Page images
PDF
EPUB

Papillon, secrétaire de la compagnie, était à sa droite. L'official et les ecclésiastiques de sa suite prirent place derrière eux; la séance fut ouverte.

L'intendant fit connaître, en peu de mots, qu'il avait l'ordre d'assister à la signification de l'avertissement qui devait être faite au nom du clergé. L'official voulut prendre la parole, Claude le prévint, et dans un discours bref, court, modéré, mais bien raisonné, il réfuta le contenu de l'avertissement, et termina par des paroles de soumission et de fidélité au roi et de confiance en sa bonté et en sa justice.

L'intendant parla de nouveau, fit l'éloge du pape, du roi et de l'archevêque de Paris; immédiatement après, l'official procéda à la lecture de l'avertissement; il avait à peine commencé, que l'assemblée réunie dans le temple entonna un psaume. L'official insista auprès de l'intendant pour qu'on fit cesser le chant. L'un des membres du consistoire fit observer qu'il faisait partie du service et qu'il durerait peu.

De Menars fit suspendre la lecture, qui fut reprise quand les chants eurent cessé. Lorsqu'elle fut terminée, Claude, s'adressant à l'intendant, lui dit : « Vous devez, Monsieur, juger où va notre respect et notre soumission pour les ordres du roi, par le sacrifice que nous lui avons fait de la douleur et de la mortification avec laquelle nous avons entendu cette lecture. » L'official remit à Claude un exemplaire de l'avertissement avec un acte de signification signé de lui et des notaires apostoliques; la séance fut levée.

La conduite du consistoire de Paris servit de modèle à toutes les églises; partout les pasteurs montrèrent beaucoup de dignité et de soumission. A Caen, Du Bosc prononça un discours, dont les prêtres furent mécontents; dans quelques églises, notamment à La Rochelle et à Sedan, des altercations violentes eurent lieu.

IV.

Les églises, privées de leurs synodes nationaux, étaient abandonnées à leur propre sagesse; elles ne savaient souque décider. Plusieurs écrits furent publiés pour leur

vent

défense, mais ne produisirent aucun résultat; le glaive était suspendu sur leurs têtes; les arrêts iniques succédaient aux arrêts iniques; chaque jour l'exercice du culte était interdit dans quelque localité et des temples étaient abattus. A chaque pan de mur qui tombait, le clergé battait des mains; les protestants étaient consternés, et ne pouvaient plus se faire illusion. L'édit, acquis au prix de tant de sang versé, n'était plus, pour eux, qu'une lettre morte; encore quelques jours, et il ne restera qu'un souvenir de l'œuvre réparatrice de Henri IV. Comment en auraient-ils douté en présence de leurs temples en ruines et des rigueurs des parlements; celui de Toulouse, dans un seul mois (janvier 1683), avait fait arrêter trente ministres et soixante pères de famille, tous habitant la province du Languedoc; dans cette extrémité les réformés du midi résolurent de tenir une assemblée secrète à Toulouse, dans la pensée qu'on ne les soupçonnerait pas de s'être réunis dans une ville célèbre par son fanatisme. Au jour indiqué leurs députés s'y rendirent; le rendez-vous était chez Claude Brousson.

Claude Brousson, né en 1647, à Nîmes, avait fait ses premières études dans cette ville. Après avoir pris son grade de docteur en droit, il alla exercer la profession d'avocat à la chambre mi-partie de Castres, qu'il suivit à Castelnaudary lorsqu'elle y fut transférée. Pendant vingt ans il fut l'actif et intelligent défenseur des pauvres et des églises; simple dans ses manières, mais doué de l'énergie que donnent la foi chrétienne et l'amour fraternel, il ne craignit pas de se mettre à la brèche pour défendre ses frères opprimés, et fut souvent sur le point de se voir interdire ses fonctions, dont on ne lui laissa l'exercice que par un sentiment de pudeur. Sa réputation d'habile avocat, son honorabilité, l'influence qu'il exerçait parmi les protestants, tentèrent les convertisseurs; ils lui offrirent une place de conseiller au parlement de Toulouse: il refusa avec indignation.

Les députés réunis chez Brousson au nombre de seize. prirent la résolution de rouvrir les temples qui avaient été

1. Le Languedoc avait envoyé 6 députés; le Vivarais, les Cévennes et le Dauphiné, 10.

fermés et de rétablir l'exercice de la religion réformée dans tous les lieux où il avait été aboli.1

Avant de se séparer, les députés dressèrent une requête au roi, modérée dans les termes, mais ferme; ils lui déclaraient qu'ils se trouvaient dans la nécessité de lui désobéir, parce que, en lui obéissant, ils désobéiraient à Dieu. Ces assemblées, lui disaient-ils, ne blessent point la fidélité que les suppliants doivent à Votre Majesté; Ils sont tous disposés à sacrifier leurs biens et leur vie pour son service. La même religion qui les contraint de s'assembler pour célébrer la gloire de Dieu, leur apprend qu'ils ne peuvent jamais être dispensés, sous quel prétexte que ce soit, de la fidélité qui est due à Votre Majesté par tous ses sujets. A l'égard de leurs devoirs envers Dieu, Votre Majesté a trop de piété pour trouver mauvais qu'ils rendent à ce grand Dieu l'adoration et le service qu'ils lui doivent. Les suppliants sont persuadés que Dieu ne les a mis au monde que pour le glorifier, et ils aimeraient mieux mille fois perdre la vie que de manquer à un devoir si saint et si indispensable. >>

On croit entendre saint Pierre dire, en face de la croix sanglante de son maître, aux membres du Sanhédrin: «Jugez vous-mêmes s'il est plus convenable d'obéir à Dieu qu'aux hommes.>>

V.

Cette requête était courageuse; mais les réformés s'étaient considérablement affaiblis, et pour surcroît d'infortune, ils étaient désunis, et formaient deux camps bien distincts. Dans le premier étaient les modérés, les tièdes, les prudents, les traîtres, tous ceux qui étaient prêts à passer dans le camp ennemi, si la persécution les obligeait à opter entre Genève et Rome. Le marquis de Ruvigny, député général des églises, était le chef de ce parti: c'était un vieillard doué de bonnes intentions, mais faible, plus dévoué à Louis XIV qu'aux églises dont il était le représentant; dans le camp opposé étaient les zélateurs, ainsi appelés par les modérés, par réminiscence des factions qui avaient désolé Jérusalem lorsqu'elle était as

1. Haag, France protest. Pièces justificatives (no CII).

"

siégée par les Romains; ils haïssaient mortellement le papisme, qu'ils voyaient à l'œuvre avec Pélisson, leur tentateur, et avec Louvois, leur oppresseur. Ils étaient disposés au sacrifice de leurs biens et de leur vie plutôt que de renier leur foi.

Avant que le projet de Toulouse fût mis à exécution, les églises furent consultées. Les modérés le combattirent, les zélateurs le défendirent et l'emportèrent. Le marquis de Ruvigny, qui en eut connaissance, fut alarmé, et écrivit aux églises (28 juillet 1683) une lettre qui augmenta les divisions, et arriva trop tard. Le projet de Toulouse avait reçu un commencement d'exécution: le 11 du même mois, trois mille protestants de Saint-Hippolyte s'étaient réunis, au point du jour, dans un champ, pour y célébrer leur culte. Leur exemple fut suivi par plusieurs églises du Vivarais et du Dauphiné. Témoins de ces réunions, qui n'avaient rien d'agressif, les catholiques s'armèrent et répandirent le bruit que les guerres de religion allaient recommencer. Les seigneurs des châteaux des bords du Rhône, croyant ou feignant de croire à ces bruits, se barricadèrent dans leurs manoirs avec leurs vassaux. Bientôt après une rencontre entre les deux partis eut lieu; un protestant, du Buis, fut tué : sa mort fut le signal de l'insurrection.

Daguesseau, intendant du Languedoc, apprit au Puy, en Velay, l'insurrection du Vivarais. Ce magistrat avait prévu les résultats funestes qu'aurait la signification de l'avertissement pastoral; ses conseils et ses efforts échouèrent devant la volonté inflexible de Louvois. Il désirait la conversion des protestants, mais il flétrissait les procédés de la cour, et regardait l'édit de Nantes comme sacré et nécessaire au repos et à la prospérité du royaume.'

La nouvelle de la levée de boucliers des protestants l'affligea sans l'étonner. Il partit, et sans manifester la moindre crainte, il traversa le Vivarais frémissant, et arriva à Valence. De là, il se porta au milieu des Vivaraisiens, leur parla avec douceur, mais avec fermeté, et les invita à déposer les armes, à cesser leurs prêches dans les

1. Nap. Peyrat, t. Ier, p. 118.

lieux interdits, et à se soumettre sans conditions à la clémence du roi; ils obéirent, et Daguesseau, en apprenant à Louvois leur soumission, lui demanda la confirmation de l'amnistie qu'il leur avait promise.'

VI.

Le Dauphiné se préparait à s'insurger quand les Vivaraisiens déposaient les armes à la voix de Daguesseau. Labaume, seigneur de Châteaudouble, petit bourg situé à trois heures de Valence, était rédouté des protestants à cause de ses cruautés. Ayant appris qu'une assemblée devait se réunir près de son manoir, il obtint du parlement de Grenoble 250 archers pour la disperser; ses vassaux, qui étaient protestants, prévenus de son dessein, se rendirent à l'assemblée, qui se tenait chez le capitaine Blache, avec des armes sous leurs vêtements. Le chatelain n'osa pas les attaquer, mais quand après l'assemblée, chacun regagnait sa demeure, il voulut arrêter Blache: celui-ci se barricada dans sa maison, et quoiqu'il n'eût qu'un valet et une servante, il leur en disputa héroïquement l'entrée. Le premier des archers de Labaume, qui voulut forcer la porte, fut tué; tout à coup, les assaillants, saisis d'une terreur panique, prirent la fuite, le chatelain en tête : une servante de ce dernier appelait, du haut des toits du château, les habitants du bourg au secours de leur seigneur; elle avait aperçu dans le lointain des masses d'hommes qui se dirigeaient vers Châteaudouble : c'étaient six cents montagnards qui, avertis du danger que courait le brave capitaine Blache, accouraient à son secours. Quelques heures après, ils avaient investi la demeure du chatelain.'

Labaume eût couru un grand danger, sans l'intervention de l'évêque de Valence, Daniel de Cosnac, le prélat le plus immoral et le plus facétieux de France. Il avait gagné sa mître en se faisant l'entremetteur des amours de Louis XIV avec Henriette d'Angleterre, la femme de Monsieur; Cosnac, averti du soulèvement de Châteaudouble, 1. Nap. Peyrat, t. Ier, p. 128-129.

2. Mémoires de Saint-Simon.

« PreviousContinue »