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Deum des catholiques, et les catholiques, à leur tour, assistaient aussi aux chants d'actions de grâces des pro

testants. >>

Cette bonne harmonie cessa le jour1 où l'Assemblé constituante décréta la vente des biens du clergé; elle avait touché à l'arche sainte. Aussi les prêtres et les moines s'efforcèrent de persuader aux populations ignerantes qu'on voulait détruire la religion et persécuter les catholiques. Dans le Nord elles se montrèrent assez indifférentes; mais dans le Midi elles se ruèrent sur les pretestants qu'elles accusèrent, sur les assertions calomnieuses du clergé, d'être la cause d'une mesure à laquelle ils étaient complétement étrangers. On les traita comme les païens traitaient les chrétiens lorsqu'un grand malheur fondait sur eux.

Cette aveugle disposition des masses fut habilement exploitée par des prêtres et des nobles qui, tout en n'ayan en apparence d'autre but que de tomber sur les protestants, se proposaient de préparer une contre-révolution et de marcher sur Paris pour ressaisir leurs anciennes prérogatives.

Un nommé François Froment, plus tard secrétaire du cabinet particulier de Louis XVIII, était l'âme de ce complot; il l'a avoué lui-même, dans une brochure, publiée au mois d'octobre 1815, dans laquelle il raconte tout avec une naïveté cynique, appuyant son récit de pièces officielles: «Je me rendis secrètement, dit-il, à Turin auprès des princes français pour solliciter leur approbation et leur appui. Dans un conseil, qui fut tenu à mon arrivée (janvier 1790), je leur démontrai que s'ils voulaient armer les partisans de l'autel et du trône et faire marcher de pair les intérêts de la religion avec ceux de la royauté, il seral aisé de sauver l'un et l'autre. Alors, comme à présent. j'étais convaincu de cette vérité qu'on ne peut étouffer une forte passion que par une plus forte encore, et que le zèle religieux pouvait seul étouffer le délire républicain.) Le projet de cet aventurier fut facilement adopté par les émigrés, qui lui donnèrent de l'argent et le chargèrent 1. 2 novembre 1789.

2. Elle est intitulée : Précis de mes opérations pour la défense de la religion et de la royauté pendant le cours de la révolution.

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l'organiser dans le Midi un parti dont il aurait eu le commandement; il revint en France, s'aboucha avec des nobles t des prêtres, et bientôt après parurent les pamphlets caomnieux qui réveillèrent les passions religieuses, un monent assoupies, et dans un seul jour, la France recula de rente ans en arrière. C'était la Ligue qui relevait sa tête ideuse, et déjà elle avait, pour l'aider, des compagnies e volontaires recrutés, comme les Cadets de la Croix, dans es bas-fonds de la société. Comme leurs devanciers, ils ortaient une croix blanche en guise de cocarde et répanaient partout la terreur et l'effroi avec leurs cris mille ois répétés de Vive la croix! Vive le roi! A bas la nation! Iontauban fut le premier frappé. Le 10 mai 1790, jour es Rogations, que le conseil municipal avait choisi pour isiter les couvents qui devaient être supprimés, le sang oula: six dragons, dont cinq étaient protestants et un caholique, furent assassinés, et pendant quelques jours, la erreur blanche régna dans la ville. Nimes vit aussi un noment se renouveler les tristes et sanglantes scènes du assé les 13 et 16 juin il eut sa bagarre1; les catholiques e ruèrent sur les protestants; ceux-ci, ne voulant pas se aisser massacrer sans défense, opposèrent une vive réistance. Pendant la lutte, des négociations s'ouvrirent our faire cesser l'effusion de sang; mais un coup de fusil, parti d'un couvent, les interrompit et le combat recomnença; des catholiques gagnés au parti de la Révolution accoururent au secours des protestants; on ne se battait as, on s'égorgeait. Après le combat, on trouva dans les ues cent trente-quatre cadavres, appartenant aux deux artis. On put cependant se convaincre que les temps, nalgré le voile de deuil étendu sur la ville, étaient changés; car on vit des prêtres des villages environnants accourir, à la tête des gardes nationales de leurs communes, pour séparer les combattants et rétablir la paix et la concorde entre les deux sectes.*

Les catholiques accusèrent les protestants d'être les agresseurs; mais l'Assemblée constituante les lava publiquement de ce reproche. «Ils ont été, dit le représentant 1. C'est sous ce nom que s'est perpétué dans Nimes le souvenir de ces tristes journées.

2. De Félice, Histoire des protestants, p. 569.

Alquier, en butte à la haine d'un parti, aussitôt qu'u parti s'est formé contre la Constitution, à l'époque de ves premiers décrets sur les biens du clergé; et, devent: l'objet d'un vil ramas de calomnies, artificieusement pr tiquées contre eux pour exciter des troubles et faire éch ter une contre-révolution, ils n'ont eu d'autres ennems que les ennemis de la Révolution même.»>

Marseille, Montpellier, Bordeaux, Toulouse n'imitère pas l'exemple de Nîmes et de Montauban, et le Midi is ainsi préservé de la guerre civile. «Les conspirateurs, di M. de Félice, allèrent chercher à l'étranger la force qui ne trouvaient pas dans leur patrie.'»

V.

A Nîmes, les protestants voulurent donner à Paul Rabaut une marque de leur attachement; ils lui élevèrent une maison destinée à abriter sa vieillesse; chacun voulut y apporter sa pierre. Le vieux pasteur du désert, qui j qu'alors n'avait eu d'autre abri que les cachettes et les cavernes, en jeta lui-même les fondements* au milieu d'un grand concours de fidèles qui louaient Dieu et lebenissaient de ses merveilleuses délivrances.

Ces jours de paix furent presque sans lendemain; char de la Révolution, lancé sur une pente rapide, derail bientôt broyer sous ses roues sanglantes royauté, noblesse. clergé; ce qui, aux jours des États généraux, s'appelait du beau nom de liberté, s'appela licence à ceux de la Terreur. Le clergé persécuteur fut persécuté à son tour.

VI.

L'expiation fut lente à venir, mais elle vint terrible. comme une trombe qui dévaste tout sur son passage; he miliations, persécutions, exil, échafaud, rien ne manqu à sa coupe de douleur: ses devanciers avaient semé tourbillon, il recueillait la tempête; ce fut au moment

1. De Félice, p. 564.

2. Cette maison est située sur le chemin de Sauve; elle existe encore aujourd'hui; elle abrite des orphelins. Borrel, Histoire d l'Église réformée de Nîmes, p. 452.

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il s'applaudissait de son triomphe sur les huguenots que le ver rongeur de l'incrédulité, attaché aux racines du chêne catholique, achevait son œuvre. Voltaire vengeait les pro

testants.

Tous les hommes, à part un petit nombre, qui furent membres de la Constituante, de l'Assemblée législative et de la Convention étaient incrédules, et plusieurs d'entre eux athées. Ils ne cachaient ni leur dédain ni leur haine pour le culte dans lequel ils avaient été élevés. Ce fut un beau jour pour eux que celui où ils dépouillèrent le clergé de ses opulents domaines, et courbèrent, malgré ses plaintes et ses colères, sa tête orgueilleuse sous le joug du pouvoir civil. L'Assemblée constituante s'érigea en concile, et on vit des incrédules et des athées forger, sous le titre de Constitution civile du clergé, une loi qui brisait brutalement toutes les traditions du catholicisme et faisait du prêtre un fonctionnaire qui reçoit, comme tous les autres employés, son salaire de l'État.

L'Assemblée constituante dépassa évidemment ses droits; mais elle ne fit que continuer, à sa manière, Louis XIV, et proclama, une fois de plus, cette dangereuse maxime, professée par Rousseau et par Montesquieu, «qu'à l'État seul appartient le droit de régler les choses de la religion.»

Ce décret, qui fut suivi immédiatement de celui de la vente des biens du clergé, excita dans une grande partie de la France de violentes colères. De tous les côtés on se prépara à une vigoureuse résistance; les évêques, du haut de leurs chaires et dans leurs mandements, crièrent à la profanation. L'Assemblée constituante, de son côté, en présence de cette levée de boucliers, ne faiblit pas. A la voix des évêques elle opposa la voix de ses orateurs. Entre tous, Mirabeau se fit remarquer par sa foudroyante énergie: ce grand homme, qui avait le noble instinct de la liberté, ne comprit pas que de toutes les libertés, la plus précieuse c'est la liberté religieuse, base de toutes les autres. Il défendit la constitution civile du clergé.

Les partisans du clergé, ayant à leur tête le cardinal Mauri et Cazalès, luttèrent vaillamment, mais vainement contre Mirabeau. Le 27 novembre, malgré leurs efforts, la Constituante rendit le fameux décret qui imposa aux prêtres le serment à la constitution civile du clergé.

VII.

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Ce jour-là les hommes qui s'étaient réunis pour inaugurer en France le règne de la liberté préparèrent de mauvais jours à leur patrie; ils ruinèrent de leurs propres mains les fondements nouveaux sur lesquels ils voulaien l'asseoir: rien ne conduit plus vite à l'arbitraire et au deșpotisme que de mutiler la statue de la liberté au nom de la liberté.

VII.

Le fameux décret était rendu; il fallait le faire exécuter. Les résistances commencèrent. «J'ai soixante-dix ans. s'écria l'évêque de Poitiers; j'en ai passé trente-cinq dans l'épiscopat, où j'ai fait tout le bien que je pouvais faire. Accablé d'années, je ne veux pas déshonorer ma vieillesse; je ne prêterai pas serment.» Un grand nombre d'autres prélats l'imitèrent, et cet épiscopat français, qui s'était avili sous Louis XIV par son obéissance servile, et sous Louis XV par ses frivolités, se sanctifia au milieu de la tempête. Mais cette belle page de son histoire a son ombre tous les évêques n'imitèrent pas leur vénérable collègue de Poitiers; tous les curés ne relevèrent pas courageus ment la tête devant l'oppression; car à côté de ceux qui refusaient le serment se trouvaient ceux qui le prêtaient et un jour cette Église catholique, qui, depuis le concile de Constance, était une comme corps ecclésiastique, eat son schisme qui la fractionna en deux.

Maltraité sous l'Assemblée constituante, le clergé le fut sous l'Assemblée législative et plus encore sous la Convention. Cette dernière assemblée, qui a laissé de ses travaux de si grands et de si sanglants souvenirs, était en grande majorité hostile au christianisme; elle comptait parmi ses membres des hommes qui, comme Hébert, Chaumette, Anacharsis Clootz, Momoro, avaient adopte les principes athéistes d'Helvétius et du baron d'Holbach, et d'autres qui, comme Robespierre, avaient fait leur édu cation religieuse à l'école de Rousseau. Aux yeux des uns et des autres, le christianisme était l'infâme, et l'écraser le plus saint des devoirs. Ils ne faillirent pas à leur tâche; ils l'auraient anéanti, s'il n'eût été immortel.

Hébert et Chaumette, secondés par Fabre d'Églantine et quelques autres qui dominaient en maîtres à la Com

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