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despotisme à l'égard des protestants; brisés par les luttes du passé, avides de repos, moins attachés aux fortes croyances de leurs pères, ils n'aspiraient qu'à une obscure, et, d'ailleurs, nul eût été l'empire qu'ils auraie pu avoir sur les âmes au moment où Napoléon remplissa le monde du bruit de ses conquêtes et de ses victoires, le forçait à ne s'occuper que de lui. Aussi les lignes su vantes de Samuel Vincent résument l'histoire du protestantisme sous son règne: «Les prédicateurs prêchaient, e peuple les écoutait; les consistoires s'assemblaient; le culte conservait ses formes. Hors de là, personne ne s'en occupait, et la religion était en dehors de la vie de tous Cela dura longtemps. >>1

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Le calme le plus profond régna au sein du protesta tisme, qui acceptait avec reconnaissance ce que lui o troyait la munificence du maître. Il vit avec joie le transport du séminaire de Lausanne à Genève; ne suffisant pas aux besoins des Églises, une faculté de théologie protes tante fut fondée à Montauban (1808-1810). «C'est ains. dit M. de Félice, que la chaîne des souvenirs fut rence pour l'une des plus anciennes et des plus célèbres mère poles de la Réforme française. Montauban, ajoute l'em nent professeur, avait perdu son académie théologique e 1661 par les intrigues des jésuites; Napoléon la lui rendit. Les hommes passent, les persécutions finissent; mais les institutions nécessaires à l'intelligence et à la conscience humaine ne tombent que pour se relever. »2

XXVII.

Les protestants n'étaient pas seuls sous le joug: la main de fer qui les y ployait pesait durement sur les catholiques leurs évêques n'osèrent pas demander à Napoléon ce que leurs prédécesseurs avaient demandé si souvent et avec tan de succès à Louis XIV. Ils gardaient le silence et subissaient ce qu'ils ne pouvaient empêcher. Des projets de réunion entre les deux cultes eurent lieu. Cependant, et comme toujours, ils échouèrent et sans bruit. Le gouvernement n'

1. Vues sur le protestantisme en France, t. II, p. 2. De Félice, Histoire des protestants, p. 596.

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fit pas ou ne voulut pas y faire attention; ses préoccupations étaient ailleurs; quand il avait ses armées sur le Rhin ou aux frontières d'Espagne, il avait à penser à d'autres choses qu'à des questions d'Église. Reléguée à l'arrièreplan des grands événements politiques et militaires du moment, la religion ne pouvait être que ce qu'elle fut: l'une des dernières choses dont on s'occupa; aussi protestants et catholiques subirent l'influence délétère de Voltaire les premiers perdirent peu à peu leur ancienne ferveur; les seconds semblèrent oublier leur esprit persécuteur; ils vivaient en paix à côté les uns des autres, lorsque Napoléon, ne pouvant plus lutter contre l'Europe tout entière, signa son acte d'abdication et partit pour l'île d'Elbe.

Sa chute fut saluée par les acclamations de la France tout entière; il l'avait saignée à blanc en lui demandant son dernier homme et son dernier écu. On oublia ses conquêtes, on foula aux pieds sa gloire, et après tant de guerres sanglantes, on n'eut d'élan que pour se livrer aux douceurs de la paix.

Les protestants ne songèrent pas, au retour des Bourbons, à former un parti politique; mais ils ne furent pas ingrats et ne jetèrent pas la pierre au monarque tombé. Ils ne s'affligèrent pas cependant du retour des Bourbons, tant ils étaient fatigués de ces grandes guerres qui les ruinaient, et de ces champs de bataille où leurs fils étaient décimés. Le nouveau roi, Louis XVIII, d'ailleurs, ne changeait rien à leur état civil, politique et religieux. Il le confirmait même dans la Charte qu'il avait octroyée et dans laquelle il disait «que la religion catholique, apostolique et romaine était la religion de l'État. »

XXVIII.

Avec la loi de germinal, l'histoire ancienne du protestantisme français se termine et la moderne commence. L'écrirons-nous? Non, le moment de le faire n'est pas venu, car trop de passions sont encore en jeu, et il est bien difficile d'être juge quand on se trouve soi-même engagé dans la lutte. Ce qui nous arrête, c'est moins la crainte d'être injuste envers nos adversaires religieux que

d'être trop sévère à l'égard de ceux qui partagent nos convictions. Fidèle à la loi que nous nous sommes imposée. de ne voir dans l'histoire que ce que les faits nous y montré, nous craindrions, à force d'impartialité ou de fiance de nos propres sentiments, d'être, ou trop sévi pour les uns, ou trop indulgent pour les autres; ce qu nous a été possible avec les morts, est trop périlleu avec les vivants; car nous n'admettons pas l'histoire impar tiale, en ce sens que celui qui l'écrit met sa gloire à n'être ni pour le roi, ni pour la Ligue; or, nul n'est historien. dans le vrai sens du mot, s'il n'est pas juge et juge partial mais partial pour la vérité, passionné pour elle, dans quelque camp qu'il la trouve; nous le répétons, ce qui est possible avec les morts est trop périlleux avec vivants; aussi quoique, à défaut d'autres mérites, not revendiquions celui de l'impartialité, nous déclinons hum blement notre compétence, résolu à éviter l'écueil sur lequel quelques-uns des mieux intentionnés se sont échoués. Aujourd'hui c'est le jour des mémoires, des souvenirs. des écrits plus ou moins marqués au coin de l'esprite parti; demain ce sera celui de l'histoire, parce que main les hommes qui ont occupé la première place les événements contemporains ne seront plus, et que les luttes douloureuses dans lesquelles nous sommes engages auront abouti à leurs résultats définitifs. L'historien pourra alors juger de haut les hommes et les choses et départir à chacun sa part d'éloges et de blâme. Celui qui entrepren dra cette délicate tâche, ne pourra la mener à bonne fin, eût-il une intelligence de premier ordre, s'il n'est pas chrétien, dans toute l'acception historique du mot. Il de crira l'extérieur du temple, l'intérieur lui sera fermé; il verra les faits, les causes lui échapperont; de là des jugements erronés, des physionomies bien dessinées, mais sans ressemblance; pour comprendre Luther et Calvin, i faut avoir la foi de Luther et de Calvin.

Une histoire ne devient populaire qu'à la condition que celui qui l'écrit lui imprime le cachet de sa personnalité, en d'autres termes, il faut que l'écrivain disparaisse sous l'homme et que cet homme ait vécu de la vie de ceux qu'il met en scène, aimant, haïssant, approuvant, c damnant, jouissant, souffrant; à défaut d'autres mérites

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notre travail a celui-là, car nous nous sommes tellement pénétré des événements que nous avons racontés, que nous sommes devenu comme leur contemporain, nous avons admiré les uns, flétri les autres, aimant Platon, mais jamais sciemment, immolant Platon sur l'autel de la vérité; aussi notre conscience nous rend ce bon témoignage que nous n'avons jamais jeté un manteau sur les épaules du protestantisme dans ses jours d'ivresse, et que nous avons été toujours heureux quand nous avons pu rendre justice à nos adversaires. Si l'occasion ne s'est pas souvent présentée, ce n'est pas à notre bonne volonté qu'il faut l'imputer, mais à notre devoir d'historien.

XXIX.

Notre tâche touche à sa fin et instinctivement nous portons nos regards sur ces deux adversaires qui, après trois siècles de luttes, sont debout en présence l'un de l'autre, et destinés par le génie de leur nature à ne jamais signer la paix, qui est la fin naturelle des guerres. Que leur réserve l'avenir? Telle est la question difficile et délicate que nous posons, en essayant, sans prétendre au rôle de prophète, de dire, de ce qui est aujourd'hui, ce qui pourrait être demain.

Le catholicisme tel que les siècles l'ont fait ne peut être que ce qu'il est tout changement qui modifierait sa nature lui est interdit, car le jour où il proclama son infaillibilité il s'emprisonna dans un cercle de fer d'où il ne peut sortir sans cesser d'être lui; il faut donc qu'il soit ce qu'il est ou qu'il ne soit pas. Or, tel qu'il est il n'est plus qu'une grande organisation ecclésiastique qui fonctionne comme la vieille machine de Marly; là où il faudrait la locomotive moderne il n'y a plus que le char pesant du moyen âge; et quand il devrait, pour accomplir sa mission, remorquer son siècle qu'il maudit, c'est son siècle qui le raille, qui le remorque. S'il est encore debout, ce n'est pas à cause des racines qu'il a dans la conscience de ses fidèles, mais dans son propre poids. Stat mole sud : tel qu'il est, il ne manque ni de grandeur, ni de majesté; et pendant que les révolutions se succèdent presque périodiquement, que des trônes croulent, que des dynasties s'é

teignent ou végètent dans l'exil, que des contrées perdent leurs nationalités, il est lui, toujours lui, comme le rocher avec sa tête de granit au milieu des vagues aussi furieuss qu'impuissantes; il n'est donc pas étonnant qu'il croie lumême à son éternité; s'il avait dû sombrer en France, 93 n'aurait-il pas été son tombeau ? Ce que deux grandes révolutions n'ont pu faire au seizième et au dix-huitième siècle, d'autres le feront-elles? Il se rassure donc pendant qu'à son insu il travaille de ses propres mains à s ruine, creusant et élargissant l'abîme d'incrédulité vers lequel la France s'avance comme l'oiseau fasciné vers l gueule du serpent. Le flot impur qui descend des classes élevées vers les classes inférieures, étouffera dans un avenir prochain le peu de vie qui se cache sous la superstition, et Rome ne régnera que sur des ruines; mais ce qui devrait la détruire, la consolidera momentanément, car l'incrédulité, sous quelque nom qu'elle se présente, est impuissante pour fonder un culte; elle subira donc le joug de l'Église dont elle a rejeté les croyances, et da tant plus facilement que cette Église se verra dépouille de ce qui, au moyen âge, fit sa force et son prestige. ira à la messe sans croire à la messe, et le prêtre ne ser plus qu'un officier religieux salarié par l'État, chargé de baptiser, de marier, d'enterrer. Rome catholique aura, comme Rome païenne, son bas-empire. Nous paraissons sévère et nous ne sommes que juste. En effet, Rome, sans se détruire de ses propres mains, ne peut ouvrir à ses fidèles les vraies sources de la vie religieuse, qui ne se trouvent que dans les saintes Écritures; son passé comme son instinct de conservation le lui interdisent, car le jour où elle mettrait dans leurs mains le code sacré, elle leur confierait l'arme avec laquelle les réformateurs l'ont frappée au seizième siècle; elle est donc condamnée à demeu rer ce qu'elle est; mais ce qui, pour le moment, fait toute sa force, sera dans l'avenir son châtiment. Elle tombera non pas lentement, mais tout à coup, car il suffira du de placement d'une seule pièce pour entraîner la ruine de l'édifice tout entier; et cela, parce qu'elle s'est mise dans l'impossibilité absolue de réformer un seul de ces dogmes tridentins qu'elle ordonne à ses fidèles de croire sous

peine d'anathème. N'est-il pas de toute évidence que le

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