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XXV.

Lorsque le vieux Corteis quitta son champ de travail pour aller mourir sur la terre étrangère, en continuant à ser vir ses frères par ses prières ardentes, ils étaient toujours sous le coup des édits; ils ne savaient pas la veille ce que leur préparait le lendemain; et quoique leur patience for devenue proverbiale', quelques-uns d'entre eux finirent par être exaspérés. Ceux de Lédignan qui se voyaient forcés par les dragons à rebaptiser leurs enfants, ne consultant que leur désespoir, résolurent de se défendre par les armes et de se venger des soldats et des prêtres. C'était une résolution désespérée; mais qui oserait leur faire un crime de faire la garde, à main armée, autour de leurs demeures pour empêcher les dragons d'y pénétrer? Le prêtre qui rôde autour d'une maison, pour voler un enfant, est-il plus sacré que la bête féroce qui le convoite pour sa proie? Le père qui veille, se laissera-t-il ravir, sans résistance, ce qu'il a de plus cher au monde? S'il a près de lui ur arme la brisera-t-il? S'il le fait en disant à Dieu : Sois mat vengeur! nous l'admirerons; s'il fait feu sur le ravisse. lui donnerons-nous le rom de meurtrier? Revenons i Lédignan. C'était le 1er août 1752, les paysans de cette petite bourgade étaient en armes, sachant que les prêtres, aidés par un corps de cavaliers, devaient venir enlever leurs enfants. Ils vinrent en effet; les paysans firent feu, le curé de Lédignan fut blessé et ses confrères de Ners et de Quissac furent atteints, et moururent quelques mois après des suites de leurs blessures.

Cet événement tragique attira d'épouvantables calamités sur Lédignan; «les soldats, raconte Antoine Court, se ruèrent sur la bourgade, tous les hommes et une partie des femmes prirent la fuite. Les dragons et nombre de catholiques furent alors employés à traîner les enfants à l'église. Jamais, peut-être, un spectacle plus touchant, ou plus propre à inspirer de l'horreur. Il y avait de ces enfants, ly déjà d'un certain âge (de quatorze ans et au-dessous), qui ne voulaient point se laisser mener à l'église et qu'il fallait

1. De même qu'on disait honnête comme un huguenot, on disait patient comme un huguenot.

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aîner à force de bras; d'autres perçaient les airs et les des cris les plus touchants; des troisièmes se jeient en lions sur ceux qui voulaient les saisir et leur échiraient, avec les mains, la peau et l'habit. Le curé de ontual fit publier, le 6 février, à son de trompe, que us les protestants qui s'étaient mariés au désert eussent assister, dès le lendemain, à la messe. Aucun d'eux n'y sista et tous de nouveau gagnèrent la campagne; alors officier courut toutes les maisons et menaça les pères et ères des nouveaux mariés, que s'ils ne faisaient revenir urs enfants, il les ferait pourrir dans les prisons.-- David Nimes, procureur de la régie, se rendit au Cailar pour océder à la saisie des biens des fugitifs; quelques-uns, ur éviter cette saisie, reparurent; d'autres, plus fermes, rsévéraient dans leur fuite. Les biens furent saisis; une rtie des meubles fut vendue à l'encan; les maisons funt fermées à la clef, et les pères et les mères des ennts qui ne revenaient point, furent mis à la rue avec des oupes de petits enfants, appartenant à leurs fils ou à urs filles qui étaient en fuite.»'

XXVI.

La cour fut profondément irritée de l'audace des paysans e Lédignan et approuva les rigueurs exercées contre eux. n écrivant à M. de Saint-Priest, intendant du Languedoc, t successeur de Lenain, le comte de Saint-Florentin lui isait: «Ce serait tout perdre que de mollir en pareille irconstance,» et il l'engagea à ne rien épargner pour faire rrêter le ministre Coste.

Ce ministre était chéri des populations cévenoles, à cause de son zèle et de son intrépidité... Nature vive, arlente, impressionnable, il bondissait d'une sainte colère à la vue des prêtres quand il les voyait rôder comme des Dêtes fauves autour des maisons protestantes pour procéder à des enlèvements d'enfants. Un jour, hors de lui, il soueva, c'était facile, les paysans de Lédignan; nous connaisSons le reste.

Le comte de Saint-Florentin, qui écrivait à M. de Saint1. Mémoire historique, par. A. Court, p. 65.

Priest de ne pas mollir, craignit cependant que de trop grandes rigueurs n'enfantassent une nouvelle guerre des camisards parmi ces belliqueuses populations cévenoles, alors frémissantes de colère, qui eussent pu se lever, comme un seul homme, au chant de l'une de ces complaintes qui leur racontaient en termes touchants lat glorieuse d'un Roussel ou d'un Desubas. Dans cette cr tique circonstance la cour fut admirablement seconde par tous les collègues de Coste qui accoururent à Lédignan et firent tomber, par leurs remontrances à la fois sévères et paternelles, les armes des mains des insurgés. Un moment ils furent sur le point de déposer Coste, ils recr lèrent cependant, devant cette mesure, dans la doule crainte d'irriter les populations cévenoles et de devenir les complices du présidial de Nîmes, qui venait de con damner le belliqueux pasteur à être rompu vif (25 décem bre 1752). Ils prirent un moyen terme, et Coste, d'après leur conseil, quitta la France et se réfugia en Angleterre.

XXVII.

A cette époque le marquis Paulmy d'Argenson, ministre de la guerre et fils de l'ancien garde des sceaux de nom, visitait les établissements militaires sur la ligne du Rhône et du Var. Son arrivée dans le Languedoc troubla les populations protestantes, qui, attribuant sa présence aux derniers troubles, redoutaient de nouvelles rigueurs. Leurs craintes ne tardèrent pas à se dissiper; car il ne manifesta, pour les réformés, que des intentions bienveil lantes. A peine arrivé, les dragonnades et les rebaptisations d'enfants cessèrent.1

Paul Rabaut, témoin des dispositions bienveillantes du marquis, résolut de mettre entre ses mains un mé moire justificatif de la conduite de ses coreligionnaires L'entreprise était hardie. Rabaut était, en vertu des édits, condamné à mort, et l'homme avec lequel il se trouvail alors face à face, était le même qui avait ordonné le supplice du vénérable Roger. Le pasteur du désert n'hésita pas, il alla se poster contre la baraque de Codognan à 1. Journal de Paul Rabaut, no 1.

Uchaud, et lorsque la berline du marquis passa, il s'avança vers la portière, se nomma... exposa le but de son message et présenta l'écrit qu'il tenait à la main et qui était destiné à être mis sous les yeux du roi.

Le général, à l'ouïe du nom de Rabaut, se découvrit, et ouché de l'intrépidité du pasteur du désert, il accepta on placet et le vit s'éloigner sans avoir même l'idée de le aire arrêter. Le placet fut envoyé à Versailles. Dans un style imple, mais éloquent, Rabaut justifiait ses frères et faisait etomber sur les prêtres la responsabilité des derniers roubles. «On ne se contente pas, disait le pasteur au roi, 'exterminer nos personnes, de nous priver de la liberté, e consommer nos biens; on porte quelquefois la cruauté usqu'à nous arracher nos enfants d'entre les bras, pour es transporter dans des couvents ou des séminaires, pour eur surprendre une signature, sans leur dire ce qu'on en eut faire, les entraîner dans quelque église par ruse ou ar force pour leur donner des poupées ou des colifichets, els sont les moyens qu'on emploie pour soustraire des nfants de sept à huit ans à l'autorité paternelle, moyens ui n'ont que trop réussi à l'égard de la fille du sieur Donergue de Saint-Ambroix, qui a été enfermée dans un ouvent, en vertu d'une lettre de cachet obtenue par I. l'évêque d'Uzès, et à l'égard de la fille du sieur Coɔmb de Clermont, contre laquelle M. l'évêque de Lodève également obtenu une lettre de cachet. Le sieur Chamon, subdélégué à Uzès, avait entrepris d'enlever, de son utorité privée, la fille du nommé Dufoy de Nîmes, la[uelle était chez une parente à Uzès, et il en serait venu à out, si la jeune fille, informée de ce qui se tramait contre elle, n'eût pris la précaution de s'évader. On pourrait citer grand nombre d'autres exemples; mais pour abréger, on s'arrête à ceux-ci. Votre Majesté verra aisément ce qui peut se passer dans le cœur d'un père à qui on enlève ce qu'il a de plus cher, d'autres soi-même à qui l'on refuse même la consolation de les voir dans les tristes lieux où on les enferme. Rien n'est plus propre à jeter les protestants dans le découragement et dans le désespoir. »

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XXVIII

Ce placet impressionna favorablement la cour, et à dater de ce moment les poursuites contre les réformés commencèrent à se ralentir dans tout le royaume, et le comte de Saint-Florentin, qui jusqu'alors n'avait su signer que des ordres d'extermination, écrivit à M. de Saint-Priest: de vous prie de ne plus vous en rapporter, à l'avenir, avec autant de facilité, au témoignage des missionnaires et curés et même des évêques qui vous proposent de faire mettre des enfants dans des maisons pour être instruits.'

Après le départ du marquis de Paulmy, le duc de Riche lieu arriva dans le Languedoc pour porter les vœux et les ordonnances de la cour aux États de cette province où le clergé avait la haute main, et qui était aussi prompte à exécuter les édits contre les protestants, qu'avare de ses subsides.

Le duc de Richelieu était l'arrière-petit-neveu du cé lèbre cardinal de ce nom. Il était né en 1696; de bon heure il se distingua par son esprit dans les salons et pr son courage sur les champs de bataille. A vingt ans il était le plus beau gentilhomme de son temps et le plus dépravé Sa vie aventureuse et ses duels en avaient fait l'idole des plus grandes dames de la cour, qui se faisaient une gloire d'être déshonorées par lui. Comblé de dignités et d'honneurs, il était la personnification d'une noblesse tarée, qui de son glorieux passé n'avait su conserver que sa bravoure. Louis XV aimait Richelieu à cause de ses vices: Voltaire à cause de son esprit. Tel était l'homme qui vint présider les États; indifférent en matière religieuse, n'apporta pas dans son commandement l'esprit de Bâville: en effet, que lui importait que les protestants chantassent des psaumes en mauvais français, pourvu qu'ils ne fussent pas des sujets insoumis? Aussi arriva-t-il dans le Languedoc avec de bonnes dispositions, qui se manifestèrent par la cessation des excès des logements militaires.

2. Dépêche, 23 septembre 1752, p. 230.

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