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de la hiérarchie, et fut successivement professeur, théo logien, recteur, provincial, écrivain, et, de succès en succès, devint, en 1709, le confesseur de Louis XIV. Son influence sur le vieux monarque fut désastreuse, car, lo de le faire incliner vers les voies de douceur, il le pouss à d'odieux excès, non-seulement contre les protestants mais encore contre les jansénistes qu'il haïssait mortelle ment. Saint-Simon, le rude portraitiste de la cour, a laissé de Letellier, un portrait fait de main de maître un peu forcé, mais ressemblant. « C'était, nous dit-il dan ses mémoires, un esprit dur, entêté, appliqué sans relâche dépourvu de tout autre goût que du triomphe de sa com pagnie et du renversement de toute autre école; ennem de toute dissipation, de toute société, de tout amuseme incapable d'en prendre avec ses propres confrères; i faisait cas d'aucun, que selon la mesure de la conformile de leur passion avec celle qui l'occupait tout entier. tête et sa santé étaient de fer, sa conduite en était aussi son naturel cruel et farouche... Son extérieur ne prome tait rien moins; il eût fait peur au coin d'un bois; sa ph sionomie était ténébreuse, fausse, terrible, ses yeux a dents, méchants, extrêmement de travers; on était frapp en le voyant. >>1

Que pouvaient attendre les protestants de cet homm chargé de la direction de la conscience du roi? Revenon à Abraham.

XVIII.

Le prophète, après la dispersion de sa troupe, gagna Cévennes à travers mille périls, et se dirigea vers Lozère, où il rencontra le fameux Joany. L'intrépide cami sard, après la soumission de Cavalier, avait accepté une lieutenance dans un régiment alors en Espagne. Le souvenir de la terre natale lui ayant donné le mal du pays, il se dirigea, par le Rouergue, vers ses chères Cévennes; il fut arrêté et conduit vers Bâville qu'il sut intéresser à son sort, et au lieu de l'échafaud, auquel il s'attendait, il obtint du terrible proconsul une pension de cent écus et une petite place dans la gabelle d'Agde. Cette vie monotone 1. Saint-Simon, année 1709.

fatigua; il lui préféra la vie de proscrit et se réfugia sur Lozère. C'est là qu'Abraham le rencontra; quelques rs après il tombait, non loin du pont de Montvert, dans le rn, blessé mortellement par des archers de la maréaussée que Bâville avait mis à sa poursuite.

Sa mort fut pleurée par Abraham, qui de la Lozère desdit dans les basses Cévennes et alla rejoindre Clari et ntbonnoux, dans la caverne où ils se cachaient; de là, essayèrent de communiquer leur esprit d'insurrection à eunesse cévenole qui s'enflamma au récit, que lui fit raham, de ses dernières batailles. «Dieu combat pour Is, lui disait le prophète, frère Cavalier débarquera ntôt sur nos côtes, avec la flotte anglo-hollandaise; » et trépide camisard, à la vue de ces cendres qui paraisent éteintes dans le sang huguenot, et de dessous leselles il voyait jaillir de vives étincelles, demandait des cours à d'Arzeliers; mais la mort du marquis, arrivée en rs 1710, retarda les envois.

Abraham, auquel l'inactivité pesait, ordonna aux proètes de parcourir les Cévennes et d'y préparer les hunots à une nouvelle insurrection. Ils obéirent; à leur x des assemblées se formèrent, et Bâville se vit contraint core une fois de lancer toutes les milices royales sur es. Il monta sur son siége de juge, du haut duquel il voya, les uns à la potence, les autres aux galères. Parmi x qui furent faits prisonniers se trouvait un prophète nommé, nommé Salomon Sabatier, capturé le 24 mars 10 dans les murs d'Alais. Plusieurs dames de cette ville, rieuses de le voir et de l'entendre, prièrent Lalande de r accorder ce plaisir. Celui-ci fit venir devant elles le édicant enchaîné: « Prêche! prophète, lui dit-il en ricant, prêche!» Sabatier comprit qu'on voulait le donner en ectacle; mais surmontant son dédain, il dit : « Je suis êt. A l'instant, il prend pour texte de son discours ces roles tirées d'un chapitre d'Ésaïe : « Le bras de l'Éternel 'est point raccourci qu'il ne puisse délivrer son peuple, son oreille n'est point fermée qu'il ne puisse ouïr son émissement. >>

L'orateur commence par déplorer l'état dans lequel de ruelles persécutions ont réduit les Églises, il flétrit en ermes énergiques les bourreaux de ses frères, et ceux de

ses frères qui dans leur lâcheté ont renié leur foi. A cette mâle et rude éloquence, toutes ces dames, anciennes pre testantes probablement, profondément émues, se metten à sangloter sur les ruines de la Jérusalem qu'elles o abandonnée. «Tais-toi, prophète! » lui cria Lalande irrite et il le fit ramener dans son cachot. Quelques jours apr (29 avril), le hardi prédicant était rompu vif à Montpellie

XIX.

D'autres exécutions se préparaient, quand tout à co une flotte anglaise, composée de vingt-six vaisseaux guerre et de plusieurs bâtiments de charge, parut da les eaux de Cette et jeta l'alarme dans Montpellier; Bavie lui jeta, en défi, les têtes de deux religionnaires qu sommet de leur échafaud, dressé sur la place du Peyrou purent voir, en mourant, les voiles libératrices et les s luer, comme un gage d'espérance pour la cause à laquel ils avaient sacrifié joyeusement leur vie.*

Roquelaure demanda du secours au duc de Noailles qui commandait en Roussillon, et se porta vers Cette ave toutes les troupes qu'il put réunir, afin de s'opposer débarquement des ennemis. Saissan, qui commandait troupes anglaises, sous les ordres du commodore Non était un Français qui, croyant avoir à se plaindre de la co de France, avait offert son épée à l'étranger. Sa missi n'était pas de venir porter des secours aux camisards mais de dégarnir le Roussillon de troupes en attira Noailles sur les plages de Cette, pendant que l'archid Charles se préparerait à attaquer Philippe son concurrent la ruse réussit, Saissan opéra sa descente, s'empara d Cette et d'Agde, occupa Bâville, Roquelaure et Noailles pendant que l'archiduc Charles battait le roi Philippe i Saragosse et l'aurait chassé de son trône sans Vendome qui le défit à Villaviciosa. Quand Saissan eut accompli sa mission, il abandonna Cette et Agde et se rembarqua, laissant les Cévenols plongés dans la plus grande conster

nation.

1. Nap. Peyrat, t. II, p. 364. 2. Brueys, t. IV. p. 307. Archives de la guerre.

Court, t. III, p. 273.
Court, t. III, p. 275 et suiv.-

XX.

Un peu avant cette époque un aventurier dauphinois, mmé Riffier, renouvelait les alarmes de Bâville. Il était fils in procureur de Die, et avait servi comme capitaine dans régiment de réfugiés. A la paix de Ryswick il rentra en ince où il prit en 1702 du service; bientôt après il déta et se fit pirate sur le lac Léman; expulsé à la requête l'ambassadeur français, il se retira en Angleterre où il lord Godolphin la proposition de soulever le Dauphiné. ministre anglais le recommanda à Amédée, duc de Sa, qui lui promit la coopération de son armée dès qu'il ait tout disposé pour l'insurrection. Riffier s'associa lques-uns de ses parents, aussi fourbes que lui, faqua de fausses lettres, et fit tomber dans ses filets Godolphin et le grand-pensionnaire Heinsius, dont il ra de fortes sommes; puis il proposa, par l'intermére de l'évêque de Die, à Bâville de lui vendre son set. L'intendant et Berwick se laissèrent prendre au ge, Riffier avait désigné le 10 août 1710, pour le jour devait éclater la conjuration, et indiqué la maison d'un san catholique du hameau de Passius où devait se troule dépôt d'armes; Riffier les y avait fait déposer à su de ce malheureux pendant que Victor-Amédée se tait vers Embrun et Berwick vers Passius. Le traître et complices se partagèrent l'or de Bâville et des alliés. tendant ne voulut pas paraître dupe. Il rattacha la cente de la flotte anglaise et les mouvements de l'are savoisienne à la conjuration dauphinoise, et se donna › fois de plus la gloire d'être le sauveur du Midi.'

XXI.

Pendant que l'intendant courait après un fantôme dans Dauphiné, des Cévenols et des Vivaraisiens osaient diter encore des soulèvements, et rêver, après tant checs, le rétablissement de l'édit de Nantes. Dans leur te contre l'impossible, ils nous donnent la mesure du ix qu'ils attachaient à la liberté de conscience; jugeant 1. Nap. Peyrat, t. II, p. 372. - Court, t. III, p. 287 et suiv.

de leurs coreligionnaires par eux-mêmes, ils croyaien pouvoir les faire soulever en leur montrant les étrange prêts à voler à leur secours. L'âme de cette nouvelle co juration était Abraham qui était aidé par Clari et un nom Chambon, riche Vivaraisien, considéré et très-zélé pour foi. Ils purent, malgré les souvenirs sanglants du pass préparer les esprits à un soulèvement; mais au moment ils allaient pousser leur cri de guerre, ils furent trahis Saussine, l'un de leurs confidents. Abraham et Clari fure investis, le 17 octobre 1710, par une compagnie de Miq lets dans une maison de campagne appelée le Mas-de-C teau à quelques minutes d'Uzès. Ils se défendirent vailla ment, Abraham et Coste furent tués sur le toit d'o faisaient un feu très-vif sur les assaillants. Clari fut bless et arrêté au moment où, un pistolet à la main, il sand d'une fenêtre. Bâville fit juger les prisonniers; Clari rompu vif à Montpellier; il s'étendit, sur la roue en misard, Chambon subit le même supplice. Quelques jo après, la tête d'Abraham fut portée à Vernoux, le siége ses exploits; elle y fut exposée et brûlée publiquemen Avec lui périt le dernier des fondateurs de l'insurrect cévenole; moins connu dans les souvenirs du peuple Cévennes et du Vivarais que Cavalier et Roland, il occ cependant dans l'histoire une place distinguée. En én gie, en audace, en volonté, en persistance, il ne le cède personne. Dans son orageuse carrière, le prophète ne dément jamais; il est toujours à la hauteur de lui-mêm ni la défection de Cavalier, ni la mort de Roland, ni ce de ses frères qui tombent sur les champs de bataille, expirent sur la roue, ne peuvent ébranler sa constance; va en avant, rêvant toujours la liberté de conscience,) lui sacrifiant repos, biens, vie, et quand la mort le su prend, c'est les armes à la main. Abraham demeurera dat Î'histoire comme le type le plus parfait du prophète céve nol fanatique, indomptable, sauvage, mais grand.

XXII.

La terrible guerre des camisards était terminée: calme profond succéda à l'une des plus étonnantes sures 1. Court, t. III, p. 301. Brueys, t. IV, p. 346.

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