vertu de la loi, dès qu'un protestant ton bait malade, les prêtres envahissaient sa maison, appo

1. Brueys, t. IV, p. 349.

Court, t. III, p. 303-304. 2. Isambert, Anciennes lois françaises, t. XX, p. 573. 3. Ibid., p. 640.

[ocr errors]

ient le viatique, suivis d'huissiers et de recors, et, au ilieu des parents en larmes, des voisins, curieux ou nemis, fatiguaient de leurs obsessions et de leurs meces des vieillards, des femmes, des jeunes filles. Si le lade repoussait le prêtre, sa famille était ruinée et sa moire publiquement flétrie. Quelquefois, surtout dans Midi, le peuple s'attroupait devant la maison de l'héréle et demandait son corps à grands cris. On amenait la e, aux applaudissements de la foule, on y plaçait le rt nu à peine refroidi, devant les obscènes railleries des stants; puis, après l'avoir traîné dans le ruisseau, ers les rues et les carrefours, pendu par les pieds au et pendant vingt-quatre heures, on le jetait à la voirie. nd l'instruction devait être longue, par une cruelle caution, on faisait embaumer le cadavre, d'autres fois lui donnait une sépulture provisoire, puis on le déterrait, ondamnation rendue, et l'ignoble peine avait son cours. De ce principe, consacré par l'édit, qu'il n'y avait plus protestants en France, on en vint à déduire une consénce plus détournée, mais non moins infâme. Tous ceux n'avaient pas été mariés à l'église cessaient de l'être, comme le mariage civil n'existait pas à cette époque, ur fallut, dès lors, s'unir devant un prêtre, sinon la méconnaissait les liens antérieurs, et pour les rompre, faisait appel au libertinage ou à l'intérêt. En vertu de édit les époux pouvaient demander la nullité de leur riage célébré seulement d'après le rite huguenot et coner à de nouvelles noces. Les protestants demeuraient si comme des parias au milieu de la société française. elques-uns se mariaient à l'église, puis devant le pasr; la plupart s'unirent seulement d'après leur culte qu'au moment où Louis XVI leur accordait enfin un f civil. Ainsi au moment de paraître devant Dieu, alors il prodiguait aux fils de Mme de Montespan issus d'un able et scandaleux adultère les droits et les bienfaits ine naissance légitime, Louis XIV disputait à huit cent lle Français l'honneur de leurs femmes et de leurs enits, et il les forçait à se parjurer publiquement ou à vivre ns le concubinage et à n'enfanter que des bâtards.»>'

1. Ernest Moret, t. III (1711-1712).

VIII.

A tous ces maux s'en ajoutèrent d'autres; le clergé de manda l'application rigoureuse de toutes les lois iniques atroces, ridicules, qui avaient précédé et suivi la révoca tion de l'édit de Nantes, et ne laissa ni trêve ni repos a protestants; aux parents il ravit leurs enfants, les fit r baptiser à l'église catholique et instruire dans une religio qu'ils abhorraient; il leur ferma les frontières de la Fran dans le même temps qu'il leur en rendait le séjour insu portable. La justice instituée pour protéger le faible cont le fort n'exista pas pour eux; quand leur partie advers avait dit devant un tribunal: «Je plaide contre un pro testant,» sa cause était gagnée.1

Le clergé ne s'arrêta pas même devant le sacrilege posa de force ses hosties consacrées sur les lèvres huguenots; les uns les reçurent avec le tremblement l'apostat qui se damne, les autres les rejetèrent avec ho reur dans la crainte de se damner 2; mais peu importa ce que le jésuitisme voulait avant tout, c'était la s mission; à ses yeux elle couvrait le sacrilége. Jamais clergé ne déploya plus de perfidie, de brutalité et de nisme et ne célébra plus bruyamment ses victoires le chant de ses Te Deum.

Atteints dans leurs affections les plus intimes, da leur foi, dans leurs biens, les protestants regrettèrent n'avoir pas suivi l'exemple de ceux qui s'étaient enfuis royaume. L'émigration recommença; la cour s'alarma, le 18 septembre 1713 parut un édit qui renouvela les pre cédents et les compléta en défendant aux nouveaux co vertis de sortir du royaume sans permission; il prononc les galères perpétuelles contre les fugitifs et la peine mort contre ceux qui faciliteraient leur évasion.

L'émigration ne fut pas considérable à cause de ses dif ficultés, et l'on vit alors de pauvres opprimés n'opposer leurs infatigables persécuteurs que leur inertie; ils se lais sèrent conduire à l'église et purent leur faire croire, moment, qu'ils avaient triomphé de leur résistance; mis

1. Claude, Plaintes des protestants, édition de 1713, p. XXXV. 2. Claude, Préface de Basnage.

es nouveaux convertis avaient pour eux cette haine cachée, rofonde, que l'esclave a pour son tyran, et la foi romaine ur était d'autant plus odieuse qu'ils sentaient plus la honte le danger de leur apostasie. A la sortie de l'église cathoque, quand ils rentraient chez eux, ils versaient d'abonntes larmes, retiraient d'une cachette leur vieille Bible la lisaient en famille; parfois un pasteur déguisé, ou ns le costume d'un pèlerin, pénétrait chez eux au péril sa vie, il les consolait, les exhortait, baptisait leurs fants, célébrait leurs mariages, et les aidait à ensevelir rs morts. Quand il osait tenir une assemblée au dét, on s'y rendait le plus souvent la nuit, on prenait le précautions pour n'être pas découvert, mais malr à ceux qui tombaient entre les mains des agents 3 à leur poursuite! Les femmes étaient jetées dans nfectes prisons, et les hommes allaient ramer aux ères, à Cette, à Toulon, à Dunkerque; leur procès struisait et se jugeait dans la même séance. Bâville tait débarrassé du ministère des avocats; à ses yeux, la ense des accusés était inutile, puisque leur crime était ent; aussi sévère, mais moins sentimental que Barrère, nacréon de la guillotine, il avait, comme lui, ses connnations par fournées, suivant le mot de la Terreur; au d'une lettre il disait froidement en post-scriptum : ai condamné ce matin soixante-seize de ces malheuux aux galères. >>

IX.

En traçant ces lignes, nous nous rappelons, involontaiment, les paroles que le Seigneur Jésus adressait à ses sciples au moment de quitter ce monde pour aller s'asoir dans le ciel, à la droite de Dieu, son Père: «Je vous isse, leur disait-il, comme des agneaux parmi des loups, us serez haïs et persécutés à cause de moi, et quiconque ême vous fera mourir, croira être agréable à Dieu.»> ouffrir donc est le douloureux et glorieux rôle de l'Église. Qu'elle est belle! s'écrie un grand orateur, et que redouble est le glaive que le Fils de Dieu lui a mis dans les hains! Mais c'est un glaive spirituel dont les superbes et es incrédules ne ressentent pas le double tranchant. Elle

est fille du Tout-Puissant; mais son Père qui la soutie au dedans, l'abandonne souvent aux persécuteurs; et l'exemple de Jésus-Christ, elle est obligée de crier, da son agonie: Mon Dieu, mon Dieu! pourquoi m'avez-vo délaissée! Son époux est le plus puissant comme le pl beau et le plus parfait de tous les enfants des homme mais elle n'a entendu sa voix agréable, elle n'a joui de douce et désirable présence qu'un moment. Tout à cou il a pris la fuite avec une course rapide, et plus vite qu' faon de biche, il s'est élevé au-dessus des plus hautes mo tagnes. Semblable à une épouse désolée, l'Église n'a f que gémir, et le chant de la tourterelle délaissée est dans bouche. Enfin, elle est étrangère et comme errante sur terre, où elle vient recueillir les enfants de Dieu sousse ailes; et le monde qui s'efforce de les lui ravir, ne ces de traverser son pèlerinage. Mère affligée, elle a souve à se plaindre de ses enfants qui l'oppriment. On ne ces d'entreprendre sur ses droits sacrés. Sa puissance céles est affaiblie, pour ne pas dire tout à fait éteinte. On venge sur elle.»

1

Quelle est cette église dont nous avons sous les yeux beau et l'admirable portrait? L'Église primitive? non. L' glise protestante? non. Quelle est-elle donc? L'Église 1 maine, dont Bossuet se faisait l'éloquent apologiste, moment où, ne respirant que le carnage, elle lâchait, s pitié, ses dragons, ivres de vin et de sang, sur les inf tunés protestants, et se faisait l'infatigable pourvoyeur potences, des galères, des cachots et de l'exil. Qui s'écrierait pas avec un historien moderne: «0 Bossu faut-il que ce soit vous qui disiez cela! Suis-je sur les bo du Nil et n'entends-je pas le crocodile imiter le vagiss ment de l'enfant qu'il a dévoré?» 2

X.

2

Au congrès d'Utrecht, l'illustre Basnage éleva forteme la voix en faveur des victimes, et plaida chaleureuseme leur cause auprès des princes protestants; ils fermère l'oreille et, plus attachés aux intérêts de leur politiq 1. Bossuet, Oraison funèbre de Letellier.

2. Nap. Peyrat, t. Ier, p. 81.

« PreviousContinue »