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sionnaires n'en avaient obtenu depuis les premiers jours de la Réforme. Soixante mille protestants abjurèrent dans la généralité de Bordeaux.1

La vue seule des soldats agissait plus sur eux que l'éloquence de Bossuet; ils n'attendaient pas qu'on les torturat; ils signaient tout ce qu'on voulait. A Montignac, il ne resta plus qu'un seul religionnaire; à Ruffec, ils trouvèrent un bourgeois, nommé Charpentier, qui refusa d'abjurer: ils le garottèrent, et après l'avoir couché par terre, ils lui firent avaler de l'eau. «Veux-tu, lui disaient-ils, abjurer. A chaque non du patient, ils répétaient la même opération; il expira entre leurs mains. Un gentilhomme, nommé La Madelaine, fut lié sous les bras et plongé jusqu'au cou dans un puits, où ils le laissèrent se débattre; une veuve noble subit le même supplice. Après l'eau glacée vint le feu: on la dépouilla en partie de ses vêtements et on l'assit sur un réchaud. Les convertisseurs aimaient à plaisanter: ils saisirent un bourgeois de Rouffignac, appelé Pasquet, ils l'emmaillotèrent comme un enfant, le couchèrent dans un grand berceau, lui firent avaler de la bouillie toute bouillante, et lui en barbouillèrent le visage. Pasquet mourut de la plaisanterie; ses langes furent son suaire.

Bonnets rouges de 1793, humiliez-vous; reconnaissez vos maîtres dans les dragons de Sa Majesté Très - Chrétienne: ils firent plus de catholiques que vous ne fîtes de républicains.

XXIV.

Les protestants qui avaient pris le chemin de l'exil, entendirent les cris de leurs frères de France et leur envoyèrent des paroles d'exhortation et de consolation. Dans un petit écrit sans nom d'auteur3, ils flétrissent les procédés de conversions de l'Église romaine, qu'ils comparent avec ceux des apôtres; en parlant de leurs frères de France, ils disent:

1. Archives de l'Angoumois, p. 276.

2. Élie Benoît, t. V.

3. Il est intitulé: Lettres aux églises réformées de France, qui ont besoin de consolation; à Cologne chez Pierre de Marteau, M.DC.LXXXIV.

<< On leur offre les biens et la gloire du monde; on les ébranle par des menaces, on use de fraude pour les surprendre; on offre aux criminels l'impunité des plus méchantes actions, et aux chicaneurs le gain de leur injuste cause; on tend des piéges aux simples; on fait languir les âmes faibles dans les prisons; on emploie des prétextes frivoles pour obtenir des édits, des déclarations et des arrêts qui nous accablent; on nous prive de toute sorte de protection, on nous livre à la passion des persécuteurs, à la mauvaise foi des faux témoins, et à la prévention des juges suspects; on nous fait dépouiller de nos dignités, de nos charges, de nos emplois et de tous les moyens de gagner du pain par la profession des arts; on réduit nos peuples à mourir de faim; on les chasse de leurs maisons, on les pille; on sépare le mari de sa femme, le père des enfants, et les enfants de leur père et de leur mère; on emprisonne les uns pour rien et on bat les autres impitoyablement; on ne menace plus que de corde, que de galères, que de roue; on brûle les pieds de plusieurs avec des fers chauds, et on en traîne d'autres dans la neige. En un mot, il n'y a sorte de mauvais traitements et de tentations auxquels nos adversaires n'aient recours pour nous faire succomber, et si, après tous leurs efforts, quelqu'un succombe, ils osent, sans pudeur, publier que c'est un miracle de la grâce; mais la grâce approuve-t-elle une conduite si déréglée et si peu conforme aux maximes de l'Evangile? De bonne foi, est-ce la voix de Celui dont le règne n'est pas de ce monde, ou de Celle qui se vante d'être reine, et de ne voir ni deuil, ni famine, ni misère? Jésus-Christ vous dit: Chargez votre croix et me suivez, quoique je n'aie pas où reposer ma tête; et ils vous crient suivez nous, courez après nos saints, nos dogmes et nos cultes, et non-seulement, nous vous déchargerons de la croix que nous vous avons imposée, et vous laisserons vivre paisiblement dans vos maisons, mais nous vous donnerons encore de nos biens et de nos honneurs.>>

Les auteurs de l'écrit supplient leurs frères de ne pas aller à la messe; ils censurent ceux qui se sont laissé séduire et les appellent des Demas qui ont délaissé JésusChrist pour le monde; ils encouragent ceux qui sont debout, et les avertissent de prendre garde qu'ils ne tombent;

ils les exhortent à la vigilance, à la patience, à l'amour de leurs ennemis, et à la haine de leurs faux principes; quant au roi, ils n'ont pas une seule parole de murmure contre lui. «Il faut, disent-ils, prier Dieu qu'il lui fasse la grâce de comprendre que ses sujets dissidents n'ont que de bonnes intentions et sont affectionnés à son service. >>

Les réfugiés priaient aussi pour leurs frères affligés : le dimanche dans leurs assemblées, le soir au foyer de la famille, ils demandaient au Dieu des armées de se souvenir de son pauvre peuple de France, et de lui donner la joie de ceux qui sont persécutés pour son service.

«Si l'on ôte, disaient-ils, aux compagnons de notre foi, l'exercice de leur religion, si l'on ferme leurs temples, si l'on supprime leurs écoles, veuilles être toi-même, o SaintEsprit, leur docteur secret et le consolateur de leurs âmes; s'ils ne peuvent ouïr extérieurement ta parole, parle à leurs cœurs par la voix de ta grâce, afin que leur esprit psalmodie au Seigneur, et chante ses immortelles louanges dans le temps qu'il leur est défendu de les chanter de leur bouche.

«Si on les prive de leurs biens, fais, ô Dieu, qu'ils en reçoivent avec joie le ravissement, sachant qu'ils ont une meilleure chevance permanente dans les cieux; s'ils sont exilés de leur patrie, imprime, Seigneur, dans leur âme cette consolation que celui qui porte Jésus-Christ avec foi n'est exilé en nulle part et trouve partout sa maison.

«Si on les maudit, si on les méprise, s'ils sont privés de leurs honneurs, fais, ô père céleste, qu'ils estiment plus grande richesse l'opprobre de Christ que les trésors de l'Egypte, et qu'ils choisissent plutôt d'être affligés avec le peuple de Dieu que de jouir pour un temps des délices du péché;

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«S'ils sont menés dans les lieux où il faille rendre raison de leur foi, donne-leur, ô Éternel, une bouche et une sagesse à laquelle leurs adversaires ne puissent contredire ni résister; accomplis en eux, ô Jésus, qui es la bouche de la vérité, la promesse que tu as faite: «<il vous sera donné dans ce moment ce que vous aurez à dire; >>

«S'ils sont entraînés dans les cachots obscurs, toi, Ο Seigneur Jésus, qui es la vraie lumière du monde, sersleur de charité et de soleil, délivre-les selon ta volonté,

comme saint Pierre, et suscite des personnes miséricordieuses qui prient incessamment pour eux comme on priait pour ce même apôtre;

«S'ils sont conduits à la mort et destinés au martyre, ô Dieu de toute consolation, change l'amertume de la mort en douceur, et fais que, par un vif sentiment de ton esprit, ils aient l'âme pleine de joie comme autrefois les martyrs. »1

1

XXV.

Que faisait-on à Versailles pendant que les églises étaient courbées sous la croix? Quelques évêques élevaientils la voix pour rappeler au monarque que le Christ n'est pas venu pour faire souffrir, mais pour souffrir? Un journal de l'époque va nous l'apprendre :

«Le soir, raconte cette feuille, il y eut comédie italienne, mêlée de danses et de musique. Les danseuses, la princesse de Conti, Mesdames de Roquelaure, de Choiseul, de Seignelay; Mesdemoiselles de Piennes, de Nantes, d'Uzès, d'Estrée, d'Hamilton, Pécour et Favier (danseurs de profession) dansèrent avec elles, et MM. de Brionne, de Liancourt, de Tingry, de Cossé, dansèrent avec la seconde troupe de dames. Quelquefois, les seigneurs et les dames dansaient dans les opéras. On joua l'opéra d'Atys, que Madame la dauphine n'avait pas vu. Mademoiselle de Nantes a dansé dans les entrées, et représentait une petite nymphe de la suite de Flore. Quatre zéphirs augmentaient encore la beauté de cette entrée: l'un d'eux était représenté par M. le comte de Guiche. Dans le deuxième acte, Monseigneur dansait une entrée d'Égyptiens. Il était accompagné de Monsieur le prince de la Roche-sur-Yon, de M. le comte de Vermandois, de M. le comte de Brionne et de M. de Moneurs. Dans la même entrée, étaient mêlées cinq Egyptiennes, représentées par Mesdemoiselles de Lislebonne, de Tonnère, de Commercy, de Loubes et de Laval. Monseigneur le dauphin représentait un dieu marin dans le quatrième acte, il était suivi des mêmes seigneurs que je viens de nommer. M. le comte

1. Cette prière se trouve à la fin du petit écrit susmentionné.

de Guiche dansait comme lui en dieu marin, dans la même entrée, avec deux petits ruisseaux et deux petites fon

taines.'>

Chaque jour Versailles voyait se renouveler les mêmes scènes, joyeuses, animées; on eût dit que le maître de la demeure royale avait dit aux soucis, aux peines et aux larmes: «Vous n'entrerez pas ici.» C'est dans le journal de Dangeau, l'historiographe de la cour, qu'on peut suivre Louis XIV dans sa vie de chaque jour, de chaque heure. Il est fidèle, exact, sec, aussi plat que Pierre de l'Estoile, l'historiographe de son époque, est spirituel; il sert trop fidèlement son maître, car il est pour lui ce valet de chambre indiscret, dont le maréchal de Saxe disait : Qu'il n'y a pas pour lui de grand homme.

1. Mercure galant (octobre 1682). Ce journal fut le premier qui parût en France, en 1605, sous le nom du Mercure français; interrompu en 1644, il fut repris par Visé en 1672, sous le nom du Mercure galant. Il reprit plus tard son premier titre, et cessa de paraître en 1825. Il renferme des détails curieux sur l'histoire du protestantisme.

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