Page images
PDF
EPUB

emplacements des temples de Saint-Christophe-sur-Roc la Mothe, Lusignan et Melle; Dubreuil devant la por d'une grange, dans le village de la Chenaye; Dauban su la place de Fontenay, Potet sur celle de Couhé et Bonne à Mougon.1

En prononçant ces arrêts de mort, Chebron dut regrette vivement de voir lui échapper de si belles proies; car les livrant au bourreau, il eût extirpé d'un seul coup protestantisme du Poitou, et fait, à lui seul, plus qu Marillac et ses dragons. Il dut se contenter de la tête du seul prédicant.

Dans les archives de l'église wallonne de Leyde, on récemment découvert un manuscrit important qui jette de vives clartés sur l'histoire du protestantisme dans le Poitou, depuis la révocation de l'édit de Nantes. L'auteur M. de L'Orte, qui était pasteur, raconte ce qu'il a va entendu, laissons-lui raconter le glorieux martyre prédicant Martin.

XI.

<«<Martin fut donc condamné à être pendu sur la placed temple de Benet. On lui lut la sentence trois ou quatre jours avant que de l'exécuter. Le soir que le geôlier leur décla (c'est-à-dire déclara aux autres prisonniers), qu'il deva mourir le lendemain, comme personne ne le lui disait, advint qu'en soupant, comme ils mangeaient de la salade quelqu'un dit : «Cette salade est bonne, si j'en vois passer demain, j'en achèterai;» quelques autres dirent qu'ils achèteraient aussi, Martin dit également qu'il en voulait alors les larmes vinrent aux yeux de tous ceux qui étaien présents. Martin apprit, par ce moyen, qu'ils avaient eu des nouvelles de sa mort. «Ne croyez pas, dit-il, que cela me fasse de la peine; ne savez-vous pas que j'attends cela jour en jour, ne sais-je pas qu'on ne m'a point lu ma sentence pour me laisser sortir de prison? Vous pleurez sur moi, pleurez plutôt sur vous-mêmes, vous restez dans les tribulations de cette vie douloureuse, mais Dieu me fait

1. Lièvre, t. II, p. 281.

2. Bulletin de la Société de l'hist. du protest. français, t. l\ p. 224 et suiv.

grâce de m'en délivrer, pour me faire participant de la e éternelle et bienheureuse. J'aurai quelques maux et elques douleurs à souffrir, mais qui est celui qui meurt ns douleurs? Au reste ne devons-nous pas être persuas que les souffrances du temps présent ne sont pas à ntre-peser avec la vie à venir. Bienheureux sont les orts qui meurent au Seigneur! Oui, pour certain, dit sprit, car dès maintenant ils se reposent de leurs traix et leurs œuvres les suivent; quel sera donc mon bonur de jouir en peu de temps de la béatitude éternelle!» asi, par de telles et de semblables exhortations, il les sait fondre en larmes, et au lieu qu'ils devaient le coner, c'était lui qui les ravissait en admiration. Quelquess m'ont confessé que s'ils avaient vu venir le bourreau, ur les lier et les mener au gibet, pour lors ils auraient contents de le souffrir; il leur faisait tellement bien mprendre la joie qu'il éprouvait à mourir pour la cause Seigneur, qu'ils lui enviaient presque son bonheur. rès cette conversation, qu'il accompagna d'une prière ifiante, ils se couchèrent tous ensemble sur de la paille, mme à l'ordinaire; on remarqua qu'il dormit cette nuit ssi tranquillement que s'il ne devait point mourir le lenmain. Environ les 8 heures du matin, la geôlière lui nt dire de se lever, et que les archers étaient à la porte, i l'attendaient pour le transporter à Benet. «C'est à ce up, dit-il, mes frères, qu'il faut se dire adieu, non pas our toujours, car j'ai espérance de vous revoir dans le yaume des cieux, où je vais maintenant prendre place, oyennant la grâce de Dieu, à laquelle je me suis toujours ecommandé et me recommande encore, et à laquelle assi je vous recommande. Vivez toujours en la crainte de ieu, suivez les enseignements que je vous ai donnés, orsque j'ai eu l'avantage de prêcher au milieu de vous; oyez certains que cet Evangile que je vous ai annoncé, est e véritable Evangile du Fils de Dieu, c'est celui duquel aint Paul dit : «Que si lui ou un ange de Dieu vous en anonce un autre, qu'il soit anathème;» c'est celui pour le soutien duquel tant de bienheureux martyrs ont répandu leur sang; c'est aussi pour le soutien du même Évangile, que je répands aujourd'hui le mien; ce que j'ai prêché de bouche, je le scelle aujourd'hui de mon sang; ce n'est

plus le temps de feindre, car il me faut comparaître devant le siége judicial de Dieu; si je croyais que ce ne fût pas véritable religion, que celle que j'ai enseignée et professée je vous le dirais, mais j'en suis aussi certain que je sus sûr de mourir aujourd'hui pour sa défense, et vous n pouvez renoncer sans renier le Fils de Dieu. A quelqu peine donc que l'on puisse vous condamner, souffrez-le av courage, soyez fidèles à Celui qui n'a point épargné sang pour vous.» (Ce qu'il disait parce qu'il ne savait p s'ils seraient délivrés ou non, comme aussi il y en quelques-uns qui ne le furent pas.)

«Cette exhortation, qui faisait fondre en larmes tous! auditeurs, aurait sans doute duré plus longtemps, s geôlière n'était venue pour la seconde fois lui dire quel archers étaient à la porte de la prison, qui le demandaien Il dit qu'il ne quitterait pas ses frères, qu'il n'eût encore une fois fait la prière avec eux; ils se jetèrent donc à noux, et il commença à prier, mais on ne le laissa pas fini S'étant relevé, il embrassa quelques-uns de ceux étaient auprès de lui, non pas tous, car on ne lui dona pas le temps; on le fit sortir de la prison, et le bourreau s'étant saisi de lui, le fit monter sur un cheval qui l'atte dait à la porte de la cour de la prison, là où sa femme la liberté de le voir et de l'embrasser pour la derniè fois.

Comme ils le liaient sur ce cheval, et que Chebron s'a prêtait, avec quelques autres de la cabale, pour le co duire avec les archers à Benet, il s'adressa à sa femme peu près en ces termes: «Je te prie de te consoler a Seigneur; souviens-toi que je ne souffre pas pour aucu mal que j'ai fait, mais pour avoir prêché et annoncé l'Évan gile du Fils de Dieu. Si j'avais blasphémé et outragé saint nom de Dieu, on ne me ferait point mourir; mais o persécute les fidèles, parce qu'ils s'assemblent pour prie Dieu et s'exhorter mutuellement à faire le bien. Afin d'avoir un prétexte pour me faire mourir, on m'accuse d'avoir prêché la sédition, la rébellion contre le roi, et d'avoir dit que nous tremperions nos mains dans le sang des ca tholiques romains, comme si notre religion avait été quelquefois sanguinaire: ce sont là des calomnies si noires el si connues, que je ne demande pour témoins que ceux de

glise romaine qui sont un peu de bonne foi et qui m'ont lendu. Ainsi je t'exhorte, ma chère femme, à vivre et à urir dans cette sainte religion, que j'ai toujours proséc et enseignée; sois assurée que c'est là la véritable, conduit au salut; aie soin d'y bien élever nos enfants, rime-leur de bonne heure la crainte de Dieu dans le ur et l'obéissance pour leur souverain, car c'est notre gion, que la crainte de Dieu et l'amour pour le roi. >> I dit encore plusieurs autres choses, mais le bruit que aient les archers et les bourreaux qui le liaient ne pertait pas de l'entendre. Enfin ils partirent de là et on le na à Benet, qui est à deux lieues de Niort; il y avait prêtre, qu'on avait aussi fait monter à cheval pour l'adhester, lequel allait à côté de lui. Martin partit en priant u et en chantant les louanges du Seigneur. Le prêtre ait tout ce qu'il pouvait pour le troubler, tant qu'il lui qu'il s'étonnait qu'il voulût l'empêcher de prier Dieu. ne sait quel fut son entretien pendant le chemin et qu'ils furent arrivés au lieu, parce qu'il n'y avait perne de la Religion avec eux, et que ceux qui y étaient 1 ont rien dit qui soit venu à notice, sinon qu'étant vés à Benet, ils ne trouvèrent personne, car tous ceux la Religion et plusieurs des catholiques avaient abanné cet endroit. Le bourreau eut beaucoup de peine à iver une échelle, ce qui les arrêta longtemps en ce lieu nt de faire l'exécution. Il ne faut pas douter que ce nheureux martyr du Seigneur n'eût encore en ce lieu sieurs saints et salutaires entretiens, mais il n'y avait sonne pour en faire le rapport. Après l'exécution, ils aissèrent à la potence, où il fut quelques jours; mais in ceux de la Religion l'enterrèrent. Voilà la fin heuse de ce champion de Jésus-Christ. »

XII.

La mort du prédicant, loin de décourager les protests, raviva leur zèle; les assemblées continuèrent, mais es eurent lieu pendant la nuit ou de jour, dans des bois rtés; quelle que fût leur vigilance, elle fut déjouée Chebron, qui fit des prisonniers, parmi lesquels deux dicants, François Duronet et Thomas Potet; le premier

abjura lâchement sa foi, le second mourut en héros chré tien et laissa dans le Poitou une mémoire bénie, qui s conserve encore. Pendant longtemps les protestants cette province chantèrent son martyre dans une com plainte populaire.1

Chebron n'était pas encore content; une tête lui ma quait, celle du fameux prédicant Berthelot. En park de lui, il disait : «S'il est pris, tout sera tranquille. n'oublia rien pour le découvrir. Trois mille livres fure offertes à un huguenot s'il le livrait; ce misérable accept mais il ne put tenir ce qu'il avait promis; Chebron sem alors à la recherche du prédicant et parcourut tous les lages des environs de Saint-Maixent et de Lezay; quad se croyait sur ses traces et sur le point d'atteindre sa pra elle lui échappait, car les protestants poitevins veilla sur la vie de leur pasteur bien-aimé et faisaient courir dessein le bruit qu'il était passé en Angleterre.'

A cette époque parut le trop célèbre édit de 1724, sema l'épouvante parmi les protestants du Poitou; les pl hardis continuèrent néanmoins leurs assemblées, les tres envoyèrent leurs enfants aux écoles catholiques; m un mois après ils les retirèrent, et l'émigration reces mença. Un certain abbé Gould, qui était à Du Chayla ce Chebron était à Bâville, aidait le subdélégué dans œuvre. Témoin de la tenue des assemblées et de l'émigr tion, il ne savait pas contenir sa colère, et écrivait à tendant (28 juillet 1727): «C'est une chose étonnante le procédé le plus hardi dont on puisse être capable, de faire des assemblées et vendre ses meubles et autre effets pour passer en Angleterre et en Hollande depuis déclaration du roi3!» Gould était scandalisé de la condu de M. de Marbœuf, curé de Pouzauges. Cet ecclésiastiq mangeait et buvait avec les réformés et ne dénonçait deux ou trois prédicants établis à sa porte. Gould dénon le pacifique curé à l'intendant et au procureur général

[ocr errors]

Bulletin de la Société

1. Archives de la Vienne, c. 2, 32. protest. franç., t. IV, p. 236. Lièvre, t. II, p. 284-285. 2. Archives de la Vienne, c. 2, 33. Correspondance de Ch bron, Journal de son voyage, t. II,

p. 286.

3. Edit de 1724. Lièvre, t. II, p. 283.

« PreviousContinue »