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Foucault, trouvant que les protestants ne se hâtaient pas assez d'obéir au roi, mit en mouvement les soldats dont il disposait; ces nouveaux aides firent regretter Archambaud. En quelques semaines, sous la conduite de l'intendant, ils devinrent d'habiles missionnaires. «Quand vous ne pourrez, leur disait-il, venir à bout d'un réformé, empêchez-le de dormir. » Or, comme ils ne pouvaient mettre à exécution ce moyen, qu'à la condition de s'infliger à eux-mêmes le supplice qu'ils faisaient souffrir à leurs victimes, ils se relayaient pour les tenir éveillées: ils battaient du tambour, sonnaient de la trompette, renversaient les tables, brisaient les meubles, faisaient voler la vaisselle en éclats; quand, malgré cela, elles succombaient sous le poids du sommeil ; ils les pincaient, les tenaillaient, les piquaient, les suspendaient avec des cordes, leur lançaient des bouffées de tabac dans le nez. Ces moyens étaient toujours infaillibles: leurs victimes devenaient comme insensées, faisaient tout ce qu'ils voulaient, et l'église catholique s'accroissait de nouveaux membres.

Il ne nous est pas permis de raconter leur conduite à l'égard des femmes. Toutes les suppositions qu'on pourra faire, seront toujours au-dessous de la réalité. Ces scélérats riaient, plaisantaient, tant ils prenaient plaisir à leur métier; ils faisaient bonne chère; vin vieux, poulets gras, tout ce qu'il y avait de plus succulent leur était servi. Quand ils étaient ivres, ils avaient une recrudescence de joie et de férocité, ils dépassaient leurs instructions, leurs prosélytes leur mouraient quelquefois entre les mains.

La noblesse fut aussi maltraitée : la plupart des gentilshommes béarnais, après une résistance plus ou moins longue, abandonnèrent la foi de leurs ancêtres; ceux qui ne le firent pas, s'expatrièrent. Quelque temps avant que le Béarn eût été réduit à la foi catholique, par les dragons, Foucault était parti pour le Poitou; son savoir-faire l'avait mis en évidence.

XXI.

Montauban fut confié au marquis de Bouflers. Il arriva dans cette ville suivi de sa troupe; il proposa civilement

aux protestants d'abjurer : ils refusèrent. Il gagna alors quelques gentilshommes et un avocat célèbre, nommé Satus, qui, de concert avec le marquis, convoquèrent une assemblée générale, dans laquelle ils déclarèrent que le désir du roi était de voir ses sujets, de la religion prétendue réformée, embrasser la sienne. L'assemblée n'étant pas très-nombreuse, on en convoqua une nouvelle pour le lendemain; cent cinquante personnes environ furent présentes, dont trente qui ne savaient ni lire, ni écrire. Séance ténante, sans autre argument que la volonté de Sa Majesté, les descendants de ces braves Montalbanais, qui avaient vu, du haut de leurs remparts, un roi décamper déclarèrent que leur séparation n'avait pas de cause légitime, et qu'ils étaient heureux de rentrer sous le glorieux règne du roi très-chrétien, dans le sein de l'église catholique, apostolique et romaine. »

Le marquis de Bouflers avait obtenu un beau triomphe; cent cinquante conversions dans une matinée! mais son succès se fût borné là, si ses missionnaires bottés ne l'eussent aidé à le compléter. Quatre jours de travail leur suffirent pour réduire Montauban à un état pire que celui d'une ville prise d'assaut. Il y eut cependant des hommes droits qui ne voulurent pas se déshonorer par une honteuse apostasie; de ce nombre furent les barons de Mombeton, de Vicose, de Mauzac, de Péchels de la Buissonnade. Avant de lancer les dragons sur ces hommes honorables, on résolut, de concert avec l'évèque, de leur surprendre une abjuration. On les fit avertir à l'insu les uns des autres, qu'ils pourraient éviter le pillage de leurs maisons, en faisant une visite au marquis de Bouflers; ils donnèrent dans le piége. Le baron de Mauzac arriva le premier; le marquis l'engagea poliment à changer de religion: il refusa. «Mettez-vous à genoux, lui dit l'évêque, et je vous donnerai l'absolution d'hérésie. » «Jamais,» dit M. de Mauzac, en jetant sur lui un regard de dédain. Une porte s'ouvrit, quatre hommes entrèrent dans la chambre, s'emparèrent de lui, lui donnèrent un croc en jambe et le firent tomber. Le baron, vivement impressionné par cette insolente hardiesse, s'évanouit; il ne reprit ses sens que longtemps après.

Un chevalier de Malte, indigné de cette singulière ma

nière de convertir, le prit sous sa protection. «Vous répondez de son salut, dit l'évêque. » — « Oui, répondit le chevalier. Ce ne fut pas lui qui le convertit: les dragons lassèrent plus tard sa patience par les veilles qu'ils lui imposèrent; il signa un acte d'abjuration; bientôt après il pleura sa faute, abandonna ses biens et quitta la France. Le baron de Mombeton arriva après M. de Mauzac; on renouvela avec lui la scène du croc en jambe; mais il se releva aussitôt et mit la main sur la garde de son épée; son attitude fière et indignée effraya les convertisseurs, qui le laissèrent sortir.

Le baron de Vicose vint le dernier; c'était un vieillard de soixante et quatorze ans. Ses cheveux blancs n'inspirèrent ni respect, ni pitié aux acteurs de cette profane comédie. On le traita comme les autres; mais il ne tomba pas par terre, grâce à ses éperons. Il apostropha l'évêque, auquel ses paroles vigoureuses fermèrent la bouche. L'année suivante il fut condamné aux galères; on intercéda pour lui, et l'on considéra comme un acte admirable de clémence que le roi ne l'eût pas envoyé à Toulon ramer avec les forçats.

Le baron de La Mothe évita le piége et ne se rendit pas chez M. de Bouflers; il fut puni par la perte de deux belles maisons qu'il avait. Plus tard, la misère et la prison lui extorquèrent une abjuration.

XXII.

Les convertisseurs ajoutèrent à la fourberie la cruauté. Trente-huit cavaliers pénétrèrent dans la maison du baron de Pechels de la Buissonnade; ils enfoncèrent les portes, brisèrent les meubles, convertirent les plus belles salles en écuries, et ne laissèrent pas au baron un lit où il pût reposer la nuit. La marquise de Sabonnières, sa femme, était enceinte et sur le point d'accoucher; cette infortunée, chassée violemment de sa demeure, n'emporta avec elle qu'un berceau; ses quatre enfants, dont l'aîné n'avait pas sept ans, suivaient leur père et leur mère. Cette grande infortune ne toucha pas les cavaliers; du haut des fenêtres, ils jetèrent sur eux plusieurs cruches d'eau. Quand la maison fut pillée, on leur ordonna d'y rentrer

et de préparer de nouveaux logements pour les dragons. Ils obéirent; six fusilliers entrèrent et se mirent à commettre mille insolences, n'ayant rien à piller; d'heure en heure de nouveaux hôtes arrivaient. Le baron, sa femme et leurs enfants furent réduits une seconde fois à sortir de leur maison.

La marquise, vivement impressionnée de tout ce qui venait de se passer, sentit les premières douleurs de l'enfantement; ceux qui la virent, fondaient en larmes; mais toutes les portes se fermèrent pour elle. Elle eût accouché dans la rue, si l'une de ses sœurs ne lui eût offert un asile.

Le lendemain, la maison où elle s'était réfugiée, fut envahie par les soldats, qui allumèrent un si grand feu dans sa chambre que sa vie et celle de son enfant furent dans un grand danger. Elle se plaignit aux officiers, qui la traitèrent plus rudement encore que leurs soldats. Deux jours après, elle fut forcée de quitter la maison de sa sœur; elle prit son enfant nouveau-né dans ses bras et se présenta devant l'intendant, espérant de l'attendrir. Celui-ci la reçut brutalement et la mit à la porte.

Elle ne perdit pas courage, elle courut dans toutes les rues, espérant que quelqu'un, touché de son infortune, lui donnerait un abri. Pas une seule porte ne s'ouvrit, la terreur régnait dans la ville. Elle résolut de passer la nuit sur une pierre vis-à-vis de la demeure de sa sœur; mère tendre, elle réchauffa son enfant sur son sein, comme l'oiseau ses petits sous ses ailes. A quelque pas d'elle marchaient des soldats qui ne la perdaient pas de vue, l'insultaient et la raillaient. Une femme la vit et fut touchée de son malheur; elle alla trouver l'intendant et lui parla avec tant d'éloquence qu'il lui permit de la recevoir chez elle, à condition que les gardes continueraient à la surveiller.

La constance de son mari fut à la hauteur de la sienne; jamais il ne voulut renier sa foi; traîné de prison en prison, il fut transporté de la tour de Constance d'Aiguemorte en Amérique avec soixante-neuf compagnons d'infortune. A peine arrivé à Saint-Domingue, les prètres le firent envoyer à l'Ile-Vache, parce qu'il empêchait les conversions de ses compagnons; il parvint à s'échapper et se

réfugia en Angleterre, où sa femme le rejoignit; leurs cinq enfants leur furent enlevés!

XXIII.

L'Angoumois eut le sort de la généralité de Montauban. M. de Gourgues reçut des ordres de Louvois pour commencer les opérations. Le ministre fut ponctuellement obéi: ses missionnaires firent des prodiges dans cette province, «où on eut soin, dit un écrivain moderne, de séparer les soldats des officiers, afin qu'ils pussent s'abandonner à leur rage.» Des compagnies entières furent logées dans des maisons, et dévorèrent quelquefois dans un jour le revenu d'une année. Les enlèvements d'enfants se firent en grand; on les enferma dans des couvents, dans des hôpitaux, dans des prisons. Rien n'était sacré pour les garnisaires : ils outrageaient les femmes, les filles; leur crachaient au visage, leur arrachaient leurs vêtements, les fouettaient, les pendaient par les bras ou par les jambes, les faisaient asseoir sur des charbons ardents, tatouaient les plus belles au visage, avec des pelles rougies au feu, leur broyaient les doigts avec des tenailles, et presque toujours ils balaffraient et tailladaient le visage.'

Pleurs, cris, prières, supplications, tout était inutile; ils travaillaient pour le service du roi. Ils pillaient les magasins; ce qu'ils ne pouvaient emporter, ils le brûlaient. Ils attachaient les réformés à la queue de leurs chevaux et les traînaient ainsi à l'église; ils maniaient aussi bien le bâton que le sabre; ils rompaient les bras, les jambes, enfonçaient les côtes, brûlaient les mains, les pieds, et administraient l'estrapade comme le bourreau le plus expérimenté. Ils se plaisaient surtout à taillader les corps et à verser sur les blessures du vinaigre; leurs éclats de rire étaient l'accompagnement des cris déchirants de leurs victimes; leurs arguments étaient sans réplique; en quelques semaines, ils remportèrent plus de victoires que les mis

1. Chronique protestante de l'Angoumois aux XVIe, XVIIe et XVIII siècles, par Victor Bujeaud, p. 273. Jurieu, Réflexion sur la cruelle persécution que souffre l'Église.

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