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mort ou aux galères, ou à la prison perpétuelle, ou à la dégradation de leur noblesse, ou à des amendes pécuniaires, ou à des décrets de prise de corps.1

Par ces arrêts iniques vingt-neuf gentilshommes furent condamnés à être dégradés de leur noblesse, quatorze personnes furent bannies, quatre condamnées au fovet et à être battues de verges par le bourreau, six femmes être rasées par l'exécuteur des hautes œuvres et enfermée les unes à temps, les autres à perpétuité, deux hommes à être attachés au pilori, trente-quatre aux galères pour trois à cinq ans, six pour dix ans, cent seize, parmi les quels quarante-six gentilshommes et deux chevaliers de Saint-Louis aux galères perpétuelles, cinq à mort.

Nous écririons tout un volume, s'il nous fallait entrer dans des détails pour raconter comment tous ces infor tunés furent amenés devant les conseillers du parlement de Grenoble, parmi lesquels on cherche vainement des juges, parce que sur leur siége on ne voit que des accusateurs qui méconnaissent plus encore les droits sacrés de la défense que les tribunaux révolutionnaires de 1793 Nous fatiguerions outre mesure nos lecteurs, en les fai sant assister à chaque assemblée surprise, attaquée, échar pée et en inscrivant jour par jour les arrêts des parlement qui peuplent les prisons et les galères.*

1. Mémoire historique, p. 94 et suiv. Voyez Arrêts du par lement de Grenoble des 6, 9 et 17 février, 2 et 17 mars, 4, 5, 11, 12 et 22 mai, 28 septembre, 15 octobre et 6 novembre 1745 des 2 avril et 23 septembre 1746. Les amendes s'élevèrent 119,260 livres, et les frais de procédure à 38,348 livres 17 sols

9 deniers.

2. Assemblées surprises et écharpées: le 17 mars 1745 dans diocèse de Lavaur, le 21 novembre de la même année près Sai Hippolyte (Gard), le 8 septembre 1748 aux environs de SaintAmbroix, le 9 juin 1749 aux environs de Montmeyran en Da phiné, le 22 novembre 1750 aux environs d'Uzès, dans la nuit dt 1er au 2 mars 1752 dans la paroisse du Fau, près de Montauban le 5 novembre de la même année aux environs de Ganges, le 13 février 1753 près de Clarensac.

VIII.

La mort, ce dernier bouclier des persécutés, ne melpas toujours les protestants à l'abri de leurs oppresrs; on s'acharnait sur leurs cadavres. Le 10 avril 1749, niel Étienne, dit la Montagne, mourut à Cadenet en Proce. Au refus du curé, ses coreligionnaires l'enterrèrent a campagne dans une fosse qu'ils avaient creusée. Queles moments après, des catholiques ayant à leur tête un rurgien de la localité, se rendirent sur les lieux de l'innation, exhumèrent le cadavre et le promenèrent, une de au cou, par tout le village au son des flageolets et tambourins; à chaque station qu'ils faisaient, ils le ppaient à coups de balai: «Tiens, lui disaient-ils en l'atrophant, ce coup est pour cette assemblée où tu as , celui-là est pour celle-là. Ah! pauvre Montagne, tu ras plus au prêche à Lourmarin!>>

Là ne se bornèrent pas les outrages de ces fanatiques, suspendirent, par les pieds, le mort à un arbre, lui ourent la poitrine, arrachèrent son cœur, son foie et ses trailles, attachèrent ces débris sanglants à des bâtons et èrent ainsi en procession dans le village en criant: «Qui it acheter de la fraîchaille1?» puis ils retournèrent vers cadavre, le coupèrent en quatre morceaux et les portèat, dans des paniers, chez le chirurgien. Cette horrible hibition provoqua des plaintes, on fit semblant de pourivre ses auteurs, personne ne fut puni.2

Cette profanation de la mort et plusieurs autres avaient lieu moment où les libres penseurs parlaient de tolérance, milieu d'un monde poli, élégant, et parmi ces lettrés ins la société desquels s'agitaient des questions de liberté d'indépendance, pas une seule voix ne s'éleva pour rendiquer la liberté de conscience pour un peuple oprimé qui sanctifiait, par son héroïsme, les galères et les bets; pas un seul mot de pitié pour les victimes, et d'horeur pour leurs bourreaux ne sortit de leurs lèvres, ils issaient faire et réservaient tous leurs loisirs pour faire,

1. Mot qui en patois languedocien signifie, en terme de bouchee, issues.

2. Court, Mémoires historiques, p. 139.

ou des pièces de théâtre, ou des romans licencieux. Le scepticisme avait cautérisé leurs cœurs: que leur impor tait qu'un huguenot allât sous la casaque d'un forçat expi rer sur les bancs d'une galère?

Aux arrêts iniques des parlements, aux enlèvement d'enfants, aux profanations des cadavres, se joignaient les massacres. Montauban en 1744, Chuac et Vernoux e 1745, la Javelière en Poitou en 1747 et 1751 et plusieu autres localités furent témoins de scènes sanglantes, sang coula; les meurtriers demeurèrent impunis.

IX.

La calomnie, cette arme honteuse pour celui qui s'en sert et si dangereuse pour celui contre lequel elle est dirigée, n'épargnait pas les pasteurs du désert. «Ce sont, disaient perfidement leurs ennemis, des partisans des A glais; de tous leurs vœux ils appellent l'étranger sur le de la France, ils la lui livreraient s'il était en leur pouva de le faire.» Et les masses, qui ne réfléchissent pas, cueillaient légèrement ces bruits, et leur haine s'accros sait contre ceux qui en étaient les innocentes victims Heureusement l'esprit des pasteurs de cette époque n'éta pas celui du fougueux et belliqueux Vivens. Ils ne tiraient pas l'épée du fourreau pour se défendre contre leurs per sécuteurs; dans leur détresse ils regardaient à Celui à qui seul appartient la vengeance et ils savaient rendre à Dies ce qui est à Dieu, et à César ce qui appartient à César Louis XV n'avait pas de sujets plus fidèles, les monuments historiques sont là pour l'attester. «Soleil, s'écriait le pas teur Pradel dans une lettre à l'intendant Lenain, puissier. vous ne jamais rien voir de plus grand que la France Grand Dieu! donnez à la jeunesse des mœurs pures, donnez à la vieillesse un repos tranquille et assuré, donner enfin à la France et à l'empire français de puissantes chesses, de nombreux sujets, toute sorte de prospérité e de gloire1.>> «J'ose même dire, écrivait le même jour au même intendant, Paul Rabaut, que si jamais Sa Majeste

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1. Du désert, 31 octobre 1746. Bulletin de la Société de l'hist. du prot. franç., t. IX, p. 243.

lait faire l'honneur aux protestants de les employer ur repousser les ennemis de l'Etat, ils feraient parler

leur bravoure et Louis XV serait aussi content d'eux e Henri le Grand le fut de leurs ancêtres. » Le 7 novembre ivant, les pasteurs Boyer, Grail et Gavanon écrivent à nain et lui disent: «Si la descente qu'ont faite les Anglais Bretagne arrivait dans cette province, nous ferions les rniers efforts pour exciter les protestants à devenir proques de leur sang pour la défense des intérêts et de la ire de notre roi1.» Le ministre Viala, dans une lettre du novembre, tient le même langage; tous ils sont unaniès à protester de leur amour et de leur fidélité à leur iverain, mais ces mêmes hommes, dévoués à leur maître restre jusqu'au sacrifice de leur vie, ne sont pas libres lui sacrifier les droits de Dieu. Ils continueront donc à urrir de la parole sainte le peuple opprimé qui leur a été nfié, et ils regarderont comme non avenus les édits qui leur interdisent, ils ne le feront ni en aveugles, ni en mmes passionnés, mais dans le calme de leur conence, et quelques-uns d'entre eux rachèteront bien s faiblesses, des défaillances, en inscrivant leurs noms à té de celui des plus glorieux martyrs de l'Église primie. Suivons-les sur leurs échafauds.

X.

Le premier des prédicants du désert de cette époque, i ouvre la marche funèbre, est un jeune homme de ngt-six ans, nommé Louis Ranc. Il fut arrêté le 16 féier 1745 à Livron, d'où il fut transféré à Grenoble. Le arlement de cette ville le condamna à être pendu sur la lace du marché de la ville de Die. L'arrêt portait en outre ue sa tête serait exposée devant la porte du cabaret où il vait été arrêté. Avant sa mise en jugement, le président e la cour lui avait offert la vie s'il voulait abjurer, le eune pasteur ne daigna pas même répondre à une semlable proposition et marcha au supplice en entonnant le saume CXVIII. Il eût voulu parler au peuple, le bruit de ix tambours l'en empêcha. Il présenta alors à Dieu sa 1. Bulletin de la Société de l'hist. du prot. franç., t. IX, p. 246.

dernière prière en repoussant de la main deux jésuites qui l'importunaient de leurs obsessions; puis il se livra a bourreau, qui le pendit et lui coupa la tête. Le comman dant du Diois et le grand vicaire de l'évêque, trouvant que les juges avaient été trop indulgents, firent traîner le cor mutilé du martyr par les rues et ordonnèrent ensuite qui fût jeté dans un égout; une dame catholique dont le no malheureusement est demeuré inconnu, fit retirer le cor du cloaque et lui donna une sépulture dans l'une de sa propriétés. '

XI.

Après le jeune pasteur du désert, vint le tour d'an vieillard qui depuis cinquante ans desservait les Église avec un zèle que les années n'avaient pas ralenti un seul instant. Jacques Roger était né dans le petit village de Boissières près Nîmes; il se consacra au ministère évan gélique et desservit les Églises du Dauphiné depuis 170 jusqu'en 1711, où il sortit du royaume après avoir assis à la ruine des camisards. Il revint en France en 17150 aida puissamment Antoine Court dans son œuvre de ré ganisation. Grâce à ses efforts et à sa constance inaltérable il vit les Églises du Dauphiné renaître miraculeusemen de leurs cendres, et pendant trente ans, fatigué, mais jamais lassé de servir son Maître, il édifia ses frères, les, confirma dans la foi et leur donna, dans sa personne, modèle de charité et d'abnégation. En 1744, un synode provincial ayant arrêté qu'à l'exemple du Languedoc les assemblées auraient lieu à l'avenir en plein jour, Roger exécuta l'ordre le 7 juin de la même année, voulant prou- | ver que ses coreligionnaires n'étaient pas, comme on le accusait, une misérable poignée de fanatiques. Un immense auditoire se réunit autour de sa chaire dressée dans

1. Haag, France protestante, art. Ranc. — Mss. de Court, P. n° 17.- Ranc avait un frère, nommé Alexandre, qui fut, en 174 exécuté en effigie à Grenoble. Il continua à desservir les Églises de La Rochelle, et il laissa un fils qui, en 1780, fut nommé pasteur à Sedan et mourut à La Rochelle dans l'exercice de ses fonctions pastorales.

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