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était point de même dans la rue SaintAntoine. Là une population pleine d'ardeur, décidée à vaincre ou à périr, s'était cantonnée dans les maisons, sur les toits, et faisait continuellement feu sur les troupes qui parcouraient les rues; on découvrait les maisons, on faisait pleuvoir des tuiles sur les têtes des assaillans. Sur le boulevart Saint-Martin, même ardeur, même dévouement: les citoyens avaient transporté des pavés sur l'arc de triomphe de la porte Saint-Martin, et les lançaient sur les troupes, qui s'efforçaient en vain de se rendre maîtresses de ce point d'attaque. Le peuple, au même moment, attaquait vigoureusement la caserne de la gendarmerie, rue du faubourg Saint-Martin. D'abord repoussé, il finissait par s'emparer de cette caserne; tout ce qui s'y trouvait était entassé daus la rue et livré aux flammes. Là, comme partout ailleurs, personne ne s'est rien approprié; on a porté le scrupule jusqu'à jeter au feu l'argenterie et l'argent monnoyé.

Ce fut vers le soir du mercredi, lorsque l'ardeur de la lutte commençait à se ralentir, que le peuple commença sur tous les points à construire des barricades; jusqu'alors on s'était borné à mettre, en travers des rues, des poutres, des charrettes, toutes les voitures que l'on avait pu rencontrer; bientôt on dépava toutes les issues de chaque rue, on entassa des pierres dans des tonneaux, on fortifia ces défenses par des voitures renversées, des fiacres, des omnibus, des diligences; les arbres des boulevarts furent coupés et jetés en travers de la chaussée. Paris fut à l'instant mis dans un état de défense formidable.

La fusillade et la canonnade de l'Hô. tel-de-Ville finirent vers dix heures du soir, et les troupes, convaincues de l'impossibilité de se soutenir plus long-temps dans les quartiers populeux, profitèrent de la nuit pour se retirer vers le quartier des Tuileries. On les échelonna le long des Champs-Élysées, sur la place Louis XV, sur les quais en deçà du châ

teau; mais déjà la plupart, soit découragement, soit plutôt sentiment d'horreur pour l'infâme métier auquel on les avait condamnées, étaient disposées à se rendre ou à se retirer. On a vu la Garde royale, stationnée ou plutôt couchée sur la place Louis XV, gémir de son horrible situation; des larmes coulaient des yeux de la plupart de ces militaires. « Qu'on nous tue, disaient-ils, notre devoir est de mourir à notre poste; mais nous ne voulons plus faire l'indigne métier auquel l'on nous condamne depuis deux jours. » Ce fut alors que plusieurs officiers de la garde envoyèrent leur démission à leur commandant, et manifestèrent un généreux repentir. L'un d'eux, le comte Raoul de Latour du Pin, écrivit à Polignac la lettre suivante :

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Après une journée de massacres et » de désastres, entreprise contre toutes » les lois divines et humaines, et à la» quelle je n'ai pris part que par un

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respect humain que je me reproche, >> ma conscience me défend impérieuse» ment de servir un moment de plus.

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» J'ai donné dans ma vie d'assez » nombreuses preuves de dévouement au roi pour qu'il me soit permis, sans » que mes intentions puissent être ca» lomniées, de distinguer ce qui émane » de lui, des atrocités qui se commet» tent en son nom. J'ai donc l'honneur » de vous prier, Monseigneur, de met>>tre sous les yeux de S. M. ma démis»sion de capitaine de sa garde.

» J'ai l'honneur d'être, Monseigneur, » de Votre Excellence, le très-humble » et très-obéissant serviteur,

» Signé

» le comte RAOUL DE LA TOUR DU PIN. » 28 juillet 1830. »

La troupe de ligne que nous avons vue chancelante dans la matinée fit sa soumission presque toute entière; plusieurs régimens fraternisèrent avec les

citoyens qui les accueillaient aux cris de vive la ligne!

Paris, le 28 au soir, entièrement dépourvu de réverbères, hérissé de barricades, offrait l'aspect le plus sinistre : toute la population était debout. Le petit nombre d'administrateurs royalistes qui avait osé rester à leur poste, disparurent; les uns allèrent à SaintCloud: la plupart se cachèrent. Mangin, qui avait absolument perdu la tête, s'enfuit précipitamment de la préfecture de police; et la ville se trouva sans aucune espèce d'autorité.

C'est alors que de bons citoyens, réunis pour aviser aux circonstances, s'occupèrent d'établir quelqu'ordre au milieu de cet état extraordinaire. On forma le projet d'improviser des municipalités, de réunir tout ce qu'il serait possible de garde nationale, afin de préserver les propriétés particulières et publiques. La nuit se passa dans ces occupations.

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