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LIVRE XLII.

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I.

Nicolas-Auguste de Montrevel, de l'illustre et noble aison de Labaume-Montrevel, naquit en 1646, dans la ranche-Comté; il suivit la carrière des armes dans lauelle il se distingua par une rare intrépidité. Il dut ses rades à sa bravoure et à son lact de courtisan.

C'était un parfait soldat et un médiocre capitaine; là où aurait fallu un tacticien consommé et un habile diploate, la cour envoya un dragon. Montrevel, malgré ses cheeux gris et ses cinquante-sept ans, jouait au Céladon, a imposait aux simples avec son air de grand seigneur et es paroles sonores et vides débitées avec un aplomb imerturbable; il personnifiait la sottise et la fatuité. Son arriEe combla de joie les catholiques; ils ne doutèrent pas u'un maréchal de France ne mît bientôt fin à une guerre ont ils attribuaient le prolongement à l'impéritie de Brolie. Organe de l'opinion publique, Fléchier écrivit à son ergé: « Le roi, enfin, a eu pitié de nous et a envoyé des oupes réglées et un maréchal de France pour les comander. Nous espérons que Dieu bénira ses armes et nous endra à notre première tranquillité 1. » Dès son arrivée, ontrevel se fit rendre un compte exact de la situation des sprits, des forces dont disposaient les camisards et des uses qui leur avaient mis les armes à la main. Il prit utes les mesures pour les réduire promptement; «< ceux, semblables, dit Louvreleuil, à des rochers que les ents combattent inutilement, ne s'en émurent pas. >> Montrevel eut bientôt l'occasion de juger, par lui-même, e la valeur des ennemis qu'il était appelé à combattre.

1. Lettres choisies de Fléchier, lettre 138, p. 121.

2. Louvreleuil, t. Jer, p. 130.

2

C

Ravanel campait au Mas de Serrières, à quelques lie de Nîmes, et se disposait à donner deux jours de repc ses soldats, lorsqu'il se trouva (20 février 1702) en p sence du maréchal à la tête de trois brigades. «Enfar s'écria Ravanel à sa troupe, en avant,» et il s'élança les soldats royaux, fendit leurs rangs et excita leur adm tion par une charge brillante. Longtemps la victoire disputée, le nombre seul l'emporta; le chef camis donna l'ordre de la retraite, qui s'effectua avec beauc d'ordre et de précision. Montrevel, après sa victoire, prit qu'il ne réduirait pas aussi facilement les insu qu'il l'avait pensé. Ce fut ce qui l'engagea à demar au cabinet de Versailles des ordonnances contre ceux habitants du Languedoc, qui directement ou indirecten favorisaient les insurgés; la cour lui accorda en partie demandes et rejeta les autres, parce qu'elles lui paru trop cruelles. Le maréchal ne comprenait pas ses hés tions; le danger, à ses yeux, n'était pas dans le soul ment des Cévennes, mais dans un projet de conspira générale formé par tous les protestants de France et Les États protestants étrangers; il pensait donc que le moyen de déjouer la conspiration, c'était de l'ané: dans son foyer, en attaquant corps à corps les camis et en soumettant à un régime de terreur les protestan les nouveaux convertis.

II.

Les réfugiés réformés, attentifs aux événements qu passaient dans les Cévennes, sollicitèrent l'Angleterre Hollande de venir au secours de leurs frères. Si, dan moment, dix mille hommes de bonnes troupes eussent débarqués sur le littoral de la Méditerranée, ils eus décidé un soulèvement en masse de toute la popula protestante, et à vues humaines, la puissance de Louis se serait brisée contre ces rochers des Cévennes teint: sang de ses sujets; mais quand pour secourir les camis il aurait fallu des épées, on n'eut que des écrits. Pa ceux qui parurent, celui qui fit le plus d'impression sui esprits, fut le manifeste imprimé en Hollande, sous le r

3 camisards. C'était une adresse énergique aux États ɔtestants étrangers pour les engager à venir au secours 5 Cévennes; dans cet écrit, les insurgés établissaient e la France n'avait jamais eu de sujets plus soumis à ses s que leurs pères; ils faisaient l'historique des événents accomplis depuis la révocation, rappelaient leur gue patience, puis ils arrivaient à leur insurrection. << Ce st point ici, disaient-ils, une révolte ni une rébellion sujets contre leur souverain, nous lui avons toujours soumis et fidèles, et on a vu, pendant tout le traitent qu'on nous a fait, une obéissance si profonde qu'elle té en admiration à toute la terre; mais c'est un droit la nature qui nous oblige en conscience de nous armer, ir repousser la force; autrement nous serions complices nos propres malheurs, traîtres à nous-mêmes et à tre patrie.

«Nous savons que notre pauvre France est désolée et née dans toutes ses provinces, que les peuples y crient gémissent sous l'oppression, et que la justice et la bonne en sont bannies. Nous ne voyons plus partout que vioces, et nous ne savons ceux qui gouvernent la France; is n'y comprenons plus rien; car jamais un bon roi, nme le nôtre, n'a pris plaisir à détruire ses sujets innoits, ni à les perdre ni à les massacrer, parce qu'on les uve priant Dieu dans leurs maisons ou dans des trous terre. Peut-on inspirer à un roi la résolution de devel'ennemi d'un peuple dont il avait juré d'être le père le protecteur?

(Nous voyons tous les préparatifs de guerre qu'on fait tre nous, et que le maréchal de Montrevel nous mece d'un grand nombre de troupes réglées pour nous ruire. Notre résolution et notre intrépidité ont, jusqu'à ésent, déconcerté nos ennemis; nous ne serons point ouvantés de leur grand nombre; nous les poursuivrons rtout, sans pourtant faire du mal à ceux qui ne nous en alent point; mais nous ferons de justes représailles ntre les persécuteurs en vertu de la loi du talion, ornnée par la parole de Dieu et pratiquée par toutes les tions du monde; et nous ne mettrons jamais bas les mes que nous ne puissions professer publiquement tre religion, pour faire revivre les édits et les déclara

tions qui en autorisaient le libre exercice. » Ces plaintes ne valurent aux camisards que les sympathies stériles des États protestants.

III.

Pendant qu'on s'occupait du sort des protestants cévenols dans les pays étrangers, la guerre se poursuivait des deux côtés avec un incroyable acharnement. La Jonquière, officier des troupes royales, était à la poursuite des débris de la troupe de Cavalier. Il les rencontra, le 4 mars 1703, aux environs de Saint-Mamet, et fondit sur eux avec impétuosité; les camisards, malgré leur petit nombre, soutinrent vaillamment le choc, et firent si à propos leur première décharge, que les soldats de La Jonquière, saisis d'une terreur panique, prirent la fuite et laissèrent la terre jonchée de leurs morts.

Dans ce moment, Cavalier se concertait avec Roland sur les moyens à prendre pour faire échouer les projets de Montrevel. Malheureusement, il fut attaqué de la petite vérole et obligé de remettre momentanément le commandement de sa troupe à Ravanel et à Catinat, ses lieutenants. Secondé par ces deux chefs, Roland se dirigea du côté de Ganges, rencontra sur sa route un détachement d'infanterie, qui escortait un prêtre; il le tailla en pièces; pendant l'attaque, l'ecclésiastique, monté sur un bon cheval, prit la fuite et s'échappa'. Ganges ouvrit ses portes aux camisards, qui y trouvèrent des rafraîchissements et des provisions; de là ils se dirigèrent vers Pompignan, à travers les sentiers rudes et escarpés des montagnes de la Serane. Les habitants de Pompignan, tous catholiques déterminés, refusèrent d'ouvrir leurs portes et soutinrent avec beaucoup de succès une première attaque; une seconde se préparait, quand de Parate déboucha avec un corps nombreux de troupes dans une plaine située entre Pompignan, Claret, Férières et Corconne, et se trouva en présence des camisards, qu'il essaya d'envelopper. Ceuxci l'attendirent de pied ferme et subirent bravement son choc, qui fut terrible, et les affaiblit en les séparant en

1. Court, t. II, p. 211 et suiv.

2. Brueys, t. III, p. 117.

pro

deux corps. Leur position était des plus critiques; mais ces hommes, qui ne s'étonnaient de rien, firent des diges de valeur. Catinat et Ravanel, calmes au milieu de la mêlée, déployèrent une habileté qui fit l'admiration des roupes royales. Accablés par le nombre, ils présidèrent à a retraite de leurs soldats et les sauvèrent d'une destrucion totale. Deux cents d'entre eux demeurèrent sur le champ de bataille, couvert d'un nombre aussi grand de eurs ennemis. En se retirant, les camisards se vengèrent le leur défaite en brûlant l'église de Dufort.'

IV.

Montrevel, qui n'avait pas obtenu de la cour le droit Texterminer les protestants, obtint cependant celui de es ruiner; il leur imposa de fortes amendes destinées à ndemniser les catholiques des pertes que la guerre leur vait fait subir. Jusqu'à cette époque, la noblesse protesante s'était tenue prudemment dans ses terres et n'avait ourni aucun de ses membres à l'insurrection qu'elle mauissait, le courage lui avait manqué; à Dieu, elle avait référé le roi; à sa foi, ses biens; au martyre, son epos; quand elle aurait dû se lever comme un seul omme, elle courba lâchement la tête et laissa à de miséables pâtres la gloire de relever le drapeau du protesantisme, foulé aux pieds. Tous les gages honteux qu'elle vait donnés de sa soumission, n'avaient pas rassuré Montevel. Il lui fit l'honneur de la soupçonner et la manda à limes.

«Messieurs de la noblesse, dit le maréchal aux gentilsommes, vous avez eu tort de n'avoir pas employé, pour touffer la révolte à sa naissance, le crédit et l'autoité que des gentilshommes doivent avoir sur des paysans. Considérez les ravages que produit cette révolte depuis euf mois; prévoyez avec moi les suites terribles qu'elle ngendrera, si vous ne vous y opposez de toutes vos orces; ouvrez les yeux pour voir à quel genre d'hommes ous avez affaire : ils se montrent si cruels et si inhunains qu'ils s'acharnent contre les membres sanglants de 1. Court, t. Ier, p. 227 et suiv.

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