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HISTOIRE

DE LA

RÉFORMATION FRANÇAISE.

LIVRE XXXVI.

I.

Fidèle à son passé, le clergé travailla sans relâche à son œuvre de destruction, et demanda au pouvoir séculier de lui prêter main-forte. Dans sa célèbre assemblée, tenue en 1665, il révèle ses plus secrets desseins; il tient tantôt pour non avenus les édits rendus en faveur des protestants, tantôt il leur attribue un sens qu'ils n'ont pas. Jusqu'à cette époque, malgré l'état d'opprobre dans lequel les dissidents étaient tombés, ils faisaient encore des prosélytes. Il veut détruire le mal dans ses racines et demande qu'il ne soit plus permis à l'avenir aux catholiques de renoncer à leur religion pour professer la foi réformée, attendu, dit-il naïvement, que cette liberté ne leur a jamais été accordée par les édits ».'

La supériorité intellectuelle des protestants l'importunait. Il sortait de leurs universités, de leurs colléges et de leurs académies de nombreux écrivains qui défendaient leur foi autant par l'éclat de leur talent que par l'honorabilité de leur vie; la gentilhommerie protestante était éclairée, instruite, la bourgeoisie l'était aussi, et dans les rangs les plus inférieurs du protestantisme on trouvait peu de personnes qui ne sussent lire et écrire. La Bible et les livres d'édification et de controverse étaient lus 1. Article I.

dans la masure du laboureur et dans la mansarde de l'ouvrier. Il réclama donc la suppression des universités, des colléges et des académies protestantes.'

Les consistoires, au moyen des biens qu'ils possédaient, pourvoyaient à l'entretien du culte et contribuaient, dans une certaine mesure, à celui des colléges et des acadé mies; le clergé pensa qu'en les leur ôtant, il les affaiblirait; il supplia le roi de les leur enlever et d'en faire tel usage qu'il lui semblerait bon.*

Les chambres mi-parties' étaient, pour les réformés, une garantie de la bonne exécution des édits, le clergé réclama leur incorporation aux parlements; c'était supprimer le cours de la justice à leur égard et les mettre hors la loi en leur donnant, pour juges, leurs propres

ennemis.'

Le clergé désirait voir la démolition du dernier temple réformé, et chanter un Te Deum sur ses ruines; il supplia le roi d'ordonner aux protestants d'abattre celles de leurs églises qui seraient trop près de celles des catholiques, afin de ne pas les troubler dans l'exercice de leur culte; il apporta un adoucissement à cette mesure en permettant aux réformés de les rebâtir ailleurs.

Jusqu'à cette époque les deux communions avaient contribué chacune à l'entretien de leur culte respectif; le clergé veut qu'à l'avenir les protestants contribuent à celui des catholiques sans que ces derniers contribuent à celui des protestants'. Les réformés manquaient quelquefois de pasteurs et en obtenaient des académies étrangères, surtout de celles de la Suisse française. Le clergé demanda au roi qu'à l'avenir les Français d'origine, seuls, pussent exercer le ministère, c'était le moyen de ruiner quelques communautés en les privant de leurs conducteurs spirituels.

Le clergé, enfin, méconnaissant les droits les plus sacrés de la nature, hâta la majorité des enfants protes

1. Article IV.

2. Article VII.

3. Les trois, dont le clergé demandait la suppression, siégeaient à Castres, à Toulouse et à Grenoble.

4. Article IX. 5. Article XVI. 6. Article XVI.

tants, et demanda qu'ils pussent abjurer à neuf ou dix ans', c'était une porte ouverte à la séduction et aux enlèvements d'enfants.

II.

Cinq ans après (1670), les évêques se réunirent de nouveau en assemblée générale; comme leurs demandes avaient paru excessives, ils présentèrent un mémoire dans lequel il les justifiaient article par article et en formulèrent de nouvelles. La cour, d'ailleurs, dont les refas n'avaient été que partiels, se montrait disposée à les seconder. Ils proposèrent donc que dans les écoles protestantes l'instruction se bornât à la lecture, à l'écriture et au calcul, le reste, tel que l'histoire, la géographie, lui paraissait un luxe inutile. Le but caché de cette demande, était de détruire la pépinière d'où sortaient les pasteurs, les régents et les maîtres d'école.

L'attention des membres de l'assemblée se porta ensuite sur un point qui depuis longtemps leur paraissait de la plus haute importance, celui de la prédication. Ils redoutaient ces chaires huguenotes, du haut desquelles se donnait un enseignement diamétralement opposé au leur. Ils supplièrent le monarque de défendre aux ministres de prêcher ailleurs que dans le lieu de leur résidence. Ils poursuivaient deux buts: 1° celui de priver beaucoup d'annexes des avantages de la prédication; 2° celui d'empêcher les pasteurs, qui jouissaient d'un grand renom d'éloquence, de visiter et de consoler les églises, et de prêcher devant les synodes quand l'assemblée serait réunie hors du lieu où ils exerçaient leur ministère. Ils réclamaient une pénalité contre le pasteur contrevenant; outre l'amende, il devait être interdit pendant dix ans de ses fonctions.'

Les prélats attirèrent l'attention du monarque sur des étrangers qui exerçaient en France les fonctions de ministres, de régents, de précepteurs, et déclarèrent qu'il était avantageux pour la paix publique de les faire sortir

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du royaume; ils rappelèrent que ceux qui avaient le plus soutenu l'hérésie, étaient venus de Genève, et ils citaient Lefaucheur, Mestrezat, Chauve, Rousselet.'

Aveuglés par la haine qu'ils portaient à la Réforme, ils méconnurent les principes les plus élémentaires de la justice. De tous temps, les biens des débiteurs ont été le gage de leurs créanciers. Les Romains, barbares dans leurs mœurs, s'étaient inclinés devant le droit et c'est par là, plus que par leurs conquêtes et leurs monuments, qu'ils sont véritablement grands. Les prélats se crurent plus puissants que le droit, et demandèrent que les protestants, qui se feraient catholiques, ne pussent être forcés, par leurs créanciers, de payer leurs dettes avant trois ans'. C'était un appât qui devait tenter beaucoup de réformés. Il leur ouvrait les moyens de se libérer temporairement et plus tard complétement, puisque les poursuites dirigées contre eux, devaient être jugées non par les chambres mi-parties, mais par les tribunaux catholiques.

Jusqu'à cette époque, le foyer de la famille protestante avait été fermé légalement aux prêtres; ses membres pouvaient y mourir en paix, assistés de leur ministres, de leurs parents, de leurs amis. Les évêques, voulant y pénétrer, supplièrent le roi de permettre au curé de la résidence du malade de pénétrer auprès de lui, pour lui demander s'il veut mourir dans la religion prétendue réformée. Ils ne bornèrent pas là leurs demandes, ils voulurent forcer les tuteurs des enfants, dont les pères et mères seraient morts dans la religion catholique, de les élever dans la foi de leurs parents'. Ils demandèrent de plus qu'on obligeât les protestants à ne pas traverser les rues et les places publiques «avec convoi et suite», sous prétexte d'aller baptiser un enfant ou célébrer un mariage. Il est important, direntils, de ne pas souffrir tout ce qui flatte les peuples et leur enfle le cœur, quand ils voient qu'ils ont les mêmes honneurs dans une religion tolérée dont jouissent les catholiques dans celle du prince. En un mot, quand ils sont

1. Mussard à Lyon, Michelly à Couches en Bourgogne, Bernard et Sarazin en Dauphiné, Bacuet en Poitou, de Tournes et du Toit en Vivarais, etc.

2. Article XXIV. 3. Article XXIX.

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