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que M. de Vilette serait ici au mois de février. J'espère que la tendresse qu'il a toujours eue pour moi, l'empêchera de s'emporter, et qu'il démêlera bien au milieu de sa colère, que tout ce que j'ai fait est une marque d'amitié que j'ai pour mes proches. >>1

M. de Vilette, à son retour d'Amérique, fut indigné de la conduite de sa cousine; sa colère éclata contre elle dans des lettres qui sont perdues; mais on peut juger de leur amertume par celles de Madame de Maintenon', qui parvint néanmoins à ses fins et obtint de M. de Vilette luimême une abjuration. Elle rencontra chez sa nièce, pour l'amener à abjurer, moins de difficultés que Madame de Neuillant et les Ursulines de Niort n'en avaient trouvé chez elle. La jeune de Murcay, qui plus tard porta le nom de Madame de Caylus et se plaça au premier rang des femmes spirituelles et galantes de la cour de Louis XIV, nous a tracé, en quelques lignes, dans ses mémoires l'histoire de sa conversion. «A peine ma mère, dit-elle, futelle partie de Niort, que ma tante, accoutumée à changer de religion, et qui venait de se convertir pour la seconde ou la troisième fois, partit de son côté et m'emmena à Paris. Sur la route, nous rencontrâmes d'autres jeunes filles d'un âge plus fait, jeunes filles que Madame de Maintenon réclamait pour les convertir. Ces jeunes personnes, décidées à la résistance, étaient aussi étonnées qu'affligées de me voir amenée sans défense. Pour moi, contente d'aller sans savoir où l'on me menait, je ne l'étais (affligée ni étonnée) de rien..... Nous arrivâmes ensemble à Paris, où Madame de Maintenon vint aussitôt me chercher et m'emmena seule à Saint-Germain. Je pleurai d'abord beaucoup, mais je trouvai le lendemain la messe du roi si belle, que je consentis à me faire catholique, à condition que je l'entendrais tous les jours, et que l'on me garantirait du fouet. C'est là toute la controverse que l'on employa et la seule abjuration que je fis.>>3

1. Lettre inédite du 23 décembre 1683, tirée des copies manuscrites de Mademoiselle d'Aumale, qui avait été à Saint-Cyr secrétaire de Madame de Maintenon. Bulletin de la société de l'hist.

du prot. franç., t. II, p. 197.

2. Bulletin de la société du prot. franç., t. V.

3. Mémoires de Madame de Caylus.

XIV.

Quel que fût le zèle des convertisseurs, le talent et l'habileté de quelques-uns, les conquêtes du catholicisme étaient lentes, les protestants rentraient un à un dans le bercail, quand on aurait voulu les y voir rentrer en masse. Ils étaient entêtés et savaient se défendre; de plus, les transfuges avaient tant de motifs humains pour abandonner leur foi que leur abjuration perdait tout le sérieux que doit avoir un acte dont le seul mobile est la conviction. Le clergé néanmoins ne se rebuta pas; il vint en aide à ses convertisseurs et publia ses Méthodes.

Dans ce curieux et singulier arsenal, destiné à fournir des armes aux convertisseurs, on avait recueilli tout ce qui s'était publié contre les protestants. On y voyait figurer Bossuet à côté du curé Véron, Du Perron à côté de Maimbourg, Richelieu à côté de Frizon, Bellarmin à côté de Cotton; c'était un pêle-mêle incroyable. La plus commode des méthodes, parce qu'elle n'exigeait pas de ceux qui l'employaient un grand bagage scientifique, était celle de Bossuet, qui, plus tard, en fit un gros livre. Elle consistait à dire aux protestants: «L'un des caractères fondamentaux de la véritable Église est de ne pas varier; or, luthériens, réformés, anglicans, presbytériens, ont varié, donc vous n'êtes pas la véritable Eglise.» Quand plus tard, nous parlerons du livre des Variations, du célèbre évêque de Meaux, nous montrerons que l'auteur se frappe luimême avec les mêmes armes avec lesquelles il attaque ses adversaires.

Celles de Bellarmin et de Du Perron conseillaient aux convertisseurs de renoncer aux arguments et aux syllogismes, et de s'en tenir à l'Écriture et à la tradition, expliquées par les Pères des premiers siècles. Cette méthode était absurde au plus haut point, parce que le clergé supposait les réformés capables de comprendre la tradition et les Pères, quand elle les tient pour incapables de comprendre, par eux-mêmes, la Sainte-Écriture. Elle renferme une fraude manifeste, puisqu'on voulait donner à la tradition le même degré de crédibilité qu'à la Bible, lorsque

les protestants ne reçoivent de la Tradition que ce qui peut être prouvé par elle.

Celle de Véron était la plus curieuse et la plus absurde. Celui qui s'en servait, devait demander que sur chaque point controversé, son adversaire lui produisit un article formel des Écritures; si l'article était cité, il en demandait un second, tout aussi formel, qui prouvât que le premier devait être entendu dans le sens auquel il avait été allégué.

Celle du jésuite Maimbourg était basée sur une décision du célèbre synode de Dordrecht, qui avait prononcé en faveur de Gomare contre Arminius. «Si, disait le jésuite, l'Église a le droit de prononcer définitivement sur les contestations qui s'élèvent dans l'Église, c'était à l'Église romaine à prononcer dans la dispute qui s'est élevée dans l'Église aux jours de Luther et de Calvin; or, comme ils se sont soustraits à la juridiction légitime, ils sont coupables de schisme. » L'argumentation de Maimbourg reposait sur un sophisme, car les réformés n'ont jamais tenu l'Église pour infaillible et sont persuadés que ses conciles les plus pieux peuvent errer, et qu'il y a des occasions où non-seulement il est légitime, mais même nécessaire de rejeter leurs décisions; comment donc auraient-ils pu accepter Rome pour juge quand c'était contre elle qu'ils plaidaient? Comment l'auraient-ils tenue pour infaillible, quand c'est de sa faillibilité même qu'était née la sépara

tion.

Le même jésuite avait fourni deux autres méthodes : la première tirée de l'un de ses ouvrages', dans lequel il essaie de démontrer que la perpétuité est la marque de la vraie Église. Le principe est vrai, car les portes de l'enfer ne pourront jamais prévaloir contre l'Église qui a pour fondement les apôtres et les prophètes, et pour pierre angulaire, Jésus-Christ; mais les conséquences que le jésuite en tirait étaient fausses, car elles n'impliquaient pas nécessairement que l'Église romaine fût cette Eglise. Le débat restait donc ouvert. La seconde consistait à prouver que les protestants ne pouvaient pas savoir que la Bible est divinement inspirée, à moins que l'Église, c'est

1. Il était intitulé: De la vraie Église.

à-dire la Romaine, ne le leur certifiât; c'était absurde au plus haut degré, car les protestants répondaient avec beaucoup de raison, qu'il n'était pas nécessaire de l'autorité de Rome pour croire à la divinité des Saintes-Écritures, puisqu'ils croyaient sans elle et malgré elle.

Le jésuite voulait, par sa méthode, arracher des mains. des réformés les livres saints, ou bien ne les y laisser qu'à la condition qu'ils leur fussent interprétés par l'Eglise ; ce qui est tout aussi absurde que si une cour souveraine prétendait qu'on ne peut connaitre le sens de ses arrêts que par l'interprétation des juges qui les ont rendus.

La méthode, dont l'usage était le plus recommandé, était celle dans laquelle on insistait sur les effets déplorables des schismes dans l'Eglise. On engageait les convertisseurs à rappeler aux protestants la lutte de saint Augustin avec les Donatistes, afin de leur faire sentir que leur séparation, aux yeux de Dieu, était pire que l'idolâtrie; on posait en fait ce qui était en question, car il ne s'agissait pas de savoir si le schisme est péché ou non, mais si les réformateurs n'avaient pas eu des raisons suffisantes pour se séparer de la communion de l'Eglise romaine. Le clergé engagea en outre les convertisseurs à provoquer des conférences particulières, à répandre des écrits solides, à faire des sermons et des missions; il leur recommandait d'agir avec douceur, de discuter sans aigreur et sans injures, et de se souvenir de cette belle parole de saint Augustin: «Je ne maltraite pas ceux contre qui je dispute pour en tirer de l'avantage sur eux, je ne cherche qu'à les convaincre et à les sauver.'»

Toutes ces armes, que le clergé mettait aux mains des convertisseurs, étaient fort peu meurtrières; elles ne blessaient que les protestants qui voulaient se laisser vaincre : la lutte se fût ainsi prolongée pendant des siècles sans résultat, car les réformés regagnaient par la foi le terrain que l'intrigue leur faisait perdre. Mais ils trouvèrent un adversaire plus dangereux que Bossuet et Nicole dans l'un de leurs transfuges: on l'appelait Pélisson.

1. On trouve dans les Mémoires du clergé de France, t. Ier, p. 28 et suiv., des détails très-curieux sur la manière de se servir des méthodes.

XV.

cours

Paul Pélisson - Fontanier naquit en 1604, les uns disent à Castres, les autres à Béziers'. Son père, Jacques Pélisson, conseiller protestant à la chambre de l'édit de Castres, veilla à sa première éducation. A onze ans, l'enfant avait terminé ses humanités. Après un de philosophie à Montauban, il étudia le droit à Toulouse, où il se perfectionna dans l'étude des langues grecque et latine. Ses études terminées, il alla à Paris, où il fit la connaissance de Conrart, qui le présenta à la société lettrée qui se réunissait chez lui. Après quelques mois de séjour, Pélisson retourna à Castres, où il embrassa la carrière d'avocat. Ses débuts furent brillants, il serait devenu l'un des flambeaux du barreau si la petite vérole ne l'eût défiguré, et n'eût ruiné son tempérament fort et robuste; il laissa sa robe d'avocat et se dévoua aux lettres, pour lesquelles il avait un goût prononcé. Le séjour de Castres lui devint odieux, il quittà cette ville afin de rencontrer dans le monde de nouveaux visages qui ne lui rappelassent pas toujours ce qu'il avait perdu.'

En 1653, il retourna à Paris et acheta une charge de secrétaire du roi; ceux qui l'avaient connu pendant son premier voyage, ne le reconnaissaient pas. Il abusait, dit Mad. de Sévigné, de la permission d'être laid'; mais il racheta ce désavantage par sa conversation animée, piquante ; il n'avait qu'à parler pour plaire, dit l'abbé d'Olivet.»

Pélisson fut bientôt répandu dans les cercles les plus brillants de Paris, et y acquit cette célébrité de salon, où on n'arrive qu'à force d'esprit et de conduite. Mlle de Scudery fut subjuguée par ce brillant parleur, et découvrit, sous sa laideur, une belle âme. Elle l'aima au désespoir de ses nombreux rivaux. Leur liaison pure et chaste ne se termina qu'avec leur vie.

L'histoire de l'Académie française, que Pélisson fit paraître, établit sa réputation. La savante compagnie, quoiqu'elle fût au complet, le reçut par acclamation au nombre

1. Une savante dissertation de M. de Labouisse (Rochefort 1826) paraltrait décider le procès en faveur de Castres.

2. Lettres de Madame de Sévigné.

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