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résulta la chute d'un souverain qui, vainqueur, eût placé leur pays sous un régime de terreur et d'abaissement.

Schomberg déploya, dans cette campagne, son habileté accoutumée; il fut envoyé en Irlande pour soumettre les Jacobites; il remporta sur eux une victoire (11 juillet 1690), et de leurs drapeaux conquis il se fit un glorieux suaire; comme son maître, Turenne, il trouva la mort sur un champ de bataille; Dublin lui fit de splendides funérailles, et donna à ses restes une place dans l'église de Saint-Patrice.1

1. Haag, France protestante, art. Schomberg.

LIVRE XL.

175

I.

C'est dans ces jours de grande affliction, que le chréien élève plus particulièrement ses regards vers le ciel, sentant que c'est de Dieu seul que procède la délivrance. Toute lueur qui lui apparaît, dans la nuit de son deuil, lui semble un phare dont il ne détache pas ses regards. Les temps dans lesquels les réformés vivaient, les invitaient à rechercher, dans les promesses que le Rédempteur fait à son Église persécutée, un remède à leurs maux; ils s'appliquaient donc tout ce que l'esprit saint dit de cette Église, qu'il compare «à une colombe qui se cache dans la fente des rochers; » et ils appliquaient, à 'église romaine, tout ce que Saint-Jean, dans son apocalypse, dit de la ville bâtie sur les sept collines. Ce qui les préoccupait surtout, c'était le nombre mystérieux de quarante-deux mois, pendant lesquels il serait donné aux gentils de fouler la sainte cité; lequel nombre correspondait aux douze cent soixante jours, durant lesquels les deux martyrs devaient prophétiser.'

Les gentils étaient naturellement, aux yeux des réformés, les catholiques romains; la difficulté, pour eux, était de déterminer le moment précis où ils avaient commencé à fouler les parvis du Seigneur, c'est-à-dire le protestantisme. Jurieu se décida à descendre dans les abîmes apocalyptiques; il en sortit avec la certitude de la prochaine délivrance du protestantisme; il fixa la mort de l'Eglise au mois d'octobre 1685, et annonça sa résurrection pour le mois d'avril 1689.

Son livre parut en 1686, et causa une surprise incroyable; ses ennemis s'en réjouirent comme d'une grande victoire. Le fier et valeureux athlète présentait un large flanc à la raillerie. Bossuet, Pélisson, Bayle et un grand nombre d'autres, fondirent sur lui et le ridiculi1. Nap. Peyrat.

sèrent. Cependant, l'accomplissement des prophéties et la délivrance prochaine de l'Eglise (c'est ainsi que Jurieu avait intitulé son livre), trouva des partisans enthousiastes. L'auteur, d'ailleurs, paraissait si convaincu, sa science, son érudition, son zèle, son amour pour sa cause, ses luttes et ses combats journaliers, faisaient de lui un homme exceptionnel. De plus, enfin, les temps étaient si critiques! les réformés si persécutés! Rome si cruelle! On crut à l'esprit révélateur de Jurieu, et ses admirateurs lui firent frapper, en Hollande, une médaille avec cette inscription latine: Jurius propheta. Cette médaille, semblablement iconique, le représente avec un large chapeau de quaker, les cheveux courts, une barbe effilée, un nez aquilin, une face maigre et allongée, une physionomie qui, bien que douce et calme, annonce la vive et rêveuse mobilité de son âme.1

II.

vrai

Les partisans de Jurieu ne doutèrent pas qu'il n'eût trouvé la clef apocalyptique, quand simultanément ils virent Jacques II perdre sa couronne, et des faits étranges et mystérieux se produire au milieu des populations dauphinoises et cévenoles.

Ce n'est pas sans appréhensions que nous avons vu s'approcher le moment, où nous serions appelés à faire le récit de l'une des époques les plus dramatiques et les plus extraordinaires de l'histoire du protestantisme français; en effet, les événements changent tout à coup de nature; et l'ordre des choses, dans lequel nous nous sommes jusqu'ici trouvés, fait place à un ordre nouveau. Si nous voulons y voir des miracles, notre siècle incrédule sourit de pitié et de dédain; mais si nous essayons de tout expliquer, nous sommes conduits forcément à croire l'impossible, et pour refuser d'être croyants, condamnés à être crédules.

Quoi qu'il en soit, les faits que nous allons raconter ne sont pas de ceux qu'il soit permis de révoquer en doute; ils se sont passés en plein jour, et ont eu pour témoins des

1. Nap. Peyrat.

milliers de personnes: celles qui avaient intérêt à les publier, celles qui avaient intérêt à les cacher. Le bruit qu'ils ont fait a retenti dans toute l'Europe, et pendant qu'elle en était pleine, pas une seule voix ne s'est élevée pour les contester. «J'ai vu, dit le maréchal de Villars, des choses que je n'aurais jamais crues, si elles ne s'étaient passées sous mes yeux: une ville entière, dont toutes les femmes et les filles sans exception paraissaient possédées du diable; elles tremblaient et prophétisaient publiquement dans les rues'.» David Flottard porte à plus de 8000 les personnes qui dans une seule province avaient des inspirations. Bâville, Fléchier, la faculté de médecine de Montpellier, le parlement de Grenoble, constatent le même fait; l'homme enfin qui trahit ses frères et vendit sa plume, Brueys, commence son Histoire du fanatisme par ces paroles notables: «Depuis le mois de juin de l'année mil six cent quatre-vingt-huit, jusqu'à la fin de février de l'année. suivante, il s'éleva dans le Dauphiné, et ensuite dans le Vivarais, cinq à six cents religionnaires de l'un et de l'autre sexe, qui se vantaient d'être prophètes et inspirés du saint Esprit, qui disaient avoir la puissance de le communiquer aux autres, qui traînaient après eux la populace, et commençaient à former, en divers lieux, des assemblées très-nombreuses, qui ajoutaient foi à leurs rêveries.

«On aurait de la peine à croire ce que j'ai fait à dessein de raconter, si les choses que j'ai à dire ne s'étaient franchement passées à la vue de toute la France, et si les exécutions militaires, les prisons et les châtiments auxquels on fut obligé d'avoir recours, pour arrêter la contagion de ce mal, n'avaient fait assez d'éclat pour en informer l'Europe.

«Ainsi je n'ai pas cru qu'il fût nécessaire de charger cette histoire des arrêts, des ordonnances, des procèsverbaux et autres actes judiciaires, qui rendent authentiques les faits que j'y expose; ce sont des preuves que la postérité trouvera dans les archives où elles sont gardées, mais dont n'ont que faire ceux qui ont vu de leurs propres

1. Vie du maréchal de Villars, t. Ier, p. 125. Le maréchal, appelé à combattre les camisards, ne pouvait qu'attribuer au diable ce que les réformés attribuaient à Dieu.

yeux ce que je raconte, ou qui ont pour garants de la vérité la déposition de deux grandes provinces. >>

1

Nos lecteurs sentiront, par tous ces témoignages, que nous allons entrer dans le domaine du merveilleux, sans sortir cependant de celui de l'histoire; quant aux explications à donner du passage des choses ordinaires aux extraordinaires, nous avouerons humblement sur plusieurs points notre insuffisance; car si nous n'avons pas la faiblesse de tout croire, nous n'avons pas la prétention de tout expliquer.

III.

Sur la montagne du Peyrat, près de Dieu-le-Fit, petite ville du département de la Drôme, renommée par ses fabriques de drap et de poterie, vivait un gentilhomme verrier, appelé Du Serre: c'était un vieil huguenot, que les persécutions avaient rendu plus zélé pour sa foi; après la retraite des pasteurs, il réunit quelques jeunes pâtres du Dauphiné, probablement les orphelins des combattants de Bourdeaux, et devint leur catéchiste pendant les longues soirées d'hiver. Il leur lisait et expliquait l'Écriture sainte, et leur montrait dans Rome cette prostituée de l'Apocalypse qui, enivrée du sang des saints, tient dans ses mains une coupe pleine des abominations de la terre. Les enfants l'écoutaient avec avidité et attendaient avec la plus vive impatience le jour où ils diraient avec l'armée des cieux: «Elle est tombée, elle est tombée, la grande Babylone!> Les entretiens du vieillard, lecteur enthousiaste du livre de Jurieu, jetèrent ces jeunes pâtres dans un état d'extase, pendant lequel leur nature était transformée. Le mont Peyrat eut dès ce jour son école de prophètes. Emerveillé

1. Brueys, Histoire du fanatisme de notre temps. Nous avons consulté pour cette partie de nos récits: Louvreleuil, Le fanatisme renouvelé. Court, Histoire des Camisards. Lettres choisies de Fléchier. - Figuier, Histoire du merveilleux, t. II. Dubois, Les prophètes cevenols Bullet. de la société du prot. franc.

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Moret, Quinze ans de règne de Louis XIV.
Cévennes, édit. Bost. Mémoires de Jean Cavalier.

Histoire de l'église réformée de Nimes.
Peyrat, Histoire des pasteurs du désert.
l'église réformée de Montpellier, etc.

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Théâtre sacré des
Borel,

Mémoires de Villars.

Corbière, Histoire de

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