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LIVRE XXXVII.

I.

Au milieu des réjouissances des courtisans de Versailles et des cris de douleur des protestants, le clergé publia, le 1er juillet 1682, un avertissement pastoral adressé à ces derniers. Depuis longtemps le zèle épiscopal ne s'était pas révélé dans un langage plus doux, plus évangélique :

«Il y a longtemps, nos très-chers frères, leur disait-il, que l'Eglise de Jésus-Christ est pour vous dans les gémissements, et que cette mère, pleine d'une très-sainte et très-sincère tendresse pour ses enfants, vous voit, avec une extrême douleur, toujours égarés et comme perdus dans l'affreuse solitude de l'erreur, depuis que par un schisme volontaire, vous vous êtes séparés de son sein; car comment une véritable mère pourrait-elle oublier ceux qu'elle a portés dans ses flancs? et comment cette Église pourrait-elle ne plus se souvenir de vous, qu'elle a autrefois tant aimés, et qui, bien peu reconnaissants, ne laissez pourtant pas d'être du nombre de ses enfants, que le poison de l'hérésie a dégoutés de la vérité catholique, et que la tempête causée par la révolte du calvinisme a fait quitter la sainteté de l'ancienne doctrine de la foi, en vous arrachant malheureusement du centre et du chef de l'unité chrétienne.

<< Voilà, très-chers frères, le sujet de ses larmes; elle se plaint amèrement, cette mère désolée, de ce qu'ayant méprisé la tendresse qu'elle a pour vous, vous avez déchiré ses entrailles. Elle vous recherche comme ses enfants égarés, elle vous rappelle comme la perdrix ses petits; elle

1. Il est intitulé: Avertissement pastoral de l'Église gallicane assemblée à Paris par ordre du Roi à ceux de la religion Prétendue Réformée, pour les porter à se convertir et à se réconcilier avec l'Église. Il se trouve en entier dans le tome Ier des Mémoires du clergé de France.

s'efforce de vous rassembler sous ses ailes comme la poule ses poussins; elle vous sollicite à prendre la route du ciel comme l'aigle ses aiglons, et toujours pénétrée des vives douleurs d'un pénible enfantement, elle tâche, faibles enfants, de vous ranimer une seconde fois, résolue pour cet effet de souffrir toute sorte de tourments, jusqu'à ce qu'elle voie Jésus-Christ véritablement renouvelé et ressuscité dans vos cœurs.

«C'est dans cette vue, que nous, archevêques, évêques et autres députés du clergé de France, que le Saint-Esprit a établis pour gouverner l'Eglise dans laquelle vous êtes nés, et qui, par une succession perpétuelle, tenons encore aujourd'hui la même foi et occupons les mêmes siéges que les saints prélats qui ont apporté la religion chrétienne dans nos Gaules, venons vous chercher, et par la fonction que nous faisons d'ambassadeurs pour JésusChrist, comme si Dieu même vous parlait par notre bouche, nous vous exhortons et nous vous prions de nous dire «pourquoi vous vous êtes séparés de nous ?»

A ces exhortations, les signataires de l'adresse en ajoutent d'autres; ils supplient les protestants de se laisser gagner par leur tendresse et vaincre par leurs prières. «Si vous vous y refusez, leur disent-ils, les anges en pleureront de douleur, et la grâce de la paix, que nous avons demandée pour vous avec tant d'amour et tant d'instances, retournera à nous, parce que vous l'aurez rejetée. Dieu ne nous demandera pas compte de vos âmes.»

Si la lettre pastorale se fût terminée là, on eût pu croire que les prélats, sentant l'odieux des persécutions précédentes, attendaient désormais de la persuasion et de la charité, ce qu'ils avaient jusqu'alors demandé à la violence, nais, en terminant, ils découvrent la griffe du lion: «Sí vous refusez, leur disent-ils, de répondre à nos désirs, cette dernière erreur sera plus criminelle que toutes les autres, et vous devez vous attendre à des malheurs incomparablement plus funestes et plus épouvantables que tous ceux qui vous ont atteints jusqu'à présent dans votre révolte et votre schisme.»1

1. Cette lettre portait 75 signatures: 8 d'archevêques, 25 d'évêques, 35 d'ecclésiastiques de second ordre; celle de Bossuet s'y trouve. Ce fut probablement lui qui la rédigea.

Traduisons: Vous ne voulez pas de notre rosée; eh bien! vous aurez le feu du ciel. Les réformés ne s'y trompèrent pas.

II.

Les prélats s'occupêrent aussi de dresser un cahier contenant quinze méthodes de conversions, pour aider leurs agents dans leur œuvre de prosélytisme; nous en avons déjà parlé. Nous ajouterons seulement que pour leur donner de l'efficacité, elles étaient accompagnées de lettres de cachet. Tout en ne paraissant vouloir attendre que de Dieu, la réduction des protestants à la foi catholique, le clergé n'oubliait pas de faire appel au bras séculier, le seul levier sur lequel il comptât pour ramener la France à l'unité religieuse. Il obtint de Louis XIV deux lettres, l'une pour les archevêques et les évêques, et l'autre pour les intendants des provinces. Le roi recommandait aux uns et aux autres << de ménager les esprits de ceux de la Religion Prétendue Réformée avec douceur, de ne se servir que de la force des raisons, sans rien faire contre les édits et déclarations, en vertu desquelles l'exercice de leur religion était toléré dans le royaume.»1

Le but de cet insigne supercherie était d'apaiser les défiances des réformés et de les empêcher de s'expatrier, en leur faisant croire qu'à l'avenir on respecterait les édits, parce qu'on ne recourait plus contre eux aux vexations et aux violences; et ce prince signait ces choses de sa royale main, quand ces édits qu'il voulait qu'on respectât étaient déjà anéantis par des déclarations contraires, et qu'il se préparait à faire par une révocation générale, ce qui était déjà fait par tant de révocations particulières!

La publication des lettres royales et des documents qui l'accompagnaient trouvèrent un grand nombre de protestants disposés à se laisser séduire. «Le roi, disaient-ils, a enfin compris que le temps des violences est passé, et quand il nous assure de sa parole royale qu'il veut nous traiter avec douceur, observer ses édits, c'est qu'il réprouve l'infâmie des moyens employés contre nous jusqu'à

1. Les deux lettres du roi (10 juillet 1682) se trouvent dans les Mémoires du clergé, t. Ier, p. 37-39.

ce jour; notre faiblesse n'est-elle pas notre plus fort rempart? Nous n'avons ni charges, ni dignités, ni espérances temporelles; les libertés qui nous restent pour l'exercice de notre culte sont si minimes, que notre chute n'est plus qu'une affaire de temps,» et ils se rassuraient, tant ils avaient soif de paix et de repos.

Il y avait parmi les réformés des gens clairvoyants qui ne se laissèrent pas éblouir par ces apparences trompeuses; sous la peau de brebis, ils voyaient la griffe du lion; cependant ils renvoyaient à un temps éloigné l'heure des violences, et leur crainte du moment était qu'on ne fit revivre le projet du capucin Joseph, et qu'on ne forçat les réformés à avoir des conférences dans lesquelles ils auraient pour juges leurs adversaires. Une grande agitation régnait dans toutes les églises; chacun attendait avec anxiété quel serait l'effet que produirait la significatien de la lettre pastorale et dans quelle forme elle serait faite. Claude répondit à l'avertissement pastoral'; il lui fut facile de dévoiler aux moins intelligents les ruses du clergé. Un jeune écrivain, Jacques Basnage, qui porta plus tard un nom célèbre, fit paraître sous le voile de l'anonyme un écrit contre les méthodes. A dix-sept ans, Basnage connaissait à fond la littérature grecque et latine, et parlait l'anglais, l'italien et l'espagnol. II quitta Saumur, où il avait fait ses études classiques sous Tanneguy, Lefèvre, et se rendit à Genève, où il commença sous Mestrezat, Turretin et Tronchin, son cours de théologie, qu'il continua à Sedan sous Jurieu et le Blanc de Beaulieu.

Basnage retourna à Rouen, sa ville natale. A peine arrivé, il tomba gravement malade. Immédiatement après son rétablissement, il prêcha d'une manière si remarquable, que le consistoire de Rouen le choisit à l'unanimité pour remplacer le célèbre Étienne Le Moine, appelé depuis peu à Leyde pour professer la théologie. Le jeune

1. Le premier écrit était intitulé: Considérations sur les lettres circulaires de l'assemblée du clergé de France (1682); le second: Réflexions solides sur le monitoire de l'assemblée du clergé adressé aux protestants et sur les lettres du Roi très-chrétien aux évêques et aux intendants sur le même sujet. Le premier écrit est imprimé à La Haye; le second ne porte pas de nom de lieu.

pasteur fut installé au mois d'octobre 1676 et justifia les hautes espérances que ses débuts en avaient fait concevoir. En 1679 il fut désigné pour précher devant le synode provincial de la Normandie, assemblé à Saint-Lô. «Il s'y fit admirer, dit Bayle', et son examen des méthodes, par lequel il débuta dans la carrière des lettres, obtint un grand succès. «Cet ouvrage anonyme, dit le même écrivain, est fort bien écrit, abondant en pensées et en beaux raisonnements; l'auteur, ajoute-t-il, se fait un malin plaisir d'opposer à la doctrine (presque protestante) de Bossuet sur le culte des images, celle d'un autre théologien éminent de l'église romaine, le cardinal Raymond Capisucchi, maître du sacré palais.» Nous retrouverons plus tard, dans le cours de nos récits, Basnage, dont Voltaire, son admirateur, disait : «Il est plus propre à être ministre d'un État que d'une paroisse. >>

III.

Nous avons dit que la préoccupation des réformés était le résultat de la signification de l'avertissement pastoral et de la forme dans laquelle elle serait faite. Le clergé les délivra de la plus grande de leurs craintes, en choisissant l'église de Paris pour la première à qui cet avertissement serait signifié."

Le clergé voulut d'abord que la signification se fit au temple, le dimanche pendant le service; le consistoire s'y opposa, parce que l'avertissement devait être signifié aux consistoires et non aux églises. L'intendant de la généralité de Menars dut céder le dimanche, 20 septembre 1682, vers les onze heures du matin, il se rendit à Charenton, accompagné de l'official, de quelques ecclésiastiques et de deux notaires apostoliques. Il fut reçu par le pasteur Allix et trois anciens, qui le conduisirent dans la salle où les anciens l'attendaient; il prit sa place dans un fauteuil au haut de la table. Claude, qui présidait, était à sa gauche;

1. Bayle, Dict. histor., art. Basnage.

art. Basnage.

2. Bayle, Dict. hist.

Haag, France protest.,

3. Élie Benott, Hist. de l'édit de Nantes, liv. XIX, t. IV, p. 563.

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