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XIII.

Le ministère de Fleury, qui succéda à celui de M. le , apporta un peu d'adoucissement à l'état des protests poitevins, toujours sous le coup de l'édit de 1724 et poursuites de Chebron, qui consigna entre les mains curé de Thorigné 3,000 livres, destinées à être données elui qui livrerait Berthelot. Ce prédicant, par son zèle stolique, maintenait ses frères dans la foi et les dispoà tous les sacrifices; grâce à ses efforts, les assemblées multipliaient, et lorsque ceux qui y avaient assisté renaient leurs foyers, ils faisaient un récit vivant, animé choses qu'ils avaient vues et entendues, et quelquefois dangers qu'ils avaient courus. Les enfants, auxquels r âge interdisait assez habituellement la fréquentation assemblées, prêtaient une oreille avide, et de bonne re ils apprenaient à aimer une religion à laquelle leurs ents donnaient de si grandes marques d'attachement; e sentiment qu'ils avaient du danger qu'ils couraient, r apprenait de bonne heure l'importance de la discré1. Un jeune garçon, à peine âgé de dix ans, interrogé une assemblée à laquelle il avait assisté à Châteauneuf, a mieux se laisser traîner en prison que de nommer

sonne.

Chebron, aidé de Gould, voulait, à toute force, faire cesser prêche, et comme il ne pouvait réussir à s'emparer de s les prédicants, il pensa qu'il arriverait facilement à fins, s'il parvenait à faire un châtiment exemplaire des ncipaux laïques qui assistaient aux assemblées; il fit nander à la cour des pouvoirs plus étendus par l'intent; la réponse ne fut pas favorable. Le Conseil ne vout pas multiplier les supplices et croyait qu'il entrait assez ns l'esprit de l'édit de 1724, en livrant au bourreau les édicants et en frappant de fortes peines ceux qui leur nnaient asile. Chebron se résigna dès lors, selon ses opres expressions, à faire beaucoup de bruit sans and mal. »*

1. Lièvre, Hist. des prot. et des Églises réformées du Poitou, l, p. 294.

2. Lièvre, t. II, p. 295.

Nous ne suivrons ni Chebron ni Gould dans leur cro sade contre les réformés de Poitou, car il nous faudra entrer dans des détails qui, tout intéressants qu'ils sont n'entrent pas dans le cadre qui nous est imposé; now nous contenterons de dire que les réformés montrère autant de persévérance à manifester leur existence leurs adversaires en mirent à la leur contester et qui sauvèrent d'une ruine certaine, par leur patiente énerg le protestantisme dans leur contrée, comme leurs fre du Languedoc dans la leur; c'est dans l'ouvrage de M.Lièv si consciencieux et si riche de faits puisés à des sourc authentiques, que nous renvoyons ceux de nos lecteur désireux de connaître plus particulièrement l'histoire de réforme dans le Poitou.

XIV.

Jusqu'en 1742 l'histoire du protestantisme français n'off rien de bien saillant, les événements du lendemain ne so guère que la répétition de ceux de la veille; mais voil tout à coup un échafaud se dresse et apprend aux réform que l'édit de 1724 est dans toute sa vigueur; celui qu monte est un vieillard septuagénaire, dont le nom, qu'ici, avait été oublié dans le martyrologe huguenot s'appelait Jean-Pierre Dortial. Il était né à Chalançon, Vivarais; son crime était avéré, il avait prêché dans désert et rempli les fonctions de son ministère. Il fut co damné à être pendu sur l'esplanade de Nîmes.

En entendant son arrêt de mort, il éleva son cœur Dieu dans une fervente prière et repoussa deux prêtre qui le suppliaient de renoncer à ses erreurs. «Laisser moi, leur dit-il, en paix; vous prenez une peine inutile arrivé à ma dernière heure, je ne veux conférer qu'ave mon Dieu. >>

La gloire d'arracher une abjuration au vieillard, exci le zèle du clergé nîmois, et Dortial se vit assailli succes sivement par dix prêtres qui se relayaient, n'ayant d'autr argument pour le convaincre, que la vue d'un crucifix celle d'une potence qui se dressait.

Quand ils furent convaincus de l'inutilité de leurs efforts l'ordre de conduire le patient au supplice fut donné;

it la corde au cou, la tête et les pieds nus, et pour tout ement une chemise; cinquante soldats armés de la mahaussée de la ville l'escortaient, précédés de neuftamrs, qui faisaient entendre le bruit de leurs caisses pour le peuple ne comprît pas les paroles qu'il prononçait. vue de son gibet il s'écria: «Mon Dieu, dresse mes ns au combat et mes doigts à la bataille! » Arrivé au I de la potence, cn lui lut de nouveau son arrêt de mort n lui demanda le nom des proposants qui étaient dans yaume. «A cet égard, répondit-il, je n'ai rien à dire », 'une voix forte il entonna le psaume xxv.

uand il eut terminé son chant, il demanda au commande la troupe de faire cesser le roulement des tamts, parce qu'il voulait faire sa dernière prière. Je vous l'accorde, répondit le commandant, à condique vous prierez à voix basse. » Il fit un signe aux bours et un silence solennel s'établit.

e vieillard tomba à genoux au milieu des regards rellis de la foule; des protestants, qui étaient près de entendirent sortir de ses lèvres ces paroles:

Grand Dieu, qui m'as fait naître pour te servir, et qui t maintenant que je scelle de mon propre sang ton agile, donne-moi, comme tu fis à mon Sauveur, ce age intrépide qu'il fit paraître lors de sa mort sur la x, afin que j'édifie, par la mienne, mes pauvres frères gémissent sous la tyrannie de l'Antéchrist, privés de la rté d'entendre ta Parole; ce sont là, bon Dieu, toutes grâces que j'ai à te demander pour le peu de temps que à rester dans cette vie; ajoutes-y la gloire éternelle s celle qui est à venir, au nom de Jésus-Christ, mon

rcesseur.»

Quand il eut achevé sa prière, le vieillard monta l'échelle chantant le psaume LI. Un prêtre monta après lui le jurant d'abjurer. Le patient, qui avait les mains attaes, ainsi que la tête, lui fit signe avec le pied de se reer; il cria ensuite: «Mon âme, bénis l'Éternel et le nom sa sainteté ; puis renforçant sa voix, il s'écria: <«< Seieur, je remets mon âme entre tes mains. » Au moment il prononçait ces mots, le bourreau s'empara de lui et complit son terrible ministère.

Une heure après, des protestants de Nîmes coupèrent la

corde, emportèrent le corps du martyr dans une aire, donnèrent pour vêtement de mort une chemise, l'enfer mèrent dans un cercueil et l'enterrèrent, après avoir e touré de chaux vive ses restes mortels, pour les dissoud rapidement, dans la crainte qu'on ne vînt les profaner. catholique, témoin de son martyre, écrivait quelques jou après: «Il est mort en chrétien, tout fanatique qu'il était

XV.

Deux ans avant le supplice de Dortial, un homme, d la mort passa alors inaperçue et qui eût été trente-qual ans auparavant un grand événement politique, s'éteign doucement et obscurément à Chelsea, près Londres homme, c'était le pâtre de Ribaute, le célèbre Cavalie

Après avoir échappé, avec ses braves camisards, vigilance de Lalande, il se réfugia à Lausanne et fut m à tous les efforts qui se firent à l'étranger pour rani l'insurrection cévenole; il accepta les offres d'Améd duc de Savoie, et servit ce prince dans un régiment réfugiés, avec le titre de lieutenant-colonel. Il visita su cessivement l'Angleterre et la Hollande, où il fut reçua une grande distinction. A la célèbre bataille d'Almana commandait, sous les ordres de Ruvigny, un régime composé en grande partie de camisards. Au moment où combat s'engage, les soldats de Cavalier se trouvent présence d'un régiment français qui a combattu dans Cévennes. Des deux côtés, avec l'instinct rapide prompt de la haine, Français et camisards s'élancent uns sur les autres à la baïonnette, sans faire feu. Ce n pas un combat, c'est un massacre; on n'entend pas seul cri, mais le cliquetis des armes; le sang coule torrents, la terre est jonchée de morts et de mourants, la lutte sanglante ne cesse que lorsque, des deux côtés, ne reste presque plus de combattants. Cavalier fut sublin de courage et de sang-froid; la mort qui l'avait si souve épargné, l'épargna encore cette fois, mais elle lui enle la presque totalité de ses braves compagnons. Ses allies

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1. Mss. de Court, P., no 17. - Bulletin de la Société de l'his du protest. franç., t. IX, 9o année, p. 341 et suiv.

2. Bulletin de la Société de l'hist. du protest. franç., t. III, p. 11

our lesquels il combattait, perdirent la bataille, et le hés camisard qui, après la victoire sur laquelle ils compient, devait pénétrer dans le Languedoc par les Pyrénées, t s'évanouir ses plus chères espérances. Il rejoignit, à ce, le prince Eugène, dont la tentative sur la Provence. houa. De là il se retira en Angleterre où il dicta ses méoires à un nommé Galli; ils sont sincères, mais inexacts. A dater de ce moment, Cavalier disparut complétement la scène politique et se maria avec la fille aînée de la lèbre Mme du Noyer, dont il n'eut pas d'enfant. Il fut mmé major général de l'armée anglaise et gouverneur Jersey; il coula des jours heureux et paisibles, et mouI en Angleterre, à Chelsea, le 18 mai 1740.

Bien des jugements ont été portés sur Cavalier; mais postérité a déjà souscrit à celui de Malesherbes: «J'avoue, t cet homme illustre, que ce guerrier, sans avoir jamais rvi, se trouva un grand général par le seul don de la ture. Ce camisard qui osa une fois punir le crime en ésence d'une troupe féroce, laquelle ne subsistait que r des crimes semblables; ce paysan grossier qui, admis vingt ans dans la société des gens bien élevés, en prit 3 mœurs et s'en fit aimer et estimer; cet homme qui, acutumé à une vie tumultueuse et pouvant être justement orgueilli de ses succès, eut assez de philosophie natulle pour jouir, pendant trente-cinq ans, d'une vie tranille et privée, me paraît un des plus rares caractères te l'histoire nous ait transmis.» '

1. Haag, France protestante, t. III, art. Cavalier.

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