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se figure que tout est aisé; on espère satisfaire toutes les exigences, toutes les humeurs, tous les intérêts; on se flatte que chacun mettra de côté ses vues personnelles et ses vanités; on croit que la supériorité des lumières et la sagesse du gouvernement surmonteront des difficultés sans nombre ; mais, au bout de quelques mois, la pratique vient démentir la théorie.

» Je ne vous présente, Messieurs, que quelques-uns des inconvéniens attachés à la formation d'une république ou d'une monarchie nouvelle. Si l'une et l'autre ont des périls, il restait un troisième parti, et ce parti valait bien la peine qu'on en eût dit quelques mots.

» D'affreux ministres ont souillé la Couronne, et ils ont soutenu la violation de la

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foi par le meurtre; ils se sont joués des sermens faits au ciel, des lois jurées à la terre. Étrangers, qui deux fois êtes entrés à Paris sans résistance, sachez la vraie cause de vos succes: vous vous présentiez au nom du pouvoir légal. Si vous accouriez aujourd'hui au secours de la tyrannie, pensez-vous que les portes de la capitale du monde civilisé s'ouvriraient aussi facilement devant vous? française a grandi depuis votre départ sous le régime des lois constitution

La race

nelles; nos enfans de quatorze ans sont des géans, nos conscrits à Alger, nos écoliers à Paris,, viennent de vous révéler les fils des vainqueurs d'Austerlitz, de Marengo et d'Iéna; mais les fils fortifiés de tout ce que la liberté ajoute à la gloire.

» Jamais défense ne fut plus juste et plus héroïque que celle du peuple de Paris. Il ne s'est point soulevé contre la loi, mais pour la loi; tant qu'on a respecté le pacte social, le peuple est demeuré paisible; il a supporté sans se plaindre les insultes, les provocations, les menaces: il devait son argent et son sang en échange de la Charte; il a prodigué l'un et l'autre. Mais lorsqu'après avoir menti, jusqu'à la dernière heure, on a tout à coup sonné la servitude; quand la conspiration de la bêtise et de l'hypocrisie a soudainement éclaté; quand une terreur de château, organisée par des eunuques, a cru pouvoir remplacer la terreur, la république et le joug de fer de l'empire, alors ce peuple s'est armé de son intelligence et de son courage; il s'est trouvé que ces boutiquiers respiraient assez facilement la fumée de la poudre, et qu'il fallait plus de quatre soldats et un caporal pour les réduire. Un siècle n'aurait pas autant mùri les destinées d'un peuple que les trois derniers soleils qui viennent de bril

ler sur la France. Un grand crime a eu lieu ; il a produit l'énergique explosion d'un principe devait-on, à cause de ce crime et du triomphe moral et politique qui en a été la suite, renverser l'ordre de choses établi? Examinons.

» Charles X et son fils sont déchus ou ont abdiqué, comme il vous plaira de l'entendre, mais le trône n'est pas vacant; aprės eux venait un enfant, devait-on condamner son inuocence?

» Quel sang crie aujourd'hui contre lui? Oseriez-vous dire que c'est celui de son père? Cet orphelin élevé aux écoles de la patrie, dans l'amour du gouvernement constitutionnel et dans les idées de son siècle, aurait pu devenir un roi en rapport avec les besoins de l'avenir. C'est au gardien de sa tutelle que l'on aurait fait jurer la déclaration sur laquelle vous allez voter; arrivé à sa majorité, le jeune monarque aurait renouvelė le serment. Le roi présent, le roi actuel, aurait été M. le duc d'Orléans, régent du royaume, prince qui a vécu près du peuple, et qui sait que la monarchie ne peut être aujourd'hui qu'une monarchie de consentement et de raison. Cette combinaison naturelle m'eût semblé un grand moyen de conciliation, et aurait peut-être sauvé à la

France ces agitations qui sont la conséquence des violens changemens d'un état.

» Dire que cet enfant, séparé de ses maitres, n'aura pas le temps d'oublier jusqu'à leurs noms avant de devenir homme; dire qu'il demeurera infatué de certains dogmes de naissance après une longue éducation populaire, après la terrible leçon qui a précipité deux rois en deux nuits: est-ce bien raisonnable ?

» Ce n'est ni par un dévouement sentimental, ni par un attendrissement de nourrice transmis de maillot en maillot depuis le berceau de saint Louis jusqu'à celui du jeune Henri, que je plaide une cause où tout se tournerait de nouveau contre moi, si elle triomphait. Je ne vise ni au roman, ni à la chevalerie, ni au martyre. Je ne crois pas au droit divin de la royauté, et je crois à la puissance des rẻvolutions et des faits. Je n'invoque pas même la Charte, je prends mes idées plus haut je les tire de la sphère philosophique, de l'époque où ma vie expire. Je propose le duc de Bordeaux tout simplement comme une nécessité d'un meilleur aloi que celle dont on argumente.

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» Je sais qu'en éloignant cet enfant on veut établir le principe de la souveraineté du peuple; niaiserie de l'ancienne école qui prouve

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que, sous le rapport politique, nos vieux démocrates n'ont pas fait plus de progrès que les vétérans de la royauté. Il n'y a de souveraineté absolue nulle part; la liberté ne découle pas du droit politique, comme on le supposait au dix-huitième siècle; elle vient du droit naturel, ce qui fait qu'elle existe dans toutes les formes de gouvernement, et qu'une monarchie peut être libre et beaucoup plus libre qu'une république ; mais ce n'est ni le temps ni le lieu de faire un cours de politique.

» Je me contenterai de remarquer que, lorsque le peuple a disposé des trônes, il a souvent aussi disposé de sa liberté ; je ferai observer que le principe de l'hérédité monarchique, absurde au premier abord, a été reconnu, par l'usage, préférable au principe de la monarchie élective. Les raisons en sont si évidentes, que je n'ai pas besoin de les développer. Vous choisissez un Roi aujourd'hui qui vous empêchera d'en choisir un autre demain? La loi, direz-vous. La loi ? Et c'est vous qui la faites!

» Il est encore une manière plus simple de trancher la question, c'est de dire : Nous ne voulons plus de la branche aînée des Bourbons. Et pourquoi n'en voulez-vous plus ? Parce que nous sommes victorieux; nous

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