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six ans, Claude fut reçu ministre, et desservit successivement les églises de la Treyne et de Sainte-Affrique. Celle de Nîmes lui adressa vocation; il justifia le choix que le consistoire avait fait de lui. Jeune, il avait avec la hardiesse des premières années de la vie, la gravité et la sagesse des vieillards; sa parole n'avait ni le charme de celle de Daillé, ni l'éclat de celle de Du Bosc; mais elle avait une puissance qui lui venait d'une foi profonde et d'une logique nerveuse, serrée; il n'eût pas eu de supérieur parmi ses contemporains, s'il eût eu les dehors oratoires qui contribuent tant au succès du prédicateur. Dans les conseils il était droit et adroit, pénétrant, ferme, hardi quand il le fallait. Il opina dans le sens de ses collègues Noguier, Roure et Poujolas, et l'assemblée, sous l'impression de ses paroles énergiques ordonna, «que, pour couper le mal dans ses racines, chaque pasteur et ancien jurerait, séance tenante, la main levée à Dieu d'en décharger sa conscience, en déclarant ce qu'il pourrait savoir par lui-même ou qu'il aurait pu entendre dire à d'autres, directement ou indirectement. »'

Après la prestation du serment, chaque membre fit sa déposition. Il en résulta pour l'assemblée cette conviction que la cour avait essayé de séduire quelques ministres pour les faire entrer dans ses vues. Avant de se séparer, le synode arrêta «que des lettres seraient écrites, de sa part, à toutes les provinces du royaume touchant ce pernicieux dessein de l'accommodement des deux religions, qui ne pouvait se faire qu'en unissant les ténèbres à la lumière, et Christ à Bélial. »*

Peyremales, commissaire royal près du synode, trouvant ces derniers termes injurieux à la religion de Sa Majesté, s'opposa à la transcription de la délibération qui les contenait, dans le registre des actes officiels. Claude consulta l'assemblée et déclara à Peyremales que ce qui était écrit était écrit. Le conseil cassa la délibération du synode, interdit à Claude les fonctions pastorales à Nimes et le bannit de la province du Languedoc.'

L'attitude énergique du synode de Nîmes et celle de 1. Borel, Hist. de l'église réformée de Nîmes.

2. Actes des synodes provenciaux.

3. Arrêt du conseil (6 août 1661).

celui d'Anduze, qui se réunit bientôt après, firent comprendre aux réunionistes que leur triomphe était encore bien éloigné; mais, pendant qu'ils étaient battus sur un point du royaume, ils croyaient vaincre sur un autre. A Sedan, ils se servirent de l'influence du maréchal Fabert pour tenter la réunion des catholiques et des réformés de cette ville. Le maréchal était très-propre à cette œuvre; il protégeait les protestants qui l'aimaient à cause de son caractère conciliant. Leblanc de Beaulieu, professeur à l'académie protestante, entra dans les vues du maréchal et prépara un projet qui ne pouvait plaire aux catholiques, par la manière nette et précise avec laquelle il formulait le Credo, au bas duquel prêtres et pasteurs devaient apposer leur signature; il ne plaisait pas non plus aux réformés, qui croyaient que Leblanc s'était laissé enlacer dans les filets des catholiques. Fabert mourut dans cet intervalle. Jusqu'à son dernier soupir, il exhorta les deux partis à se réunir, faisant en cela preuve de plus de zèle de lumière. Après sa mort les jésuites, dont la présence du maréchal modérait l'ardeur, abandonnèrent le projet de Fabert, et pensèrent qu'il y avait des moyens plus efficaces que la persuasion, pour réduire les réformés.'

VIII.

que

Un homme plus puissant que Fabert travailla à l'œuvre de réunion. Il était déjà célèbre: on l'appelait Bossuet.

Jacques-Bénigne Bossuet naquit à Dijon, le 27 septembre 1627, d'une famille ancienne et distinguée dans le parlement de cette ville; il fit ses premières études chez les jésuites, qui, émerveillés de son admirable aptitude à toutes les branches de l'instruction, voulurent l'attirer dans leur compagnie. Pour le soustraire à leur influence, ses parents, demeurés fidèles aux traditions parlementaires, l'envoyèrent à Paris au collége de Navarre, où il reçut le bonnet de docteur et l'ordre de la prétrise. Le jeune ecclésiastique était grave, sérieux, studieux, consciencieux dans l'accomplissement des devoirs de sa Haag

1. Élie Benoit, Hist. de l'édit de Nantes, t. III, p. 523. frères, France protestante, art. Fabert.

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charge; ses débuts donnèrent les plus belles espérances. Sa première thèse théologique, qu'il dédia au grand Condé, attira sur lui l'attention de ses juges, qui admirèrent la facilité de son élocution, sa logique nerveuse, serrée, puissante, son érudition étendue, la sûreté de sa mémoire, l'éclat de sa parole. Un sermon, qu'il improvisa à l'hôtel Rambouillet, consacra sa gloire naissante qui ne devait pas connaître de déclin. Le jeune prêtre ne se laissa ni éblouir, ni séduire par les louanges. Il quitta Paris et se rendit à Metz pour y remplir les fonctions d'archidiacre: c'est là, loin du bruit et des distractions, sans cesse renaissantes de la capitale, qu'il se livra à l'étude des Pères et de l'Écriture-Sainte.

L'église réformée de Metz avait alors pour pasteur Paul Ferry, qui jouissait parmi les catholiques et les protestants d'une belle réputation; il la méritait par sa science, son éloquence et l'honorabilité de sa vie; son influence était grande, mais elle tenait moins encore à sa piété qu'à l'habileté avec laquelle il savait se mettre en crédit chez les grands qui le considéraient beaucoup. Ferry fit imprimer un catéchisme', qui attira l'attention du jeune archidiacre de l'église de Metz, qui le réfuta, et débuta ainsi dans la controverse, où il devait se rendre si célèbre; cet écrit, qui n'a pas la valeur de ses autres ouvrages, porte néanmoins l'empreinte de son génie et surtout celle de son habileté à masquer les côtés faibles de son Église et à attaquer ses adversaires par ceux où ils ne sont pas les plus forts.

Bossuet fit à Metz les premiers essais de son rare talent pour la prédication; sa réputation, qui vola de bouche en bouche, reçut sa consécration à Paris, où il prêcha dans les principales églises. Le roi voulut l'entendre, et daigna féliciter le père du jeune orateur. Bientôt après, Bossuet fut nommé à l'évêché de Condom, et choisi par le roi, sur une liste de cent concurrents, pour le précepteur du dauphin, son fils unique.

La Réforme était entourée d'ennemis qui la harcelaient sans relâche, mais de tous les écrivains qui l'attaquèrent, le plus puissant et le plus digne d'elle fut sans contredit,

1. Il était intitulé: Catéchisme de la réformation de la religion; Sedan, F. Chayer, 1654, in-8°,

Bossuet. Jusqu'à sa mort il ne cessa de la poursuivre, et si une main d'homme eût été capable de l'ébranler, c'eût été celle du prélat. Personne avant lui, si ce n'est Blaise Pascal, n'avait manié la langue française avec plus de souplesse, et ne lui avait imprimé plus de force et de grandeur. Bossuet était-il convaincu? Nous le croyons; mais ce grand esprit fut dominé, à son insu, par la fausse idée qu'il se fit de l'Église, et par l'horreur que lui inspirait le schisme; il attaqua donc dans les protestants moins encore des hétérodoxes que des rebelles.

Comme tous les hommes sincères du catholicisme, il désirait la réunion des deux cultes, mais il comprit qu'elle était impossible avec les concessions offertes aux protestants. C'est alors qu'il fit un vrai tour de force, en essayant de démontrer, dans son Exposition de la foi catholique, que les protestants s'étaient séparés sans motifs de la communion romaine, puisque la foi romaine, à quelques différences insignifiantes près, n'est ni plus ni moins que la foi protestante. L'habile controversiste fit bon marché de certains enseignements, abhorrés des réformés, du culte des saints en particulier, et protestantisa si bien les autres, que les lecteurs superficiels purent croire, à la première lecture, que la grande séparation du seizième siècle n'avait pour cause qu'une querelle de moines.

Le livre de l'Exposition de la foi catholique causa une immense sensation dans tous les rangs de la société : les catholiques ne doutèrent plus de leur triomphe, en se voyant défendus par un athlète aussi vigoureux et aussi habile que M. de Condom; mais les premiers moments d'enthousiasme passés, plusieurs d'entre eux comprirent que Bossuet, en voulant défendre le catholicisme, le ruinait par sa base même en lui donnant une physionomie toute protestante; ils se plaignirent vivement, attaquèrent l'œuvre et l'auteur: il ne fallut rien moins à celui-ci, que son habileté, son influence, et les amis puissants qu'il avait à la cour, pour fermer la bouche à ses détracteurs. A force d'intrigues et de pourparlers, dont l'histoire est l'une des pages les plus curieuses de la politique de la cour romaine, il obtint un bref du pape,'qui déclara que le livre de l'Exposition ne contenait rien de contraire à l'enseignement catholique.

IX.

Au moment où l'écrit de Bossuet était lu avec le plus d'avidité, vivait à Montpellier un jeune avocat nommé Brueys qui avait quitté le barreau pour se livrer à l'étude de la théologie et des belles-lettres. L'Exposition de la doctrine catholique le charma par sa belle ordonnance; mais il en vit de suite le côté faible, et c'est par ce côté qu'il l'attaqua avec un avantage tel, que sa réponse à Bossuet lui donna une place éminente parmi les polémistes les plus renommés de son siècle. Brueys va droit à son superbe adversaire, débarrasse la question des incidents qui la compliquent, et la réduit à sa plus simple expression; sa polémique n'a rien d'irritant, il se respecte en respectant son adversaire, mais il lui porte des coups terribles, démasque toutes ses batteries, et sous la couche d'or du livre, il en montre le plomb. Il tire des paroles de Bossuet la conclusion que c'est à tort que les catholiques accusent d'hérésie les protestants, puisque, par la bouche du prélat, ils reconnaissent qu'ils sont sur le terrain des doctrines orthodoxes. «N'est-il pas vrai, dit Brueys, qu'un tel aveu, que j'ai copié mot à mot des propres termes du livre de l'Exposition, est d'une merveilleuse consolation pour ceux qui font profession de notre créance? Car, enfin, selon M. de Condom, on ne peut plus nous traîter d'hérétiques, puisqu'on avoue que nous avons les points fondamentaux, et que sur les matières de controverse, on nous veut persuader que tout ce que l'Église romaine croit au delà de ce que nous croyons, revient à la mème créance dont nous faisons profession et ne détruit point les vérités évangéliques qu'on avoue que nous tenons.

« Nous verrons dans la suite de cette réponse, lorsque nous examinerons les matières en détail que les créances et le culte de cette Église sont incompatibles avec ces divines vérités, dont elle voudrait se couvrir; mais cependant, si ce prélat a manqué son coup de ce côté-là, cela n'empêche pas que nous n'ayons juste raison d'inférer, de ce qu'il a mis en avant, que notre religion est bonne, et que, selon son aveu, on ne nous peut accuser d'aucune

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