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blottit derrière une cheminée. Le lendemain, à l'aube du jour, une sentinelle l'aperçoit : «Descends, lui crie-t-elle ou je te tue. » Le marchand de soie, saisi de frayeur, à la vue du fusil braqué sur lui, quitte son asile et vient se li vrer aux soldats.1

Un grand nombre d'arrestations furent immédiatemen opérées. Le lendemain, quand on connut les événements de la nuit, les protestants furent terrifiés; un moment, la vue de la ville occupée par les milices bourgeoises sillonnées par de nombreuses patrouilles, ils crurent êtr à la veille d'une Saint-Barthélemi. Les nouveaux convertis craignant d'être compris dans le massacre, se pressèren aux portes des églises des faubourgs, celles de la ville étant fermées, pour se confesser et communier.2

VI.

A la nouvelle de ces arrestations, Bâville et Berwick ar rivèrent en toute hâte de Montpellier (20 avril 1705) purent se convaincre du péril que l'État avait couru, quan ils tinrent dans leurs mains tous les fils de cette vaste con spiration; mais quelque importante que fût la capture trois des principaux chefs de complot, le plus important Catinat, manquait. On savait cependant qu'il était à Nimes Berwick promit cent louis d'or à celui qui le livrerait, sa grâce à celui qui le recélait, pourvu qu'il le dénonça avant la perquisition générale qui allait se faire, sinon serait pendu devant sa porte. 3

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Catinat, soit à cause de la terreur de son hôte, soit qu'i se défiât de lui, sortit de sa maison, entra dans la boutique d'un barbier, se fit raser, poudrer, et singeant le gentil homme, il se dirigea vers la porte Saint-Antoine, tenan un papier à la main et faisant semblant d'être absorbé dans sa lecture. Le capitaine de garde, frappé de sa physiono mie, l'arrêta. On l'examina attentivement, mais personne ne le connaissant, son identité ne put être constatée. Le

1. Louvreleuil, t. IV, p. 59. 2. Louvreleuil, t. IV, p. 56. de Nimes, p. 365 et suiv..

3. Court, t. III, p. 144.

Borel, Hist. de l'Église réformée

uit cependant se répandit qu'il était pris, et bientôt les fants se mirent à crier, dans les rues: «Catinat est pris! linat est pris!» On se précipita vers le corps de garde; nommé Anglejas dit : «Je le reconnais, c'est Catinat. » fouilla le chef camisard et dans sa poche on trouva une tre sur l'enveloppe de laquelle étaient écrits ces mots : Monsieur Morel dit Catinat »; on n'eut plus de doute.' Bâville, transporté de joie, n'attendit pas qu'on lui enât le prisonnier.... Il courut vers lui comme le tigre 's sa proie. Berwick l'accompagnait. A la vue du marél, Catinat demanda à lui parler en secret. Quand ils ent seuls, il lui proposa l'échange de sa personne contre le du maréchal de Tallart, qui avait été fait prisonnier à nheim. Le maréchal, qui s'attendait à d'importantes rélations, lui dit en ricanant: «Si tu n'as rien de meilir à me dire dans quatre ou cinq heures, tu auras les cassés. » En quelques minutes les juges de Bâville fuit sur leurs siéges, et le simulacre du procès des priiniers commença. Avant de les conduire au lieu de leur oplice, on les soumit à la question ordinaire et extraoraire. Ravanel fut héroïque; il lassa ses bourreaux, qui, pouvant lui arracher ni un soupir ni une rétractation, régèrent leur horrible opération. Jonquet, comme Ranel, fut héroïque et ne fit que des aveux insignifiants. finat se troubla dans ce moment suprême de sa vie; la olence de ses douleurs lui arracha des dépositions qui mpromirent quelques personnes. Le plus jeune de tous, las, aurait fait, si nous devions en croire Louvreleuil, Es révélations plus complètes encore que celles de Catit; cependant il semble permis d'en douter, quand nous tendons ce jeune Cévenol répondre à Bâville, qui lui emandait comment il se trouvait mêlé à de pareils scéléts: «Ah! Monsieur, plût à Dieu que j'eusse l'âme aussi elle qu'eux ! »

Quand les bourreaux eurent terminé leur tâche, les ges continuèrent la leur: tous d'accord pour leur livrer Es prisonniers, ils différaient d'opinion sur la manière de Es faire mourir. Catinat surtout les préoccupait: à ce grand

1. Archives de la guerre, vol. 1906, no 236. - Lettres de Berick, vol. 1906, nos 238, 246 et 252. Trois lettres de Bâville.

coupable il fallait un grand supplice; celui de l'écartelle ment fut proposé; il parut trop doux et on lui préféra celu du feu, plus cruel et plus long; l'un des conseillers opin même pour qu'on lui arrachât d'abord la langue, en punition de ses blasphèmes'. Il eut donc, ainsi que Ravanel, po son lot, le bûcher; Vilas et Jonquet, pour le leur, la rou Il était nuit quand le président prononça sa sentence Baville remit l'exécution au lendemain, dans la crainte, Brueys, que les protestants ne contestassent l'identité de condamnés, s'ils étaient exécutés aux flambeaux. L'histo rien apostat émet une opinion ridicule; car la cause qu détermina Bâville se trouve dans la crainte d'un soulève ment; aussi l'intendant, au lieu de désigner l'esplans pour lieu de l'exécution, indiqua le bout du cours, vis vis les glacis du fort, «afin, dit Court, que les soldats la garnison fussent à portée de donner du secours en qu'il y eût quelque soulèvement. >> 3

VII.

Les condamnés furent ramenés dans leurs prisons, ils passèrent la nuit; Ravanel, Jonquet et Vilas fure calmes; Catinat, soit que ses souffrances corporelles fus sent plus vives, soit peut-être le remords de la lâcheté qu lui avait fait dénoncer ses complices, était extrêmemen agité et ne retrouvait pas, en face de la mort, l'impass bilité qu'il avait sur un champ de bataille.

Le mercredi 19 avril, à dix heures du matin, les quatr condamnés furent conduits au lieu de leur exécution, milieu d'une foule immense, parmi laquelle on reconnais sait les protestants à la tristesse de leur visage. Bâville avait pris ses précautions pour que tout se passat dans plus grand ordre. Des tambours, qui ne cessèrent de bat tre, couvrirent la voix des condamnés, qui auraient pa faire entendre quelques révélations compromettantes pour l'État, et des soldats rangés en haie, la baïonnette au bout

1. Louvreleuil, t. IV, p. 83, 21 avril 1705. Ernest Moret, t. III, p. 133.

2. Les trois quarts de la population nîmoise étaient pour le parti protestant.

3. Court, t. III, p. 149.

a fusil, ôtèrent aux mécontents toute idée de soulèveent.

Vilas fut exécuté le premier, à cause de son extrême unesse; il mourut en héros, comme Jonquet, dont les embres encore palpitants furent jetés (ainsi le voulait la ntence) dans le bûcher sur lequel Ravanel et Catinat ient attachés. Unis pendant leur vie, ces deux chefs le rent dans la mort; leur supplice fut affreux. Comme le 1 s'allumait lentement, la nuit ayant été pluvieuse, des nmes, les unes par compassion, les autres par fanatisme, ururent chercher des fagots et les jetèrent dans le bûcher; flamme brilla et monta le long du poteau. Ravanel, imssible comme une statue de marbre, regardait faire; quand se sentit atteint par les flammes, il entonna un psaume ane voix mâle et forte et ne cessa de chanter qu'au moent où le feu, plus fort que sa volonté, ferma ses lèvres. tinat, plus ferme devant le bûcher que devant la quesn, souffrit en silence, sans pousser un cri; mais ses uleurs furent plus atroces que celles de son frère d'ares, car le vent, qui écartait les flammes de son côté, plongeait son supplice. Les membres de Ravanel étaient jà calcinés et il était encore plein de vie; par moments camisard s'impatientait, s'agitait, c'était horrible à voir, cependant, durant sa longue et douloureuse agonie In'entendit pas sortir, du milieu de la foule des cathojues, un seul cri de pitié et de compassion.1

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Telle fut, dit Louvreleuil, la détestable fin de ces quatre igands; ils allèrent où va le chemin qu'ils avaient pris; furent payés du maître qu'ils avaient servi, je veux dire 'ils tombèrent entre les mains du démon qui paya, de s noires fureurs, de ses tisons ardents et de ses cruautés ernelles, l'obéissance qu'ils avaient rendue à ses suggesons criminelles. »2

Nous n'acceptons pas le jugement du bon Louvreleuil, sans vouloir nous constituer l'apologiste des quatre chefs misards, nous croyons que ceux qui les condamnèrent 'eurent ni leur courage ni leur héroïsme. Bâville, qui essaille de joie à la vue des restes calcinés de Ravanel,

1. Brueys. Louvreleuil. Court. hist. du prot. franç., t. II, p. 461. 2. Louvreleuil, t. IV, p. 92.

Bulletin de la Soc. de

vaut-il mieux que Ravanel? Fléchier, qui se mêle à la foule des curieux pour voir comment meurent les cami sards, a-t-il une âme plus noble, un cœur plus intrépide que ceux dont les cris de douleur ne réveillent pas un écho dans son cœur de prêtre?

VIII.

Après l'exécution des chefs, vint celle des autres conju rés; pas un seul ne fut épargné. - Alison fut condamné la roue et ses biens furent confisqués; sa maison, qui étai l'une des plus belles de la ville, ne fut pas démolie, pare qu'elle n'était pas entièrement payée. L'armurier Jacque Rougier, qui avait vendu des fusils aux conjurés, fut penda L'échafaud était en permanence; des hommes de tout y montaient, la plupart coupables d'être suspects. Le même jour voyait mourir le jeune homme et le vieillard, le père et le fils. Parmi ceux qui furent capturés, se trouvait le jeune Francezet; il avait à peine vingt ans ; montagnard habile, avait des pieds de cerf et un cœur de lion. Parmi les misards dont l'intrépidité n'a pas été surpassée et ne sera pas, il était cité parmi les plus braves; il courait combat comme à une fête. Poursuivi par les soldats mis sa recherche, il leur échappait sans cesse en sautant fossé en fossé comme le plus habile maître de gymnas tique; quand il se voyait près d'être atteint, il lachait coup de fusil et un homme tombait roide mort ou baign dans son sang. «Il eût été amusant, dit Antoine Court s'il n'y avait eu rien de tragique, de voir plusieurs officiers trente dragons et cinquante Suisses, aux trousses d'u jeune homme de vingt ans sans pouvoir l'atteindre, e lorsqu'ils étaient prêts à mettre la main dessus, de voir celui-ci franchir un fossé et se délivrer par là d'un danger qui semblait inévitable; il fit ce manége plusieurs heures de suite et jusqu'à ce qu'il eût fini sa munition. Il crut alors devoir prendre la fuite et gagner du côté de Milhaud. où le terrain est encore plus coupé de fossés. Il laissait fort loin tous ceux qui le poursuivaient, et ils l'allaient perdre de vue pour toujours, lorsqu'un paysan se mit en devoir de venir à leur secours. Il se cacha adroitement derrière une muraille où il prévit que le fuyard serait

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