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de ses membres, et déclara qu'à l'avenir cette faveur ne serait accordée à personne sous quelque considération que ce fût. Pélisson, néanmoins, ne fut admis aux séances qu'en qualité de surnuméraire; le 30 décembre 1652 il remplaça officiellement M. Cerisay, et prononça son discours de réception le 17 novembre de l'année suivante.

Le célèbre surintendant Fouquet apprécia le nouvel académicien, il en fit son premier commis et son confident, et Pélisson se trouva dans les avenues de la fortune et des grandeurs; il en profita pour faire du bien. Il fit obtenir à la veuve de Scarron une pension du roi; elle n'eut pas l'air de s'en souvenir quand elle s'appela Madame la marquise de Maintenon.

Fouquet tomba tout à coup du faîte des grandeurs et entraîna Pélisson dans sa ruine. Mais rien ne put altérer la reconnaissance qu'il conserva pour son infortuné patron; il le défendit noblement avec sa plume. Le mémoire qu'il fit paraître en sa faveur, est le plus beau monument judiciaire de ce siècle. «Tout, dit La Harpe, va au but et rien ne sort du sujet; on y admire la noblesse du style, des sentiments, des idées, l'enchaînement des preuves, leur exposition lumineuse, la force des raisonnements et l'art d'y mêler sans dispute une sorte d'ironie aussi convaincante que la raison. » L'action était plus belle encore que la défense. Quand les courtisans se courbaient devant le roi et devant Colbert alors tout-puissant, Pélisson demeurait fidèle à l'amitié et au malheur.

Pendant que Fouquet achevait tristement dans sa prison de Pignerol une vie si brillamment commencée, son courageux défenseur était à la Bastille, privé de papier, d'encre, n'ayant pour compagnon de sa solitude qu'une araignée qu'il avait apprivoisée. S'il fût mort à cette époque, sa gloire eût été sans nuages et son nom ne se serait pas attaché à l'un des épisodes les plus déshonorants de ce siècle.

Le roi ayant témoigné quelque bienveillance pour lui, les portes de sa prison s'ouvrirent; mais on lui insinua qu'il ne pouvait rien faire qui fût plus agréable à Sa Majesté que de changer de religion. Sa fierté se révolta à l'idée d'obtenir son élargissement au moyen d'un parjure; mais peu à peu il s'y accoutuma, se mit à étudier avec

ardeur les questions de controverse et parut se laisser éblouir par le dogme de l'autorité de l'Église, exploité depuis avec tant d'habilité par Nicole, Arnaud et Bossuet. Il sortit de prison et, quelque temps après (8 octobre 1670)', il abjura entre les mains de Gilbert de Choiseul de Plessis-Praslin, évêque de Comminges, depuis évêque de Tournay. Le lendemain il se rendit à la Trappe et passa dix jours dans des prières et des mortifications, qui firent l'admiration du célèbre abbé de Rancé. Après son noviciat, il fut confirmé et communia', plus tard il prit le diaconat: l'académicien se fit abbé.

Le jour même de son abjuration, il écrivit à Louis XIV la lettre suivante, dans laquelle, sous une apparente simplicité, il fait la part du roi de la terre après avoir fait celle du Roi des cieux.

«Sire, lui dit-il, quelque profond que soit le respect pour Votre Majesté, j'ai cru devoir faire, sans elle, la seule chose du monde qu'il ne faut point faire pour lui obéir ni pour lui plaire. Dieu a voulu toutefois qu'après lui Votre Majesté y eût la première part. Sept ans de prières et d'études avaient éclairé et convaincu ma raison. Le seul état d'infortune et de disgrâce où je me trouvais, me rendait suspectes toutes les lumières et les inspirations du ciel, quoique vives et fortes in a plu à Votre Majesté de me tirer de cet état il y a neuf mois. Qu'elle compte donc désormais, s'il lui plaît, entre les grâces que j'ai reçues de sa bonté et dont je lui dois être éternellement obligé, celle qui est sans comparaison la plus grande, et qu'elle ne pensait pas m'avoir faite, je veux dire tout ce que les hommes peuvent contribuer à ma conversion et à mon salut: et qu'elle soit bien persuadée aussi qu'on ne peut être avec plus de vénération, plus de zèle et plus de reconnaissance que je ne le serai toute ma vie, Sire, de Votre Majesté, etc.» 3

3

Le roi combla le nouveau converti de ses faveurs, lui fournit la moitié de l'argent nécessaire pour acheter une

1. Lettre de Rapin de Thoyras à Le Duchat (1722), dans le Bulletin de l'hist. de la société du prot. franç., t. VI, p. 71.

2. Pélisson, Études sur sa vie et ses œuvres par Morcou, p. 275; Paris, Auguste Durand (1859).

3. Marcou, Etude sur Pelisson, p. 276.

place de maître des requêtes, le nomma son historiographe, l'admit au petit lever et au petit coucher; dès lors l'académicien n'écrivit plus que pour Dieu et le roi.'

XVI.

Nous ne suivrons pas le transfuge du protestantisme dans sa brillante carrière, nous ne raconterons de lui que ce qui se rapporte directement à notre sujet. Devenu abbé, il fut gratifié de l'abbaye de Bénévent, qui lui rapportait 10,000 livres, de celle de Gimont, qui en valait 8,000. A ces deux abbayes on ajouta le prieuré de SaintOrens, plus tard il fut chargé de l'administration du tiers des économats et des biens des réfugiés; ce fut en cette qualité qu'il fut chargé des conversions à prix d'argent.

L'idée de ces conversions appartient à Le Camus, évêque de Grenoble, qui depuis fut fait cardinal'. Les succès qu'il obtint frappèrent Louis XIV, qui ne s'arrêta pas à ce que le procédé avait de honteux pour celui qui en usait, et pour celui à l'égard duquel il était employé. Pélisson lui parut l'homme de son royaume le plus propre à cette œuvre; il lui confia l'administration de la caisse des conversions, qui devint pendant quinze ans une branche de l'administration publique; il consacra à son alimentation les revenus des abbayes de Saint-Germaindes-Près et de Cluny et le tiers des revenus des bénéfices qui tombaient en régale, et dont les rois de France jouissaient pendant la vacance. La caisse fit merveille. Dès les premiers jours, il en sortit des arguments plus forts que tous ceux des Arnaud, des Nicole et des Bossuet; il arrivait sans cesse des listes de conversions, que Pélisson soumettait au roi. Cependant tout ne se faisait pas avec

1. Cheruel, Dict. des instit., art. Chancellerie.

2. L'abbé Le Camus se distingua avant, pendant et après la révocation de l'édit de Nantes par son zèle pour convertir les huguenots; sur la fin son zèle se ralentit. Ce fut aux jours où il se livrait avec le plus d'ardeur à son prosélytisme, que la malignité publique décocha sur sa mitre un trait grossier, mais significatif :

Tout aussitôt qu'il sera né

Un cochon dans le Dauphiné,
Le Camus le baptisera, etc.

une grande régularité; on demandait journellement au caissier des ouvertures de crédit; celui-ci trouvait que certains de ses agents payaient trop cher les conversions, ce qui devait, dans un court délai, épuiser la caisse. Le 12 juin 1677, il envoya à chacun des évêques un mémoire accompagné d'une lettre.

Dans cette curieuse pièce, il leur propose pour modèle l'évêque de Grenoble et quelques missionnaires jésuites qui, avec la modique somme de deux mille écus, avaient fourni une liste bien certifiée de sept à huit cents conversions. Il ne saurait trop les supplier de recommander à leurs agents la plus sévère économie. Aux yeux du caissier les âmes ont une valeur relative: telle vaut quarante francs, telle soixante, telle cent, peu au-dessus, il y en a même qui ne valent qu'un petit écu. Il payera les lettres de change tirées sur lui; mais il faut que ce ne soit pas des gens inconnus ou peu connus et sans caractère qui les tirent, chacune d'elles devra être accompagnée d'une abjuration certifiée par l'évêque du diocèse, M. l'intendant ou quelque autre personne en charge considérable. Pélisson prévoit le cas où les protestants deviendraient trop exigeants. Il veut bien qu'on aille jusqu'à cent francs, mais seulement quand une nécessité impérieuse l'exigera; il prêche l'économie afin de répandre ses bienfaits sur plus gens; il craint que, si l'on donne cent francs aux moindres personnes, sans aucune famille qui les suivent, ceux qui seraient d'un rang plus relevé, ou qui traîneraient après eux nombre d'enfants, ne demandent des sommes beaucoup plus considérables. Il avertit MM. les prélats ou autres qui entreront charitablement dans ses sortes de soins, qu'ils ne peuvent mieux faire leur cour au roi, sous les yeux duquel on met toutes les listes de conversion, qu'en imitant ce qui a été fait au diocèse de Grenoble. Ce qui n'empêche pas néanmoins, ajoute Pélisson, que, pour des cas plus considérables, en m'en donnant avis auparavant, on ne puisse fournir des secours plus grands, suivant que Sa Majesté, à qui on s'expliquera, le jugera à propos. >>

de

1. Mss. Conrart, LX, p. 229. du prot. franç. (1855), p. 577.

Bulletin de l'hist. de la société

XVII.

Pélisson devint en quelques mois, avec son éloquence dorée, le plus grand convertisseur du royaume. Louis XIV était dans le ravissement. Les protestants abandonnaient en masse leur église. Dans la Saintonge et dans l'Aunis les résultats dépassaient toutes les espérances; ce que les missionnaires n'avaient su faire, la caisse le faisait. On avait obtenu les résultats suivants: en 1681, conversions 1503, frais 11,659 livres, taux moyen, 7 francs 75 c.; en 1682, janvier et février, conversions 189, frais 2347 livres 10 sous, taux moyen 12 fr. 40 c. de mars au 15 juin; conversions 257, frais 2580 livres, taux moyen 10 fr.; du 2 mai au 10 août, conversions 110, frais 1400 fr., taux moyen 12 fr. 70 c.; du 4 août au 19 octobre, conversions 80, frais 1535 livres, taux moyen 19 fr. 10 c.1

A la fin de 1682, Pélisson comptait cinquante mille huit cent trente conversions, lesquelles, calculées terme moyen à 15 fr., avaient occasionné une dépense d'environ sept cent vingt-cinq mille francs; il faisait, à moins de frais et plus de succès, ce que Charles IX et Louis XIII avaient essayé de faire par les armes. Il envoya la liste de ses convertis à Innocent XI, qui lui expédia un bref de félicitation, comme son prédécesseur Urbain VIII en avait donné un au fils du roi régnant, après la prise de La Rochelle.

Les fonds de Pélisson s'épuisèrent vite; car, en dehors des marchés à payer comptant, il avait des pensions à servir. En commençant son œuvre, il écrivait à l'évêque de Grenoble «Je ne serai pas assez heureux pour avoir à me plaindre qu'il y a trop de conversions. » Il eût eu et au delà le bonheur qu'il désirait; cependant les conversions devenaient moins faciles, et Pélisson ne recueillait de ses efforts que la raillerie des uns et l'indignation des autres. Fut-il sincère? nous devons le croire; mais cette sincérité même nous découvre le fond de l'abîme dans lequel un

1. Cartons Rulhière (Suppl. franç., 4026).

2, Il y eut des conversions en masse (6 p. tête); mais il faut tenir compte de celles qui pouvaient s'élever, suivant l'importance des personnes, jusqu'à 160 par tête.

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