Page images
PDF
EPUB

cette secte; Sa Majesté les sapa petit à petit, et l'édit qu'il vient de donner, soutenu des dragons et de Bourdaloue, a été le coup de grâce. »1

Mule de Scudery, l'écrivain à la mode, s'extasie à la vue des merveilles opérées par le roi contre les huguenots; le grave La Bruyère lui-même, en faisant le portrait d'un grand roi, prend pour modèle Louis XIV: « Il faut, dit-il, qu'il sache aussi se renfermer dans les détails de son royaume, qu'il en bannisse un culte faux, suspect et ennemi de la souveraineté s'il s'y rencontre. » Il n'est pas jusqu'à l'excellent Rollin qui ne loue Louis le Grand d'avoir éteint l'hérésie."

XIX.

A ce concert d'éloges, l'Académie française ajouta pendant longtemps les siens; elle n'avait pas attendu l'acte de révocation pour faire monter, vers le trône, ses louanges et son encens; la première fois qu'elle parla de l'hérésie, ce fut à la mort de Conrart, son fondateur. Le président Rose, successeur de l'académicien protestant, parla de la victoire que Richelieu avait remportée sur l'hérésie en 1681, au moment où les réformés étaient sous le poids de l'oppression la plus épouvantable. Le directeur Donjat s'éleva jusqu'au lyrisme en parlant des succès de Sa Majesté dans la conversion des réformés; il oublia de mentionner les dragons et leurs sabres, Pélisson et sa caisse, les évêques et leurs mandements. L'année suivante, à la réception de l'abbé de Dangeau, petit-fils de Duplessis-Mornay, l'abbé Galloys, chargé de lui répondre, en qualité de directeur, lui rappela son illustre aïeul, «dont l'éloquence aurait, dit-il, mérité les applaudissements du monde entier, si elle avait été employée à défendre une meilleure cause.» En 1684, Lafontaine parla de l'hérésie réduite aux abois'; en 1685, Barbier d'Ancourt compara l'émigration à la sortie d'Egypte; Tallemant, ne sachant comment exprimer son admiration pour la victoire sur

1. Noailles, Hist. de Madame de Maintenon, t. III, p. 437. 2. Idem, t. III.

3. Harangues académiques, t. Ier, p. 519.

4. Idem, t. II, p. 6.

l'hérésie, compare Louis XIV à Apollon, étouffant l'hydre de Lerne. L'Académie proposa, comme concours de poésie, la révocation de l'édit de Nantes; Fontenelle eut le malheur de remporter le prix. '

En 1695, Dacier, nouvellement converti, s'écrie dans son discours de réception : « le roi a brisé les chaînes de l'erreur. L'année suivante, l'abbé Fleury appelle les émigrés protestants de mauvais Français, qui ont mieux aimé renoncer à leur patrie qu'à leur fausse religion.

Les académiciens philosophes se montrent inconséquents avec leurs principes de tolérance. D'Alembert attaque Jurieu, le traite de fou et de visionnaire, et oublie que l'exil est le bouclier du proscrit. Il fallait de longs jours à l'Académie, pour ouvrir les yeux sur l'iniquité de la révocation de l'édit de Nantes; plus tard elle répara noblement ses torts.3

Quand toute la France, peuple, clergé, parlement, académiciens, écrivaient, s'associaient par leurs éloges à l'œuvre de Louis XIV, il n'est pas étonnant qu'il ait eru accomplir une œuvre utile à l'État, glorieuse pour l'Église.

XX.

Au milieu de ces concerts d'éloges, qui empêchaient Louis XIV d'entendre les cris de douleur de ses victimes, et de comprendre qu'en frappant ses sujets dissidents, il se trappait cruellement lui-même, il y eut des hommes qui ne mêlèrent pas leurs voix à celles des louangeurs, et déplorèrent amèrement un acte qui blessait les droits de T'humanité, et blessait au cœur la religion catholique qu'il semblait raffermir. De ce nombre furent plusieurs membres de la plus haute noblesse, l'illustre Vauban, Noailles, archevêque de Paris, Saint-Simon....

Saint-Simon, si connu par ses mémoires, avait, malgré ses excentricités, ses rancunes, et sa vanité outrée qui lui faisait voir dans un duc et pair un homme d'une nature supérieure, un coup d'œil juste, pénétrant, une âme droite, 1. Harangues académiques, t. III, p. 115.

2. Idem, t. II, p. 405.

3. Bulletin de la société du prot. franç., t. V, p. 605 et suiv.

honnête; il comprit tout de suite l'aveuglement de Louis XIV, et jugea son œuvre avec une grande impartialité; son arrêt est devenu celui de la postérité.

«La révocation de l'édit de Nantes, dit cet écrivain, sans le moindre prétexte et sans aucun besoin, et les diverses prescriptions plutôt que délibérations qui la suivirent, furent les suites de ce complot affreux qui dépeu

[ocr errors]

un quart du royaume, qui ruina son commerce, qui l'affaiblit dans toutes ses parties, qui le mit si longtemps au pillage public et avoué des dragons, qui autorisa les tourments et les supplices dans lesquels ils firent réellement mourir tant d'innocents de tout sexe par milliers, qui ruina un peuple si nombreux, qui déchira un monde de familles, qui arma les parents contre les parents pour avoir leurs biens et les laisser mourir de faim; qui fit passer nos manufactures aux étrangers, fit fleurir et regorger leurs États aux dépens du nôtre, et leur fit bâtir de nouvelles villes; qui leur donna le spectacle d'un si prodigieux peuple proscrit, nu, fugitif, errant, sans crime, cherchant asile loin de sa patrie; qui mit nobles, riches, vieillards, gens souvent très-estimés pour leur piété, leur savoir, leurs vertus, des gens aisés, faibles, délicats, à la rame, et sous le nerf très-effectif du comite, pour cause unique de religion; enfin, qui, pour comble de toutes horreurs, remplit toutes les provinces du royaume de parjures et de sacriléges, où tout retentissait des hurlements de ces infortunées victimes de l'erreur, pendant que tant d'autres sacrifiaient leur conscience à leurs biens et à leur repos, et achetaient l'un et l'autre par des abjurations simulées, d'où sans intervalles on les traînait à adorer ce qu'ils ne croyaient point, et à recevoir réellement le divin corps du Saint des saints, tandis qu'ils étaient persuadés qu'ils ne mangeaient que du pain qu'ils devaient encore abhorrer. Telle fut l'abomination générale qui fut enfantée par la flatterie et par la cruauté. De la torture à l'abjuration, et de celle-ci à la communion, il n'y avait pas souvent vingtquatre heures de distance, et leurs bourreaux étaient leurs conducteurs et leurs témoins. Ceux qui, par la suite, eurent l'air d'être changés avec plus de loisir, ne tardèrent pas, par leur fuite ou par leur conduite, à démentir leur prétendu retour.

«Presque tous les évêques se prêtèrent à cette pratique subite et impie. Beaucoup y forcèrent, la plupart animèrent les bourreaux, forcèrent les conversions, et ces étranges convertis à la participation des divins mystères pour grossir le nombre de leurs conquêtes, dont ils envoyèrent les états à la cour pour en être d'autant plus considérés et approchés des récompenses.

«Les intendants des provinces se distinguèrent à l'envi à les seconder, eux et les dragons, et à se faire valoir aussi à la cour par leurs listes. Le très-peu de gouverneurs et de lieutenants-généraux de province qui s'y trouvaient, et le petit nombre de seigneurs résidant chez eux, et qui purent trouver moyen de se faire valoir à travers les évèques et les intendants, n'y manquèrent pas.

«Le roi recevait de tous les côtés des nouvelles et des détails de ces persécutions et de ces conversions. C'était par milliers qu'on comptait ceux qui avaient abjuré et communié deux mille dans un lieu, six mille dans un autre, tout à la fois et dans un instant. Le roi s'applaudissait de sa puissance et de sa piété. Il se croyait au temps de la prédication des apôtres, et il s'en attribuait tout l'honneur. Les évêques lui écrivaient des panégyriques. Toute la France était remplie d'horreur et de confusion, et jamais tant de triomphes et de joie, jamais tant de profusion de louanges. Le monarque ne doutait pas de la sincérité de cette foule de conversions; les convertisseurs avaient grand soin de l'en persuader et de le béatifier par avance. Il avalait ce poison à grands traits. Il ne s'était jamais cru si grand devant les hommes, ni si avancé devant Dieu dans la réparation de ses péchés et du scandale de sa vie. Il n'entendait que des éloges, tandis que les bons et les vrais catholiques, et les saints évêques gémissaient de tout leur cœur de voir des orthodoxes imiter, contre les erreurs et les hérétiques, ce que les tyrans hérétiques et païens avaient fait contre la vérité, contre les confesseurs et contre les martyrs. Ils ne pouvaient surtout se consoler de cette immensité de parjures et de sacriléges. Ils pleuraient amèrement l'odieux durable et irrémédiable que de détestables moyens répandaient sur la véritable religion, tandis que nos voisins exaltaient de nous voir ainsi nous affaiblir et de nous détruire nous-mêmes, pro

fitaient de notre folie, et bâtissaient des desseins sur la haine que nous nous attirions de toutes les puissances protestantes. >>

Le jugement que Saint-Simon porte sur l'œuvre de Louis XIV fut prononcé en connaissance de cause. Il eût été plus sévère si, comme Bayle, il eût entrevu que la destruction du protestanisme inaugurerait le règne de l'incrédulité. Revenons aux suites de l'édit de révocation. Nous avons à peine ébauché la série des épouvantables malheurs qu'il entraîna avec lui.

« PreviousContinue »