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tembre 1685, les dragons entrèrent dans la ville; c'était un dimanche: les protestants étaient réunis au temple. Dans ce moment solennel, Cheyron, qui occupait la chaire, s'inspira de la situation et fut pathétique et éloquent. «Jurons, s'écria-t-il, en s'adressant à ses auditeurs, que nous serons fidèles à Jésus-Christ jusqu'à la mort.»> «Nous le jurons tous,» s'écrièrent-ils en levant les mains au ciel, pleurant et sanglotant. Le lendemain, les portes du temple furent fermées; deux jours après, Noailles arriva, et la dragonnade commença. Les réformés eussent peut-être fourni quelques nouveaux martyrs à l'Église; mais l'homme, qui, du haut de sa chaire, les avait engagés à mourir plutôt que de renier leur foi, abjura; la foule l'imita et se précipita vers les bureaux de conversion établis par le duc. Là, on leur délivra une carte de catholicité, qu'ils mettaient sur leur chapeau : elle les garantissait de la visite des dragons et leur permettait de vaquer à leurs affaires, sans crainte d'être inquiétés.

Noailles triomphait. Il envoyait des listes de conversions. Un jour c'était l'église de Nîmes qui avait abjuré tout entière avec cinq de ses ministres; un autre jour c'était Montpellier; encore quelques semaines, et le Bas-Languedoc sera délivré de la lèpre de l'hérésie. Il n'est pas étonnant que Louis XIV ait cru qu'il n'y avait plus de réformés dans son royaume.

Après la réduction de Nîmes à la foi catholique, on voyait dans les rues un homme à la physionomie sombre et triste: c'était Cheyron. Il avait échangé sa robe de ministre contre les insignes de consul. Son troupeau ne lui pardonnait pas sa lâcheté ; quand il passait dans les rues, il entendait retentir à ses oreilles les mots de traître et de Judas; néanmoins il ne se vengeait pas, et refoulait au dedans de lui-même les sentiments qui l'oppressaient. Son esprit était vif, pénétrant, mais son cœur était faible et le rangeait dans la classe de ces timides qui n'ont pas le courage de confesser Jésus-Christ. Un jour, en allant à sa métairie, il entendit crier: au loup! Il interrogea un paysan, qui lui dit ironiquement: «On hue un berger qui a livré au loup son troupeau.»

Cette parole ne le fit pas rentrer en lui-même. Cheyron acheva dans l'obscurité et la tristesse une vie si brillam

ment commencée. Il mourut avec Paulhan, son compagnon d'apostasie, à la fin du siècle.1

Nous avons raconté les manœuvres du clergé. Nous l'avons vu à l'œuvre avec ses desiderata, ses réunionistes, ses controversistes, son avertissement pastoral et ses dragons. Il nous faut maintenant revenir en arrière et voir comment il fut aidé par la cour et les parlements.

Nous avons cherché à nous orienter dans cette volumineuse procédure, dont le dossier ne contient pas moins de quatre cents arrêts, déclarations, sentences de présidiaux, édits, etc. Nous avons interverti l'ordre chronologique, afin de mieux classer nos pièces, et en ramenant les espèces au genre, notre récit gagnera en brièveté et en clarté.

XIV.

L'édit de Nantes accordait aux réformés des chambres mi-parties. Cette garantie d'une bonne et sage administration de la justice leur fut, peu à peu, enlevée. On infligea d'abord des humiliations aux conseillers protestants, en leur défendant de paraître, sur leur siége, avec les insignes de leur dignité. Plus tard, en cas d'absence et de récusation des présidents, on donna la préséance aux conseillers catholiques sur les réformés, quoique ces derniers fussent plus âgés qu'eux. La chambre de Castres fut trouvée trop tolérante; on l'incorpora au parlement de Toulouse. On restreignit ensuite la juridiction des chambres de l'édit, en attribuant aux parlements la connaissance de toutes les affaires des communes, lors même que la majorité des habitants serait réformée, et que les consuls seraient mi-partis. Déjà, à cette époque, on commençait à dire que toutes les communautés protestantes

1. Borel, Hist. de l'église réformée de Nîmes. protestante, art. Cheyron.

2. Elles portaient le titre de chambres de l'édit.
3. Déclaration royale (20 octobre 1634).
4. Idem (18 janvier 1635).

5. Arrêt du conseil (1er septembre 1662).

Haag,

France

étaient présumées être catholiques'. Deux ans après, les chambres de Rouen et de Paris furent supprimées. Le dernier rempart des réformés contre l'injustice de leurs ennemis fut abattu; toutes les chambres mi-parties furent incorporées aux parlements.*

XV.

Les colloques et les synodes provinciaux et généraux étaient un lien puissant qui reliait entre elles les églises. Faibles individuellement, elles étaient fortes, unies entre elles; ce côté de leur existence n'échappa pas à l'œil vigilant de leurs ennemis, qui cherchèrent à les isoler. Les colloques étaient des assemblées devant lesquelles l'usage s'était introduit, de porter les affaires qui n'avaient pu être jugées par les consistoires, de sorte qu'elles étaient devenues un degré de juridiction entre les consistoires et les synodes provinciaux. On défendit leur tenue'. Pendant longtemps la cour n'était pas intervenue dans lesaffaires qui se traitaient dans les assemblées synodales, elle avait laissé leurs membres discuter et délibérer en pleine liberté; mais, sous le prétexte qu'ils pourraient traiter des questions autres que celles qui se rapportaient à la foi et à la discipline, elle leur imposa la présence d'un commissaire royal, et pour leur faire sentir leur dépendance, elle cassa les décisions du synode de Charenton, qui avait suspendu de ses fonctions un ministre intrigant. Quatorze mois plus tard, elle leur porta un coup non moins sensible, en ôtant aux synodes le droit qu'ils avaient de juger en dernier ressort, en matière de discipline: elle permit aux condamnés de se pourvoir, non aux chambres de l'édit, mais au conseil, par voie de plainte et de requête; cet arrêt supprimait de fait l'autorité de ces corps ecclésiastiques.

1. Arrêt du conseil (17 novembre 1664). 2. Édit royal (21 janvier 1679).

3. Drion, Hist. chron., t. II, p. 50, 51. 4. Arrêt du conseil (26 juillet 1657).

5. Idem (18 juin 1763). 6. Idem (6 avril 1675).

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Le ministre s'appelait Dallemagne.

Jusqu'à cette époque, les synodes se réunissaient en vertu de la loi; la cour leur enleva cette liberté et se réserva le droit de l'accorder ou de la refuser'; plus tard tous ces débris de liberté leur furent ravis.

XVI.

Les réformés devaient leur supériorité intellectuelle à la manière dont ils avaient organisé l'instruction; ils avaient de nombreuses écoles primaires, des colléges florissants et des académies qui avaient, à leur tête, des docteurs renommés; leurs ennemis, envieux de leur prospérité, travaillèrent activement à leur ruine; leur premier essai, dans cette voie, fut une spoliation. La cour ordonna que les colléges réformés, qui avaient été fondés par les protestants seuls, appartiendraient à l'avenir, par moitié, aux catholiques, et que les maîtres seraient choisis dans les deux cultes. Deux ans plus tard, elle défendit aux protestants de Metz de fonder un collége, et ne leur accorda que le droit d'avoir des maîtres pour apprendre aux enfants à lire, à écrire et à calculer. Cinq ans plus tard elle défendit à ceux de Rouen, d'avoir des écoles dans cette ville et dans les lieux où l'exercice du culte n'était pas permis; elle fit un pas de plus, et décréta que dans le college protestant de Melle tous les régents seraient catholiques. Il eût été plus loyal de supprimer l'établissement et de faire comme la chambre de l'édit de Rouen, qui fit fermer l'école des filles de cette ville, et le parlement de Pau, qui supprima le collége de Ber

gerac.'

Malgré le malheur des temps, la gentilhommerie protestante de la province était encore très-nombreuse; son éloignement de la cour l'avait garantie des deux vices do

1. Déclaration royale (10 octobre 1679).

2. Idem (25 juillet 1635).

3. Arrêt du conseil (25 juillet 1635).

4. Idem (6 février 1640).

5. Arrêt du parlement de Paris (7 septembre 1643). 6. Arrêt de la chambre de l'édit (23 janvier 1647). 7. Arrêt du conseil (2 avril 1666).

minants qui y régnaient, l'hypocrisie et l'immoralité. Ses enfants, élevés dans des académies protestantes, y puisaient des connaissances solides, variées; la cour, jalouse de leur supériorité intellectuelle, supprima les académies et ne cacha pas, dès lors, son projet de réduire l'enseignement protestant à un simple enseignement primaire3, et de le restreindre encore en n'accordant aux réformés qu'une seule école et un seul maître dans les lieux où l'exercice de leur culte était permis.*

Les colléges n'existaient plus de fait, car, en y introduisant l'élément catholique, ils n'avaient plus de raison d'être. Quant aux académies, on les supprima, parce qu'il eût été impossible de donner à des étudiants protestants des professeurs catholiques. Celle-de Sedan le fut le 9 juillet 16814; celle de Die, le 11 septembre 1684'; celle de Montauban, le 5 mars de la même année; celle de Saumur, le 8 janvier 1685.

Les protestants avaient autant d'éloignement pour la messe, que les catholiques avaient de vénération pour elle. Aux yeux des premiers, elle était une odieuse profanation de l'institution de la Sainte-Cène; aux yeux des seconds, elle était une preuve de l'amour que Dieu portait à leur église, puisqu'il permettait à son Christ d'être au milieu d'elle par sa présence corporelle. Les grandes controverses avaient lieu autour de la table sur laquelle le Sauveur, la veille de sa mort, éleva le monument immortel de son immortel sacrifice. Ainsi, pendant que les protestants traitaient d'idolâtres les catholiques, ceux-ci les traitaient de profanateurs et ne laissaient échapper aucune occasion de les molester. La cour leur vint en aide par un arrêt du conseil ordonnant aux réformés de saluer le Saint-Sacrement et de se mettre à genoux quand il passerait par les

1. Arrêt du conseil (2 avril 1666). 2. Idem (4 décembre 1671).

D'après cet arrêt un grand nombre d'églises, dont la population était très-nombreuse, étaient privées de fait du bénéfice de l'instruction.

3. Arrêt du conseil.

4. Idem.

5. Idem.

6. Idem.

Cette académie avait été transférée à Puylaurens depuis 1609, à l'occasion de troubles survenus à Montauban.

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