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itoyen honnête et droit qui aime sa patrie; influent déjà ar ses talents, il l'était plus encore par son caractère peronnel qui inspirait le respect et un sympathique intérêt. Au milieu de ses travaux de législateur, il souffrait de infériorité sociale dans laquelle ses coreligionnaires taient à l'égard des catholiques; il suivait, avec un palitant intérêt, les progrès de l'assemblée dans les voies e la liberté religieuse; mais ils lui paraissaient trop lents, ant l'habitude d'un long passé faisait considérer les réfornés comme en dehors de la loi commune. Le char cepenlant était en marche et il n'était au pouvoir d'aucune nain de l'arrêter. Le 17 octobre 1789 la Constituante vota a célèbre déclaration des droits de l'homme et du citoyen. L'article XVIII avait été rédigé en ces termes : «Nul ne loit être inquiété pour ses opinions religieuses, ni troublé dans l'exercice de sa religion. » C'était clair, net, précis. Un curé eut l'idée malheureuse de remplacer cet article par le suivant: «Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouole point l'ordre public établi par la loi. »

Saint-Étienne aperçut le danger et le signala dans l'un des plus beaux discours qui jamais aient été prononcés en faveur de la liberté religieuse.

II.

«L'orateur, dit M. de Félice, commence par montrer que les intolérants de tous les siècles n'ont jamais allégué d'autre prétexte que celui qui a été mis en avant par l'imprudent curé. L'inquisition a toujours dit dans son langage doucereux et ménagé, que, sans doute, il ne faut point attaquer les pensées, que chacun est libre de ses opinions, pourvu qu'il ne les manifeste pas; mais que cette manifestation pouvant troubler l'ordre public, la loi doit la surveiller avec une attention scrupuleuse, et à la faveur de ce principe, les intolérants se sont fait accorder cette puissance d'inspection qui, durant tant de siècles, a soumis et enchaîné la pensée !

Je remplis une mission sacrée, poursuivit l'orateur, j'obéis à mes commettants. C'est une sénéchaussée de 360,000 habitants dont plus de 120,000 sont protestants,

qui a chargé ses députés de solliciter, auprès de vous, le complément de l'édit de novembre 1787. Une autre séné chaussée du Languedoc, quelques autres bailliages du royaume ont exposé le même vou, et vous demandent, pour les non-catholiques, la liberté de leur culte...» (Tous, tous! s'écrièrent une foule de députés.)

ont

Rabaut Saint-Étienne en appelle ensuite aux droits sanctionnés par l'assemblée : «Vos principes sont que k liberté est un bien commun et que tous les citoyens y un droit égal. La liberté doit donc appartenir à tous les Français également et de la même manière. Tous y on droit ou personne ne l'a; celui qui veut en priver les autres n'en est pas digne; celui qui la distribue inégalement ne la connaît pas ; celui qui attaque, en quoi que ce soit, la liberté des autres attaque la sienne propre, et mérite de la perdre à son tour, indigne d'un présent dont il ne connaît pas tout le prix.

«Vos principes sont que la liberté de la pensée et des opinions est un droit inaliénable et imprescriptible. Cette liberté, Messieurs, elle est la plus sacrée de toutes; elle échappe à l'empire des hommes; elle se réfugie au fond de la conscience, comme dans un sanctuaire inviolable où nul mortel n'a droit de pénétrer, elle est la seule que les hommes n'aient pas soumise aux lois de l'association commune. La contraindre est une injustice; l'attaquer est un sacrilége.»

Arrivant à la question spéciale des protestants, Rabaut Saint-Étienne établit que l'édit de 1787 a laissé subsister une choquante inégalité entre les communions religieuses et que les lois pénales contre le culte des réformés n'ont pas même été formellement abolies. Il réclame pour deus millions de citoyens utiles leurs droits de Français. Ce n'est pas la tolérance qu'ils demandent, c'est la liberté. La tolérance, s'écrie-t-il, le support le pardon ! la clémence, idées souverainement injustes envers les dissidents, tant qu'il sera vrai que la différence de religion, que la différence d'opinion n'est pas un crime. La tolérance! je demande qu'il soit proscrit à son tour, et il le sera, ce mol injuste qui ne nous présente que comme des citoyens dignes de pitié, comme des coupables auxquels on pardonne !.....

«Je demande, pour tous les non-catholiques, ce que ous demandez pour vous: l'égalité des droits, la liberté, liberté de leur religion, la liberté de leur culte, la lierté de le célébrer dans des maisons consacrées à cet bjet, la certitude de n'être pas plus troublés dans leur eligion que vous ne l'êtes dans la vôtre et l'assurance arfaite d'être protégés autant que vous, et de la mème anière que vous, par notre commune loi.>>

Quelques orateurs avaient cité l'intolérance de certains euples protestants pour justifier la leur. «Nation généeuse et libre, répond Saint-Étienne, ne souffrez point u'on vous cite l'exemple de ces nations intolérantes qui roscrivent votre culte chez elles. Vous n'êtes pas faite our recevoir l'exemple, mais pour le donner, et de ce qu'il y a des peuples injustes, il ne s'ensuit pas que vous leviez l'être. L'Europe aspire à la liberté, attend de vous de grandes leçons, et vous êtes digne de les lui donner.» L'orateur fait comparaître, en quelque sorte, à la barre le l'assemblée le grand peuple d'opprimés dont il est le léfenseur. «Ils se présenteraient à vous, dit-il, teints encore du sang de leurs pères et ils vous montreraient 'empreinte de leurs propres fers. Mais ma patrie est libre et je veux oublier, comme elle, et les maux que nous avons partagés avec elle, et les maux plus grands encore dont nous avons été les victimes. Ce que je demande, c'est que ma patrie se montre digne de la liberté en la distribuant également à tous les citoyens, sans distinction de rang, de naissance et de religion.>>1

III.

Ce discours, dans lequel l'orateur avait fait passer tous les nobles bouillonnements de son cœur, eut un immense retentissement et ajouta à la réputation de Saint-Étienne; mais il ne put faire revenir l'assemblée sur son vote, elle ne s'arrêta pas cependant dans la réparation des injustices du passé; elle décida, le 24 décembre 1789, l'admission des non-catholiques à tous les emplois civils et militaires. Trois mois après (15 mars 1790), Paul Rabaut remplaça à 1. De Félice, Histoire des protestants, p. 566 et suiv.

la présidence l'abbé de Montesquieu. Ce jour-là il écrivit à son père: «Le président de l'Assemblée nationale està vos pieds. >>

Les membres de la Constituante, qui avaient voté en f veur de la liberté religieuse plus par entraînement que par principe, commencèrent à s'inquiéter du chemin qu'il avaient fait dans une voie qui pouvait devenir funeste l'Église romaine. Le chartreux dom Gerle, qui jusqu'alors s'était distingué par son ardent libéralisme, se fit l'éche de leurs appréhensions et proposa à l'assemblée de dé clarer le catholicisme religion de l'État et de ne plus artoriser d'autre culte que le sien. >>

Cette proposition, qui effaçait de la déclaration des droits de l'homme son plus magnifique article, fut accueillie avec transport par tout un côté de l'assemblée; quelques paroles avaient suffi pour réveiller au sein de la Constituante les préjugés et les haines des États générau de la Ligue.

A la proposition de dom Gerle un grand nombre de mains se lèvent pour l'appuyer. Le président promène ses regards sur l'assemblée. La majorité lui paraît intaine et la séance est renvoyée au jour suivant. Pendant la nuit les amis de la liberté religieuse se comptent et se préparent à la lutte pour le lendemain. Le peuple de Paris, qui ne veut plus, ni de Saint-Barthélemy, ni de dragonnades, mais qui bientôt sous un autre nom les ressuscitera, se prononce vivement contre la motion de dom Gerle, et dès le matin assiége les avenues de l'Assemblée constituante... Le combat s'engage vivement à la tribune, Mirabeau y est admirable, quand il évoque les lugubres souvenirs de la Saint-Barthélemy et revendique pour chaque citoyen le droit de servir Dieu selon sa conscience. Le grand orateur ramène à son opinion plusieurs des partisans de dom Gerle celui-ci, qui pressent le sort qu'attend sa motion, la retire afin qu'elle ne succombe pas écrasée

sous un vote.

IV.

La Constituante ne tarda pas à montrer combien elle était sympathique à ceux de ses concitoyens qui, depuis

eux siècles et demi, luttaient pour la revendication de eurs libertés civiles et religieuses; elle répara, autant ue cela fut en son pouvoir, les inintelligentes injustices es Bourbons; elle fit restituer aux héritiers des légitimes ropriétaires les biens qui avaient été confisqués et dont État était encore le détenteur. Les descendants des réfuiés virent s'ouvrir pour eux les frontières de leur patrie la seule condition de prêter le serment civique. Maleureusement pour la France, cette permission arrivait rop tard. Les enfants des réfugiés n'avaient pas, comme eurs pères, respiré l'air natal; le souvenir de la mèreatrie ne faisait pas battre leur cœur; et d'ailleurs, n'en vaient-ils pas une qu'ils aimaient d'autant plus que l'éranger d'hier était le citoyen de demain? de plus, que eraient-ils venus faire en France ? La maison qui avait brité leurs ancêtres était rasée ou passée en d'autres nains, et la charrue avait labouré et relabouré le lieu de épulture de leurs morts. Ils ne vinrent pas en France; s'ils étaient venus, plusieurs d'entre eux auraient été les vicimes des Jacobins, comme leurs pères l'avaient été des Ligueurs.

La cause de la liberté religieuse était gagnée à Paris, qui représentait alors bien ou mal l'opinion de la France; mais elle n'était pas encore écrite dans la loi, elle ne le Eut que le jour où la Constituante décréta «que la Constiution garantit à tout homme le droit d'exercer le culte religieux auquel il est attaché.» Ce jour-là seulement, le protestantisme se sentit libre. Il était affranchi de la protection dictatoriale de l'État.

La France avait les yeux fixés sur l'assemblée qui s'occupait de ses destinées. A peine née à la vie politique, elle en avait les passions et les impatiences. Les querelles religieuses du passé paraissaient oubliées: catholiques et protestants vivaient en bon accord, même dans les contrées méridionales de la France, où les souvenirs des persécutions étaient loin d'être effacés; «tout s'opérait naturellement par le concours des volontés, dit l'historien des troubles du Gard, et l'on n'y connaissait d'autre bruit que celui des fêtes chaque fois que l'on recevait de Paris la nouvelle de quelque événement favorable. Dans plusieurs communes on vit les protestants assister aux Te

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