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homme peut tomber quand il s'écarte de la ligne droite; la plus grande punition qui puisse lui être infligée, c'est la perte complète du tact moral qui lui voile, soit l'odieux, soit le ridicule de ses actions.

L'académicien écrivit jusqu'à sa mort pour le roi et pour l'Église romaine. Une attaque d'apoplexie foudroyante mit fin à ses jours'. On fit courir le bruit qu'il était revenu à la foi qu'il avait abandonnée. C'était faux; mais il est certain qu'il mourut sans avoir reçu les sacrements de son Église.

La caisse de Pélisson, à laquelle on donna le nom de boîte de Pandore, épura plutôt qu'elle n'épuisa la Réforme. Elle fut pour elle ce qu'est un fer aimanté qu'on promène à travers un mélange de minerai de fer et d'or le fer seul s'y précipite. Le clergé le sentit, car il avait à rougir et non à se réjouir de ses singulières conquêtes. Le protestantisme était toujours debout, plus fort après qu'avant l'attaque. Un autre convertisseur se présenta, moins séduisant et plus terrible; il lui apparut sous la figure d'un soldat commandé par Louvois.

XVIII.

L'homme qui, pour conserver son portefeuille, avait donné l'ordre d'incendier le Palatinat, était capable de toutes les cruautés. Témoin des efforts infructueux qu'on faisait pour convertir les protestants, il crut avoir trouvé, pour atteindre ce but, un moyen plus expéditif que les livres de polémique et la caisse de Pélisson. Il lâcha sur les réformés ses soldats, qui étaient alors inoccupés, persuadé qu'à coups de sabre et de bâton on en aurait plus facilement raison; la première idée, de faire d'un régiment de dragons une compagnie de missionnaires convertisseurs, n'est peut-être pas de lui. L'honneur en reviendrait à Marillac, petit-fils du garde-des-sceaux de ce nom, auteur du code Michault qui fut proscrit par la réprobation publique. 3

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1. 7 février 1693.

2. Marcou, Essai sur Pélisson.

3. Élie Benoît, t. IV.

Marillac utilisa l'argent que Pélisson lui envoya; mais son génie inventif lui fit trouver un agent plus actif encore que celui que le trop célèbre académicien mettait à sa disposition. Il y avait dans le Poitou des impôts arriérés qu'il était urgent de faire entrer dans les caisses vides de l'État. Marillac donna l'ordre aux archers et aux sergents, chargés de ce recouvrement, d'exhorter tous les réformés à se faire catholiques et de leur déclarer que, s'ils s'y refusaient, on les forcerait à payer tous les arrérages, et qu'on logerait chez eux, les troupes qu'on devait envoyer dans les paroisses pour en hâter le paiement. Les menaces furent suivies d'une prompte exécution. L'intendant déchargea les nouveaux convertis, au préjudice de leurs anciens coreligionaires, des arrérages de l'impôt et des logements militaires, et fit envahir plusieurs maisons protestantes par une soldatesque qui ne respectait rien. Les réformés poitevins eurent peur: un grand nombre abjura. Marillac, fier de ses succès, envoya à Louvois une liste de conversions, qui étonna le ministre et lui suggéra sans doute l'idée d'employer les troupes, alors inoccupées, à la conversion des protestants; bon juge du mérite de son subordonné, Louvois lui écrivit le 18 mars 1681 la lettre suivante :

«Sa Majesté vous sait beaucoup de gré de l'application que vous donnez à multiplier le nombre des conversions, et elle désire que vous continuiez à y donner vos soins, vous servant des mêmes moyens qui vous ont réussi jusqu'à présent. Elle a chargé Monsieur Colbert d'examiner ce qu'on pourrait faire pour, en soulageant dans l'imposition des tailles ceux qui se convertiraient, essayer de diminuer le nombre des religionnaires. Elle m'a commandé de faire marcher au commencement du mois de novembre prochain un régiment de cavalerie en Poitou, lequel sera logé dans les lieux que vous aurez soin de proposer, entre ci et ce temps-là, dont elle trouvera bon que le plus grand nombre des cavaliers et officiers soient logés chez les protestants; mais elle n'estime pas qu'il les y faille loger tous, c'est-à-dire que de vingt-six maîtres, dont une compagnie est composée, si, suivant une répartition juste, les religionnaires doivent en porter dix, vous pouvez leur en faire donner vingt, et les mettre tous chez les

plus riches des religionnaires, prenant pour prétexte que quand il n'y a pas un assez grand nombre de troupes en un lieu pour que tous les habitants en aient, il est juste que les pauvres en soient exempts et les riches en demeurent chargés.

Sa Majesté a trouvé bon encore de faire expédier l'ordonnance que je vous adresse, par laquelle elle ordonne que ceux qui se seront convertis, seront pendant deux années exempts du logement des gens de guerre. Cette ordonnance pourrait causer beaucoup de conversions dans les lieux d'étape, si vous tenez la main à ce qu'elle soit bien exécutée, et que dans les répartiments qui se feront des troupes qui y passeront, il y en ait toujours, la plus grande partie, logée chez les plus riches de la dite religion; mais ainsi que je vous l'ai expliqué ci-dessus, Sa Majesté désire que vos ordres sur ce sujet soient par vous ou vos subdélégués, donnés de bouche aux maires et échevins des lieux, sans leur faire connaître que Sa Majesté désire par là violenter les huguenots à se convertir; et leur expliquant seulement que vous donnez ses ordres sur les avis que vous avez eus, que, par le crédit qu'ont les gens riches de la religion dans ces lieux-là, ils se sont exemptés au préjudice des pauvres. » '

XIX.

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La lettre de Louvois nous explique l'origine de ces missions armées, connues sous le nom de dragonnades'. Voyons-les à l'œuvre : commençons par le Poitou. Les troupes y arrivèrent vers le mois de novembre, et entrèrent dans cette contrée l'épée nue et le mousqueton au poing, criant: aux huguenots! aux calvinistes! Ces derniers comprirent de suite le sort qui les attendait en voyant leurs maisons envahies par des soldats, qui brisaient leurs meubles, insultaient leurs femmes et leurs filles, s'enivraient avec leur vin et leur criaient de se convertir. Pour 1. Rulhière, Éclaircissements historiques sur la révocation › p. 201.

2. On lui donna ce nom, parce que les dragons se distinguèrent entre tous par leur zèle.

stimuler leur zèle, des prêtres et des moines les accompagnaient dans leurs expéditions missionnaires. «<< C'est la volonté du roi, leur disaient-ils, que ces chiens de huguenots soient pillés et saccagés. » Ces paroles trouvaient un facile écho dans le cœur des convertisseurs, qui montraient leur foi par leurs œuvres. Ils volaient, pillaient, brûlaient; leur vue seule opérait des conversions. Marillac triomphait, dressait chaque jour des listes, et les faisait porter par ses courriers à Versailles. Le roi ne doutait pas que le moment tant désiré par lui, où il n'y aurait qu'une seule foi dans son royaume, n'approchât. Madame de Maintenon le crut aussi. «Il me paraît, écrivait-elle à son frère, que tout le monde se convertit, et qu'il sera bientôt ridicule d'être de cette religion.»>'

Nous n'entrerions pas dans des détails qui nous entraîneraient trop loin, s'il nous fallait suivre pas à pas les dragons dans leurs travaux missionnaires. Nous dirons seulement que Marillac réussit au delà de toutes ses espérances. Des villages entiers abjuraient; les protestants se présentaient en foule pour se faire inscrire sur les listes de conversions. La commune de Saint-Laurent seule fournit dix-sept cents noms. Plusieurs, il est vrai, n'abjurèrent que la corde au cou et l'épée à la gorge.

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Marillac fit, en quelques mois, du Poitou un désert. Les protestants, qui préféraient leur foi à leurs biens, prenaient la fuite, se cachaient dans les bois et allaient demander à l'étranger le repos, que la terre natale leur refusait. On ne voyait que champs et maisons abandonnées; les propriétés se donnaient à vil prix. La cupidité exploita la détresse des protestants; des familles n'eurent pas honte de s'enrichir de leurs dépouilles. Madame de Maintenon elle-même, dans les conseils qu'elle donna à son frère Constant d'Aubigné, attira son attention sur le Poitou. «Là, lui dit-elle, les terres se donnent pour rien; la désolation des huguenots en fera encore vendre; vous pouvez aisément vous établir grandement. >> «Vous ne sauriez mieux faire, lui écrit-elle quelques semaines 1. Lettres de Madame de Maintenon à son frère.

2. Lièvre, Hist. des églises réformées du Poitou, t. II, p. 104. L'ouvrage de M. Lièvre renferme des détails précieux sur la dragonnade du Poitou.

après, que d'acheter une terre en Poitou; elles vont s'y donner pour rien par la fuite des huguenots.>>'

Marillac avait fait trente mille convertis avec ses dragons; mais les moyens qu'il avait employés, bien que la cour en acceptât les bénéfices, étaient tellement criants, les plaintes des protestants si vives, qu'il fut révoqué; il eut pour successeur un homme qui devait l'éclipser: on l'appelait Lamoignon des Basville; nous en parlerons plus tard. Transportons-nous maintenant dans le Béarn.

XX.

Foucault, Nicolas-Joseph, né à Paris en 1643, était l'intendant de cette province; il était le fils d'un secrétaire du conseil d'Etat, et petit-fils, par sa mère, de Mettezeau, auquel Richelieu confia l'exécution de la digue de La Rochelle. Foucault avait un esprit pénétrant, un caractère souple, une volonté forte, une ambition insatiable, une habileté infernale dans la conception de ses desseins, une persistance infinie dans leur exécution. Tel était l'homme qui fut chargé par Louvois de dragonner le Béarn.

Foucault se fit aider par un homme du peuple nommé Archambaud; son rôle consistait à conduire les réformés au cabaret, où il tâchait de les faire enivrer. Le lendemain il allait les trouver, et leur disait qu'ils avaient promis d'assister à la messe, et que, s'ils ne tenaient pas leur promesse, ils seraient traités comme des relaps; quelquefois il leur disait qu'ils avaient mal parlé du gouvernement et des mystères catholiques. Les Béarnais, ne pouvant ou n'osant lui donner un démenti, abjuraient; c'est ainsi qu'il fournit une liste de cinquante convertis à l'intendant, qui l'envoya au conseil. Pour faire croire que les nouveaux catholiques appartenaient à la bourgeoisie, il avait mis le titre de Messieurs à la tête de la liste. Les apôtres ne regardaient ni aux titres, ni aux dignités; à leurs yeux, l'âme d'un pauvre valait celle d'un riche. Les convertisseurs ne pensaient pas ainsi il croyaient avec le duc d'Albe, qu'une tête de saumon vaut cent têtes de grenouilles; la cour était du même avis. Quand un gentilhomme se convertissait, le roi daignait en témoigner de la joie.

1. Lettres de Madame de Maintenon (2 sept. et 22 oct. 1681.)

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