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XXIX.

Paul Rabaut était à cette époque le pasteur du désert le lus considérable; la place qu'il avait conquise au milieu e ses collègues, il la devait non à son ambition, mais à 1 supériorité incontestable et à un dévouement qui ne se émentait jamais. Homme d'action, il visitait les Églises; omme pratique, il les maintenait dans l'obéissance à la iscipline; homme de prière, il ne désespérait jamais, et ans les jours les plus sombres il voyait par la foi arriver squ'à lui, à travers les nuages, un rayon d'espérance. ans l'une de ses lettres, qui n'était pas destinée à la puicité, il nous initie à ses travaux de missionnaire et nous it pénétrer dans sa vie intime: «Pardonnez, Monsieur honoré ami, écrit-il au pasteur Moultou de Genève, au lence qu'il n'a pas été en mon pouvoir de rompre; ocapé d'une multitude d'affaires, le jour ne me suffit pas our remplir tous ces objets, une bonne partie de la nuit est souvent employée; je saisis avec plaisir ce moment e relâche, pour répondre à l'obligeante lettre dont vous l'avez honoré. Vous le savez, la renommée grossit les bjets; c'est ce qu'elle a fait à mon égard. Moins je me rois tel qu'elle m'a dépeint à vos yeux, et plus je ferai es efforts pour le devenir. Si la grâce divine m'a donné uelque amour pour la vertu, quelque zèle pour la reliion, quelque désir d'être utile à mes frères, il s'en faut ien que ces mouvements soient aussi vifs et aussi effiaces qu'ils devraient l'être. Quand je fixe mon attention ur le divin feu dont brûlaient pour le salut des âmes, je le dirai pas Jésus-Christ et ses apôtres, mais nos réfornateurs et leurs successeurs immédiats, il me semble qu'en comparaison d'eux, nous ne sommes que glace. Leurs immenses travaux m'étonnent, et en même temps ne couvrent de confusion. Que j'aimerais à leur ressembler en tout ce qu'ils eurent de louable! Les éloges que vous me donnez, en me montrant ce que je dois faire m'aiguillonnent puissamment à m'y appliquer de toutes mes forces. Daignez joindre à cet encouragement le secours de vos conseils, de vos exhortations et de vos prières. Je serais très-flatté que vous voulussiez me donner quelque

part dans votre précieuse amitié; mais déjà vous lui en avez donné des preuves en la personne de mes enfants. J'aime à me persuader que ce n'est pas seulement la ge nérosité qui vous porte à vous intéresser pour eux, et que l'amitié dont vous m'honorez y a plus de part encore. Oui, Monsieur, il y a lieu d'espérer que Dieu donnera du repos à Israël. Je reviens à notre procès (la liberté religieuse); on m'écrit qu'il est imperdable. Encore un peu de temps, celui qui doit venir viendra, et ne tardera point; je me délecté à penser à cet heureux temps. Qu'il me tarde qu'il arrive pour avoir le plaisir de vous embrasser et de vous voir travailler avec nous à réédifier les murs de Jérusa lem. >>1

XXX.

Nous n'avons pas parlé de la prédication de Paul Ra baut. «On pourrait à cet égard, dit M. Ch. Coquerel,! constater les mêmes qualités que dans ses correspondances sur les affaires du désert. Beaucoup de simplicité et d'ontion; plus de douceur que de véhémence; peu de discr sions; plus de charité que de profondeur; une exposition dogmatique sans cesse soutenue de conseils moraux: tels sont les mérites distinctifs de ces discours. Il traitait asset rarement les matières de controverse avec l'Église romaine. Il prêchait le dogme, sans y rien ajouter, dans l'esprit et dans les paroles de l'Evangile, sans s'égarer dans les détails et sans se perdre en déductions. Telle est l'impression nette et arrêtée que nous ont faite plusieurs de ses discours. D'ailleurs, pour la forme, ils sont tous fort méthodiques; ils brillent par la logique des divisions. Cette logique se fait remarquer dans quelques autres discours de cette époque que nous avons pu examiner et qui sont remarquables, soit par l'énergie, soit par la parfaite clarté des vues. >>

Tel était l'homme que Dieu avait donné à ses Églises sous la croix, pour les soutenir dans leurs cruelles épreuves. Comme son maître et son ami Antoine Court, il ne fut jamais au-dessous de sa difficile et périlleuse tâche,

1. Mss. P. R. - Mém. or., 248, 1755.

ans laquelle il avait pour l'aider des collègues dévoués t son compagnon d'enfance, son fidèle Pradel.

XXXI.

Pradel naquit à Bédarieux, probablement à la même poque que Paul Rabaut. Ils eurent les mêmes maîtres, t firent leur apprentissage de proposant sous la direction u pieux Claris; tous les deux ils s'assirent sur les mêmes ancs au séminaire de Lausanne, et quittèrent les belles riantes rives du Léman pour aller exercer leur minisre dans le Languedoc. Le dimanche 22 novembre 1750, radel courut le risque de tomber entre les mains des solats, qui surprirent une assemblée qui avait été convoquée Saumane, par-dessus la métairie de Granon, à une lieue e Nîmes. 1

Les dangers continuels que courait sa vie, loin d'ébranr son courage, ne firent que le raffermir, et il fut de eux qui travaillèrent pour leur maître avec une fidélité ui ne connut pas d'intermittence. Nous devons aux soins e la police des intendants du Languedoc son signalement; voici «André Pradel, dit Vernezobre, âgé d'environ ente-huit ans, taille de 5 pieds 3 pouces, visage assez lein et pâle, le nez bien fait, les yeux gris, cheveux châins, portant perruque, fort jarretier, portant les genoux n avant quand il marche, les pieds fort plats, les mains troites, les doigts fort longs, se tenant un peu courbé. »3 Les forçats, à la recherche desquels la justice met les gents de la police, ne sont jamais mieux signalés.

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1. Journal de Paul Rabaut. Journal nos 1 et 2. Ce manucrit, dans lequel Rabaut raconte ses travaux depuis 1750 à 1756, 1 environ 80 pages. Il est très-regrettable que l'auteur ne l'ait pas continué; s'il l'eût fait jusqu'à sa mort, nous aurions le procèsverbal authentique de l'histoire du protestantisme de son époque. 2. Marcheur.

3. Signalement des ministres prédicants qui se tiennent en Languedoc. - Ch. Coquerel, p. 568.

LIVRE L.

I.

Depuis l'arrivée de Richelieu, la situation des Églises s'était un peu améliorée; mais tout à coup elle empira. Le duc, après la session des États, retournait à Paris, lors qu'à Avignon lui arriva la fausse nouvelle, que les habitants de la Gardonenque étaient attroupés en armes: sans se donner la peine de s'assurer de la réalité du fait, il donna, dans sa colère, des ordres pour qu'on plaçât des garnisons partout, et qu'on activât le jugement du ministre Coste, l'auteur de l'insurrection de Lédignan.

Après son départ, les Églises jouirent, pendant une a née entière, d'un calme inusité; elles en profitèrent pour régler leur administration intérieure; leur histoire, per dant ce temps, n'a rien de particulier qui mérite d'être relaté; mais pendant qu'elles jouissaient avec reconnais sance de ces heures de calme, le clergé romain veillait, et quoiqu'elles ne fussent extérieurement qu'un objet de pitié, elles troublaient son sommeil. Il força de nouveau la main à la cour, et l'année 1754 s'inaugura pour elle par une terrible persécution, et, chose étrange! ce fut l'épicurien Richelieu, le plus dissolu des courtisans et le plus incrédule des disciples des philosophes, qui contin le farouche Bâville. Nommé pour présider les États de Languedoc, il fit (16 février 1754) revivre toutes les dispositions de l'édit de 1724, en y en ajoutant de nouvelles dans une instruction tristement célèbre.

II.

Le clergé, qui jusque-là avait vu ses efforts échouer, sembla près d'atteindre son but; il voulait, comme le roi. faire perdre aux protestants le goût et l'habitude des as

mblées'. Richelieu l'aida d'abord avec entrain, ensuite ollement; il se fatiguait de son rôle de persécuteur; il mandait des instructions à la cour, qui lui en envoyait contradictoires.

t

Rabaut, dans ces graves circonstances, fut à la hauteur lui-même; il leva la tête comme le chêne pendant la npête, et se multiplia pour empêcher ses frères épountés de renouveler les honteuses apostasies de 1685; s conseils, ses exhortations, ses censures les retinrent r la pente fatale, où il leur aurait été si facile de glisser. clergé, qui redoutait son influence, mit tout en œuvre ur le faire capturer; il faillit réussir à Saint-Césaire : erti à temps, le courageux pasteur descendit de chaire, sans avoir même le temps d'ôter sa robe, il s'échappa. ux qui conseillaient Richelieu, lui firent comprendre e la capture d'un ministre, aussi aimé que Rabaut, pourprovoquer un soulèvement, et que le mieux serait de forcer à s'expatrier. Dans ce but le commissaire de mes proposa d'arrêter Magdelaine Gaydan, son épouse, ses enfants, afin que, nanti de ce gage précieux, on çât Rabaut à sortir du royaume. Leur proposition ayant acceptée, un officier, commandant cent hommes, cerna maison, située dans l'un des faubourgs de la ville. Il donna, au nom du roi, qu'on lui en ouvrît les portes, chercha le pasteur dans les appartements; on ne le trouva lle part, mais quand il voulut procéder à l'arrestation Mme Rabaut et de sa vieille mère, Magdelaine Gaydan t admirable de courage et de présence d'esprit; elle prosta énergiquement contre la violation de son domicile, le contraignit, par la seule force morale qu'elle déploya, se retirer; ce ne fut que pour un peu de temps. De uvelles menaces lui ayant été faites (22 octobre et 2 vembre 1754), elle comprit le danger d'une plus longue sistance; elle abandonna furtivement sa demeure, et ivie de ses deux enfants et de sa vieille mère, elle alla joindre son mari dans le désert. Femme forte et chréenne, elle sut faire à Dieu l'héroïque sacrifice de son Doux bien-aimé. Loin de lui conseiller de s'expatrier, le lui dit : «Reste, fortifie tes frères et meurs à la tâche.»

1. Dép. du comte de Saint-Florentin, 24 juillet 1754.

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