Page images
PDF
EPUB

leurs forces, leur envoyait ses consolations. Pour eux, s jours de joie et d'espérance étaient ceux où les prosants recevaient l'imposition des mains; ils accouraient foule pour assister à ces cérémonies qui leur étaient rticulièrement chères; leurs regards s'arrêtaient avec e respectueuse admiration sur ces jeunes lévites qui ne cherchaient dans le saint ministère d'autre gloire que lle de nourrir les âmes de la parole de vie. Ils écoutaient ec avidité le pasteur consacrant; c'était ordinairement fidèle serviteur qui avait le droit de dire à ceux qui aient devenir ses collègues : «Soyez mes imitateurs nme je le suis de Christ.» De ces discours où le travail se faisait pas sentir et qui s'élevaient parfois à la vérile éloquence, il ne nous reste que quelques débris pré

ux.

Le 5 octobre 1752, au pied d'une chaire dressée dans e caverne du Vivarais, deux jeunes étudiants du sémire de Lausanne, Alexandre Vernet et Alexandre Ranc, frère du martyr, les mains posées sur la Bible, prometent à Dieu de prêcher fidèlement sa parole et de se concrer à lui en sacrifice vivant et saint. Avant de leur imser les mains, le pasteur Peyrot, qui avait pris pour texte son discours ces paroles: «Je vous envoie comme des ebis au milieu des loups,» leur dit : «Nous pouvons ffirmer sans crainte de mentir, nous sommes comme s brebis au milieu des loups, nous pouvons le déclarer a face du ciel et de la terre. Que le peuple au milieu quel nous sommes, vante tant qu'il voudra sa politesse son humanité, il n'est pas moins cruel à notre égard, moins altéré de notre sang. Que ses ecclésiastiques se sent tant qu'ils voudront les successeurs des bienheuux apôtres qui étaient d'un caractère si pacifique; qu'ils ectent tant qu'il leur plaira une douceur apparente; 'ils fassent semblant d'avoir en horreur le sang et le rnage; ne nous y fions pas... Regardez-les... Ah! ût à Dieu que nous nous trompassions dans ce que nous sons! Plût à Dieu que nous fussions obligés de nous réacter aussi publiquement que nous le protestons! Plût Dieu qu'on nous donnât sujet d'avoir des idées plus conrmes à la charité, à nos propres intérêts! Mais, tant ue nous aurons tant de raisons du contraire... tandis que

tant

les auteurs de nos maux s'en glorifieront, tant que de voix nous crieront que nous sommes comme des brebis au milieu des loups, pouvons-nous refuser de le croire! Et combien de voix n'y a-t-il pas qui nous tiennent terrible langage? Que nous disent les craintes où no avons été pour célébrer cette cérémonie, les précautions que nous avons été obligés de prendre pour nous conse ver? Que nous dit le lieu où nous sommes dans une casion aussi solennelle? Quoi, être sans temples, et exposés aux injures de l'air! être obligés de fuir les lieu habités, pour se cacher dans les bois, dans les déserts a freux! Ces lieux sauvages ne nous crient-ils pas qu'il faul que nous nous regardions parmi les hommes comme les brebis au milieu des loups, puisque nous sommes obliges de les fuir avec tant de soin? Que nous dit cette haine que tant de gens à qui nous ne fimes jamais aucun mal, on cependant contre nous? Que nous disent ces projets, complots sanguinaires qu'on trame chaque jour pour nous découvrir et nous perdre ? Que nous disent, non pas tren pièces d'argent, mais de grosses sommes destinées, p mises aux Judas, qui pourront nous trahir et nous live! N'est-ce pas comme autant de voix qui nous crient: T êtes comme des brebis au milieu des loups! Que nous d sent ces troupes dont nous sommes environnés de tou côtés, toujours armées, toujours prêtes à marcher contre nous, n'attendant, pour cela, que le moment fatal de découvrir notre retraite? Que nous disent ces ordonnances, ces déclarations par lesquelles notre religion est interdite ef proscrite, et par lesquelles tous ceux qui l'ont enseigne sont condamnés aux mêmes peines que les criminels? sont-ce pas des voix de tonnerre qui nous crient que nou sommes comme des brebis au milieu des loups? Que nos disent ces catastrophes, ces scènes tragiques arrivées a milieu de nous? Que nous disent ces mouvements, soins qu'on s'est donnés pour nous écraser? Que nou disent ces cadavres percés de coups, ces gibets ensanglan tés? Que nous disent, ô douleur, ces chères brebis, c vénérables pasteurs qui ont été déchirés, massacrés; j m'arrête.... Il n'est que trop sûr que nous sommes comme des brebis au milieu des loups.... Qu'est-ce que cela de mande? Vous le sentez! Un sacré dépôt vous est confié;

ous devez le garder. Une couronne vous est posée sur la te, vous ne devez jamais souffrir qu'on vous la ravisse.»>

XXIII.

On trouverait difficilement, dit un historien moderne, le érite de ce passage, à la fois âpre et touchant, auquel s circonstances du temps et de l'action devaient ajouter 1 si puissant effet. En l'appréciant, il ne faut pas oublier mbien peu ils avaient d'occasions propices pour acquérir science et le beau langage de France, ces hommes du sert qui puisaient toute leur éducation dans deux ou is années de séjour à un séminaire suisse, et qui reveient ensuite pour se charger journellement des plus rilleux devoirs. Leur vie inquiète, toujours proscrite, ujours menacée, ne devait guère admettre de place pour soin littéraire. On a vu plusieurs exemples que les livres leur communion furent souvent incendiés par les édits rsécuteurs. Ils n'avaient, en la patrie qui les repoussait, colléges ni bibliothèques. Lorsque Pierre Peyrot pronça cette simple harangue, dans quelque lieu écarté de province du Vivarais, au milieu des courses des troupes devant le jeune frère du martyr Louis Ranc, il y avait ulement dix ans que l'évêque de Clermont ne charmait us Paris et la cour par les effets de son éloquence pathéque. Mais Massillon était évêque académicien, prédicateur i roi; il occupait la chaire de Notre-Dame, ou de Verilles ou de l'Oratoire de Paris; on conçoit quelles resurces et quels encouragements ce grand orateur dut iser dans ces cercles d'un goût si délicat où la majesté es souvenirs de Louis XIV commençait à se mêler à la hilosophie d'un temps plus heureux. Mais les pasteurs du ésert, obscurs, poursuivis, inconnus, n'avaient pour aplaudissements que la grandeur de leur tâche, et que les rmes des malheureux qui les suivaient. Sous ce rapport y eut autant, et peut-être plus de majesté dans le temle ouvert à tous les orages où prêchait Pierre Peyrot, que ans les parvis somptueux du petit carême; plus encore eut-être que Massillon, le pasteur du désert aurait eu le droit de douter que Louis XIV fût mis au nombre des élus. En un mot, avant de juger l'éloquence protestante de cette

époque, il faut songer que les pasteurs du désert menaien une vie très-agitée, qui n'était guère compatible avec la perfection du langage, ni avec la grâce de l'expression: mais ils firent dominer dans leur style les qualités de leur vie: la foi et la force.1

XXIV.

Quand Peyrot eut achevé son discours, il descendit de chaire, et, assisté de quelques-uns de ses collègues, il inposa les mains aux deux candidats en demandant à Dieu de leur donner une abondante mesure de son esprit, per dant que les assistants faisaient monter au ciel leurs prières pour qu'elles en descendissent en rosée de bénédiction sur ces deux jeunes serviteurs, dont l'un allait remplacer Benezet et l'autre Corteis.

L'intrépide Corteis avait vieilli au service des Églises, et leur avait fait non sans douleur, mais sans murmure, le sacrifice de ses plus chères affections de famille. Perdant son long et périlleux apostolat il ne montra jamais ni faiblesse, ni impatience, ni découragement; sa place était partout où il y avait une consolation à offrir, un dar ger à courir, une nouvelle preuve de dévouement à donner. Mais ce que les privations inséparables d'une vie errante et les dangers journaliers qui y étaient attachés, n'a vaient pu faire, l'âge et les infirmités corporelles le firent: le vieillard sentit, un jour, son instrument de travail lu échapper des mains, ce jour-là il se crut libre à l'égar des Eglises et demanda après trente-sept ans de pastora la permission d'aller prendre un peu de repos dans Wurtemberg où sa femme s'était réfugiée depuis 1719; synode lui délivra ce beau certificat: «L'assemblée, édifiet de plus en plus de la doctrine de Pierre Corteis, de son zèle infatigable et de la sainteté de ses mœurs, après lu avoir témoigné le vif regret de se voir à la veille d'être privée d'un si digne pasteur, lui accorde sa juste demande avec d'autant plus de raison, qu'il a été exposé, et l'est encore, à la plus violente persécution, et aux périls les plus imminents de la part des ennemis de la vérité; car outre les dangers ordinaires annexés au ministère sous l 1. Ch. Coquerel, t. Ier, p. 518.

oix, il a été pendu deux fois en effigie, comme appert r les jugements rendus par les intendants de Montpellier d'Auch; poursuivi plusieurs fois par des détachements dragons, et recherché par des particuliers mal intenonnés, ce qui le met dans la nécessité indispensable de réfugier dans un pays de liberté; sur ces fondements, bus prions Dieu de le combler de ses grâces les plus récieuses, et de le couvrir de sa divine protection parut où sa providence le conduira. »1

A la vue de ce vénérable vieillard qui compte tant de illantes campagnes, dans le service de son Maître, et i prend sa retraite, on éprouve une respectueuse admition; on pressent pour lui, après tant de jours sombres et iageux, un doux coucher de soleil; il mourra sans doute r la terre étrangère, loin de ses chères Cévennes; mais I moins dans son exil, il ne dira pas comme plusieurs ses collègues, demeurés sourds aux appels réitérés et issants de Court: «J'ai préféré mon repos à la vie de Isteur du désert.»>

En apparence, il manque à la vie de Corteis, pour être mplète, un bûcher; si le Seigneur eût permis qu'il en it un, l'intrépide compagnon d'Antoine Court eût cerinement dit comme son vieil ami Roger: «Voici la journée ɔrès laquelle mon âme a tant soupiré!» Mais si un martyr st, ainsi que le mot grec l'indique, un témoin de Jésushrist, qui confesse son Maître devant les hommes, Coris fut certainement l'un des plus grands de ceux qui, ans l'Église sous la croix, eurent la gloire de travailler et e souffrir pour son saint nom.

Castagnols, qui vit naître Corteis, ne sait pas même auourd'hui le nom de son illustre coreligionnaire. Puissent es quelques lignes que nous sommes heureux de lui conacrer, le lui rappeler, ainsi qu'aux protestants des Céennes, du Vivarais et du Dauphiné! La reconnaissance est in devoir sacré, et le culte des souvenirs un privilége et

une vertu.

1. Borrel, Hist. de l'église réf. de Nîmes, p. 409.

« PreviousContinue »