Page images
PDF
EPUB

XI.

Pendant que le clergé poursuivait son projet de réunion, il se servait de la controverse pour ramener les réformés à la foi romaine. Il avait alors des hommes éminents qui attaquèrent le protestantisme avec des armes autrement trempées que celles dont les Véron, les Frizon, les Arnoux et les Cotton s'étaient servis avec plus de zèle que de science, et plus de haine que d'à-propos. Ces hommes éminents entrèrent dans la lice armés de toutes pièces, et après tant d'écrits indigestes, si nous en exceptons ceux de Richelieu et de Du Perron, parut (1664) la Perpétuité de la foi de l'Eglise catholique touchant l'Eucharistie. Ce n'était encore qu'un petit volume in-12, ayant, pour tout nom d'auteur, celui du sieur Barthélemy. L'homme qui se cachait sous ce pseudonyme était Pierre Nicole', moraliste et théologien célèbre, et l'un des appuis du jansénisme. Calviniste rigide par le dogme de la grâce, mais catholique romain ardent par celui de l'Église, il ne comprit pas les réformateurs, dans lesquels il ne vit que des Erostrates; il attaqua leur œuvre avec la même ardeur que les jésuites. Sa science était vaste, son style vif, animé, sa dialectique puissante, sa pensée profonde, sa vie exemplaire comme celle des solitaires de Port-Royal. Ses essais de morale lui ont assigné une belle place parmi les écrivains du siècle de Louis XIV. Ce fut ce docteur qui entreprit la tâche ingrate d'établir la vérité du catholicisme romain, en essayant de prouver que le dogme de la présence réelle avait toujours été cru dans l'Église. Son traité causa une vive sensation dans tous les rangs de la société, ébranla dans leur croyance plusieurs protestants appartenant aux plus grandes familles du royaume. La maréchale de Turenne, redoutant pour son mari la lecture de l'ouvrage de Nicole, pria Claude de le réfuter; il le fit dans un traité manuscrit qui circula dans Paris. Nicole et ses amis, en apprenant que cet écrit avait du succès, comprirent qu'ils ne pouvaient le laisser circuler sans ré

et

1. Nicole naquit à Chartres en 1625 et mourut en 1695; il était fils d'un avocat au parlement.

ponse. Nicole se mit à l'œuvre, et le petit traité devint un gros volume.'

Au lieu d'une escarmouche, on eut une bataille rangée, dans laquelle Nicole fit un grand étalage d'érudition, mais négligea de suivre son adversaire sur le terrain où celui-ci affirmait, à juste titre, que devait se livrer le combat. «Il ne suffit pas, disait Claude, que M. Nicole prétende que le dogme de la présence réelle a été cru dans l'Église pendant plusieurs siècles, il faut qu'il établisse qu'il l'a été depuis le jour où le Seigneur Jésus institua le sacrement de la Sainte-Cène.» Or, son adversaire ne s'occupait pas des quatre premiers siècles, il donnait pour raison que si, depuis le onzième ou le douzième siècle, le dogme de la présence réelle avait été admis dans l'Église, il devait l'avoir été nécessairement dans les précédents. Dans l'impossibilité de fournir ses titres de propriété, il invoque la prescription; c'était l'aveu tacite de son impuissance; aussi c'est ce qui faisait dire au médecin Menjot: «qu'on me fasse voir que la foi à la présence réelle a été celle des quatre premiers siècles, et je me rends.»'

XI.

A cette époque, Claude, qui était devenu l'un des pasteurs de l'église de Charenton, avait parmi les réformés la place que Bossuet occupait parmi les catholiques; ils étaient dignes de se mesurer. L'évêque était supérieur au ministre par l'éclat du talent et la facilité d'élocution; mais le ministre suppléait aux dehors qui lui manquaient par une science approfondie des Saintes-Écritures, par une logique puissante et serrée. Une occasion mit les deux adversaires en présence: Mlle de Duras, qui se disposait à abjurer, eut l'idée de masquer sa retraite à l'aide du grand nom de Bossuet; elle provoqua une conférence entre le prélat et le ministre : Claude, qui ne soupçonnait pas le piége, consentit à débattre devant Me de Duras la question de l'Église; il ne fut pas au-dessous de son redou

1. La première édition est connue sous le nom de la Petite perpétuité; la seconde sous celui de la Grande perpétuité. 2. Sainte-Beuve, Hist. de Port-Royal, t. III.

table adversaire. Chacun s'attribua la victoire; mais Bossuet reçut l'abjuration de Me de Duras.

La question de l'Eglise, telle qu'elle fut posée, était insoluble. Si les adversaires se fussent placés sur le terrain historique, elle ne l'eût pas été; au lieu de se perdre dans des raisonnements sans fin, où la dialectique et la logique eurent plus de part que la raison et la puissance des faits, on eût trouvé facilement le fil conducteur de ce dédale, et Bossuet eût été forcément conduit à déserter le champ de bataille, ou à avouer que son Église n'était pas I'Église de Jésus-Christ, puisqu'elle n'a ni antiquité, ni unité, ni apostolicité, ni sainteté; pas d'unité, puisqu'elle a varié de siècle en siècle; pas d'antiquité, puisque ses dogmes particuliers n'ont pas leur racine sur le terrain biblique; pas d'apostolicité, puisque ses enseignements sont diamétralement opposés à ceux des apôtres; pas de sainteté, puisque sa morale renverse celle de l'Église chrétienne. Claude eut l'imprudence d'accepter la discussion sur le terrain choisi par Mile de Duras. Il s'y défendit cependant avec une habileté qui ajouta à sa réputation, et si cette demoiselle n'eût pas été résolue à l'avance de plaire au roi, Bossuet n'eût pas ajouté ce grand nom à celui des Turenne, des Lorge et des La Trémouille. Le prélat publia la relation de la conférence; Claude le fit aussi; on l'en eût empêché, si son superbe adversaire n'eût obtenu la permission qu'on lui refusait. Le public a aujourd'hui les pièces du procès sous les yeux.'

XII.

De l'époque où eut lieu la dispute de Claude et de Bossuet, date la manie de convertir qui s'empara des catholiques qui fréquentaient la cour, et se communiqua aux provinces gentilshommes, curés, notaires, procureurs, tout le monde, hommes et femmes, s'en mêlaient, heureux celui qui pouvait ramener dans la bergerie quelques brebis égarées. Les protestants étaient assaillis par une nuée de convertisseurs, dont la plus grande partie ne pui1. Bossuet, Conférence avec M. Claude. Claude, Réponse au livre de M. l'évêque de Meaux, intitulé: Conférence avec M. Claude.

[ocr errors]

sait leur zèle que dans leur ignorance et le désir de plaire au roi. Le père La Chaise, troublé par les succès de Bossuet, voulut avoir sa part de gloire dans cette croisade contre la Réforme ; il jeta les yeux sur un homme dont la conquête lui eût fait un singulier honneur. Le docteur Spon, de Genève, était à Lyon'; il lui adressa de Paris une lettre dans laquelle il le pressait d'abandonner l'hérésie. Spon, qui avait étudié les questions controversées, lui répondit une longue lettre qui est un vrai traité de controverse. L'historien de Genève met à profit sa science d'antiquaire; il avait étudié le passé sur les pierres des anciens tombeaux, et n'y avait pas trouvé des inscriptions telles que celles-ci: «Priez pour lui; qu'il repose en paix », mais il y avait lu ces mots : «Il est mort en paix ; il dort du sommeil de la paix; il est allé à Dieu.» « Dans tous les bas-reliefs anciens, dit Spon au confesseur du roi, il n'y a aucune représentation du purgatoire et des prêtres disant la messe. Tout cela n'est-il pas bien capable de faire soupçonner, du moins à un antiquaire, qu'il y a bien des nouveautés dans cette Eglise catholique qui se croit si ancienne; car, lorsqu'il s'agit d'antiquité, ce n'est pas à une antiquité de quatre ou cinq cents ans qu'il faut regarder, c'est à la première et pure antiquité. Après tout, vous ne pouvez vous vanter d'antiquité, que dans les points essentiels dont vous convenez avec nous, et dans la plupart de vos cérémonies copiées des païens.*

[ocr errors]

« Permettez-moi d'ajouter ce que dit un de nos ministres, M. Hespérien, sur ce sujet : « Vous avez l'antiquité, dites-vous; je l'avoue, en quelque chose, et nous sommes nouveaux en quelque manière. Toute l'Eglise d'Occident était un corps malade, nous sommes guéris par la grâce de Dieu, en cela nous sommes nouveaux; vous êtes demeurés malades, en cela vous avez l'antiquité, qui vous est d'autant plus désavantageuse que les maladies invétérées tendent à la mort. Nous sommes nouveaux en qualité

1. Spon est particulièrement célèbre comme historien, il a écrit l'Histoire de Genève.

2. Les conformités des cérémonies modernes avec les anciennes, où il est prouvé par des autorités incontestables que les cérémonies de l'Église romaine sont empruntées aux païens. Voy. Du

Choul.

de réformés, comme un corps est nouveau quand il est guéri; mais nous sommes anciens en qualité de chrétiens orthodoxes. La Réformation est un accident à l'Église, lequel ne fait rien à son essence; l'essentiel est la vraie foi et l'adoration légitime. C'est de là que le salut dépend. Où étiez-vous, nous dit-on, avant Calvin? Nous étions dans une société semblable où étaient les véritables juifs au temps de Jésus; nous étions dans un lieu où il ne faisait pas trop sûr de s'arrêter.»

Le père La Chaise ne revint pas à la charge. La lettre du docteur demeura sans réponse.'

XIII.

Madame de Maintenon, dont le zèle pour la conversion des réformés croissait en raison de la dévotion du roi, ne demeura pas inactive; elle se souvint de la méthode suivie à son égard quand on la contraignit à abjurer; elle l'employa sans scrupule auprès des enfants de M. de Vilette-Murcay, petit-fils, par sa mère, de Théodore Agrippa d'Aubigné. N'ayant pu engager son cousin à lui confier l'éducation de ses enfants, elle obtint du marquis de Seignelay un commandement qui devait l'éloigner durant un temps assez considérable. Pendant que M. de Vilette partait de La Rochelle avec l'amiral d'Estrées, et se dirigeait vers l'Amérique, elle fit enlever ses deux fils et Mule de Murcay, sa fille, alors âgée de sept ans.

Dans les détails que Madame de Maintenon donne de cet enlèvement, elle dit, en parlant de Mademoiselle de Murcay: «Je l'emmenai avec moi; elle pleura un moment quand elle se vit seule dans mon carosse, ensuite elle se mit à chanter, elle dit à son frère qu'elle avait pleuré en songeant que son père lui dit en partant, que si elle changeait de religion et venait à la cour sans lui, il ne la reverrait jamais.»

« Je ne doute pas, écrivait Madame de Maintenon à Madame de Vilette, que l'enlèvement de votre fille ne fasse bien du bruit; j'ai voulu agir ainsi pour vous tromper la première, ne craignant rien plus que de vous commettre avec M. votre mari. M. de Seignelay m'a dit aujourd'hui 1. Publications protestantes, p. 433 et suiv.

« PreviousContinue »