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avoir une fin tragique. Il vivait retiré en Angleterre où menait une assez grande existence avec son titre de lie tenant-général et son traitement de cinq cents_livre sterling. Quand les Whigs cédèrent le pouvoir aux Torie il vit successivement diminuer sa pension et la conside ration dont il était entouré. Il voulut connaître les caus d'une défaveur qu'il trouvait injuste, mais ses ennemis firent arrêter dans le parc de Saint-James (10 mars 171 et conduire chez le secrétaire d'État Saint-John, dep lord Bolingbroke; devant ce seigneur, Harlay et les de d'Ormond et de Buckingham l'accusèrent d'avoir vo assassiner la reine. La Bourlie ne put retenir son indign tion, et dans un violent accès de colère, il saisit un can et en donna deux coups dans le ventre de Harley. Ormon et Buckingham tirèrent leurs épées, et La Bourlie tomba gné dans son sang. Bientôt après il fut transporté dans prison de Newgate; il se renferma dans un silence abso refusa toute nourriture et tout secours médical; la ga grène se mit à sa blessure, et le 28 mars il termina s orageuse carrière. On voulait, après sa mort, faire procès à son cadavre comme à celui de Cromwell; mal aucune loi ne l'autorisant, on le retira d'une cuve de salée où on le conservait, et on lui donna une place la fosse des criminels.

La Bourlie périt victime d'un stratagème; les minist le sacrifièrent à leur portefeuille, et la reine Anne, n'aimait ni le parti presbytérien, ni les réfugiés protestan qui avaient chassé Jacques II, son père, eut l'air de croi à un attentat contre sa personne et l'abandonna à ennemis. Ainsi se termina la vie du célèbre abbé qui é probablement occupé, dans l'histoire de son temps, l'u des premières places, si les États protestants eussent com pris la hardiesse et le génie de ses conceptions. Cet homm singulier avait du cardinal de Retz, l'esprit inquiet, re muant, mais il l'appliqua à une belle cause. Le célèbre com juteur voulait révolutionner une cour; l'abbé, un royaume le premier ne fut qu'un brillant frondeur; le second, révolutionnaire, mais un révolutionnaire qui voulait not détruire, mais réformer. Le succès en eût fait un gran homme; l'insuccès le condamna au rôle d'aventurier.

LIVRE XLV.

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I.

Louis XIV n'avait en apparence plus de sujets insoumis, Te Deum de son clergé, les inscriptions des monuments vés à sa gloire, tout lui certifiait que l'hérésie était inte et qu'il n'y avait dans son royaume qu'un roi et 'une foi. Mais d'autres ennemis, plus terribles que les nisards, lui faisaient cruellement expier le despotisme il avait exercé sur l'Europe; ces événements qui tienit une si large place dans les annales de la France, ntrent pas dans le cadre dans lequel nous avons dû us renfermer; nous dirons seulement que les affaires Louis XIV étaient désespérées au moment où Villars gagna la célèbre bataille de Denain (1713), qui emcha le démembrement de la France. Un congrès se unit à Utrecht pour poser les conditions de la paix. Les fugiés s'y firent représenter, et des plumes éloquentes, tamment celle de Basnage, plaidèrent énergiquement ir cause. La seule puissance qui eût pu lutter contre nflexibilité de Louis XIV, l'Angleterre, les abandonna; $ États du Nord soutinrent faiblement leurs demandes, le traité d'Utrecht ne fut, pour eux, que la répétition celui de Ryswick.

ans ses

Jurieu, du fond de son exil, suivait avec un puissant térêt la marche des événements. Jusqu'à la fin il prophésa, et toujours, malgré ses cruels mécomptes, confiant calculs, il avait annoncé pour 1715 la chute de antechrist romain et le règne de mille ans, quand, le 1 janvier 1713, la mort vint lui épargner la douleur et la nortification de reconnaître qu'il s'était trompé encore ine fois.

II.

Huit ans auparavant, le fier adversaire de Jurieu, Bos suet, terminait à Meaux sa grande existence; jusqu'à fin, fidèle à lui-même, il ne cessa d'attaquer la réform qu'il eût vaincue, s'il eût été donné à un homme de vaincre. En effet,il déploya contre elle toutes les ressource d'un génie de premier ordre, ayant à son service grande érudition, une dialectique puissante et un art de crire dont il semble avoir emporté le secret dans la tombe En présence de cette majestueuse figure, l'esprit se tr ble, et l'on se demande involontairement comment B suet ne passa pas au protestantisme, si réellement Eglise a fait naufrage dans la foi. Que les Richelie les Mazarin, plus politiques que religieux, soient demeure attachés à Rome, on le comprend; que plus tard, les D bois, les Tencin, les Lavergne de Tressan, les Bernis, Rohan, soient morts revêtus de leur pourpre, on le com prend mieux encore; mais que Bossuet, leur supérieur génie et en moralité, ait vécu catholique et soit mort tholique, après avoir mieux que tous ses devanciers et prédécesseurs, connu la réforme, c'est une énigme. P les esprits sérieux, elle a pourtant sa solution, la voici.

-

Bossuet, dès ses plus jeunes années, avait été fortemes imbu de cette idée, que Jésus-Christ, en montant au cie avait laissé sur la terre une Eglise visible pour le repre senter; or, cette Église était là, devant ses yeux, fond tionnant depuis des siècles, ayant une tête, l'évêque d Rome, un corps, l'épiscopat réuni en concile général Cette Eglise, telle qu'il la voyait, avait ses racines dans plus haute antiquité, et tous les efforts pour la renverser n'avaient fait que lui démontrer son indestructibilité. Trop éclairé pour ne pas reconnaître que des abus s'étaien glissés dans son sein, il croyait à la nécessité d'une ré forme aux jours où Luther, Zwingle, Calvin et Knox éle vèrent la voix pour les signaler; il crut- ce fut son erreurqu'elle se serait mieux accomplie par Rome, qu'en dehors de Rome. Les réformateurs lui apparurent donc comme des novateurs et des Érostrates qui, voulant arracher l'ivraie

i avait poussé dans le champ du Seigneur, en avaient raché le froment. Dès lors, de plus en plus convaincu e l'Église chrétienne est visible, dans un seul corps, le pe réuni au concile général, il nia au protestantisme 1 œuvre régénératrice, et le condamna sans appel. Les enseignements de l'histoire furent perdus pour ce nd esprit; il ne sut pas lire dans les monuments des miers siècles que l'Église, telle qu'il la concevait, n'at jamais existé, et qu'au lieu d'une Eglise mère et maîsse de toutes les autres, il y avait des communautés épendantes les unes des autres, mais reliées entre s par le lien de la charité; il ne comprit pas non plus Rome, d'abord Église particulière, avait, dans l'ordre ituel, fait les mèmes conquêtes que Rome païenne is l'ordre politique, et que ses assises avaient été po$, non par le Saint-Esprit, mais par l'esprit d'orgueil d'ambition; de là, sa chute profonde, et la nécessité r la chrétienté d'être amenée à ce qu'elle était aux rs où elle avait pour conducteurs des apôtres et des rtyrs.

Ce qui contribua à retenir Bossuet dans le romanisme, furent les divisions qui éclatèrent au sein de la réforme; es brisaient, à ses yeux, l'unité, l'un des caractères estiels de la véritable Eglise, aussi il s'en servit avec bileté contre ses adversaires; mais il ne comprit pas ou voulut pas comprendre que la réforme, sous ses appaites diversités, a, dans la sainte Écriture, son fondent, puisque les communions protestantes, tout en férant d'interprétation sur tel ou tel de ses passages, clament qu'elle est la règle infaillible de sa foi; l'illustre ntroversiste ne s'aperçut pas que l'arme qu'il dirigeait ntre la réforme, frappait plus Rome que Genève et Witnberg. En effet, si une Église qui varie dans son enseigneent est hérétique, Rome est une Église hérétique, isqu'elle a varié. Dans l'ardeur de la lutte, Bossuet ne pas qu'il faisait fausse route, et plus qu'il ne le croyait, était homme de parti, et partant, fatalement condamné en porter la peine. Imbu d'un faux principe, il en subit s conséquences, et sacrifia l'histoire à une fausse théoe, la sainte Écriture au pape, Dieu à l'homme, et demeura dans une communion dont les dogmes particuliers

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sont formellement condamnés par les écrivains inspirés de l'Ancien et du Nouveau Testament.1

Jusqu'à présent, on avait cru assez généralement que Bossuet était demeuré étranger aux persécutions qui su virent la révocation de l'édit de Nantes; malheureusemen pour sa gloire, il n'en est rien, et il doit être rangé dan la classe des évêques qui, voulant être agréables au ro déposaient à ses pieds des listes de conversions. Il fa arrêter ceux qui osent résister à ses avertissements pas toraux et demande la confiscation de leurs biens; aux rents, il ravit leurs enfants, et transforme les couvents son diocèse en prison; son prosélytisme brutal inspire terreur, et ceux qui ont le courage de leur conviction, résistent, ou cherchent dans l'émigration le moyen de chapper à ses poursuites. Sa conduite ne nous étonnem lement. Le prélat qui a écrit la Politique tirée de l'Ecrilat sainte, et prononcé l'éloge de Michel Letellier, fut fidèle lui-même. Plaignons-le, mais ne lui en faisons pas crime."

III.

Jusqu'à la dernière heure de sa vie, Bossuet travailla; pour lui comme pour Jurieu, le repos n'était que dans tombe. Les jours de sa vieillesse furent tristes et semés déceptions. Louis XIV semblait parfois l'oublier, et l'ing monarque sur le règne duquel il avait jeté tant d'éclat, dont il avait supporté avec tant d'indulgence les scandi leuses faiblesses, avait refusé de lui donner pour coadja teur, son neveu, l'abbé Bossuet. Ce coup lui fut très-sen sible, et le jeta dans une grande mélancolie; une atteint de la pierre commença à altérer sensiblement sa sante qui dès lors ne fit que décliner, quoique très-lentement et il vit ainsi la vie se retirer de lui. Dans la nuit du 2 3 mars 1704, il ressentit plus vivement les douleurs de la pierre, et sa fièvre fut si forte, que son docteur Tourne fort crut que son dernier jour était arrivé; il triompha la crise, mais elle fut pour lui le messager avant-coureu

1. Abrégé des controverses, par Drelincourt.
2. Bulletin de la Société de l'hist. du protest. franç.

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