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nacent la société et les particuliers, et les répare dans la mesure des ressources dont il dispose.

Il couvre de sa protection les mineurs, les faibles, les incapables et en général tous ceux qui ne peuvent se protéger eux-mêmes, et qui, sans son assistance, seraient exposés à subir les conséquences de l'injustice ou de l'abandon.

Il exerce enfin sur toutes les sphères et dans toutes les branches d'activité sociale une surveillance qui se tient au courant de tous les faits qui s'y produisent, et qui le met à même de contribuer par ses informations et ses conseils au développement de la moralité, de la richesse et du bien-être général (').

() M. Ahrens (Cours de droit naturel) fait aussi ressortir l'utilité de cette surveillance. « Au-dessus de tous les pouvoirs, il convient d'instituer un pouvoir inspectif, chargé de la mission de veiller à ce que tous les autres pouvoirs restent dans les limites de leurs attributions et n'empiètent pas les uns sur les autres. Ce pouvoir n'a pas aujourd'hui d'organe spécial; il est en partie réuni au pouvoir exécutif, qui exerce l'inspection sur la plupart des branches d'administration, en partie au pouvoir législatif qui, par plusieurs constitutions, a été investi du droit de faire des enquêtes par rapport à des actes d'administration. Quelquefois une fraction de ce pouvoir inspectif a été attribuée à des corps spéciaux, tels que la Cour des comptes, qui a le droit de suspendre, jusqu'à ce que le pouvoir législatif ait été saisi de la question, l'exécution des actes financiers ordonnés par le pouvoir exécutif et qui ne lui paraissent pas autorisés par la constitution, par la loi, ou par une juste appréciation des faits auxquels ces actes se rapportent. Selon Fichte (Fondements du droit naturel), ce pouvoir ne doit pas exercer une action positive, mais négative ou prohibitive; il doit surveiller particulièrement le pouvoir exécutif ou l'administration, et par conséquent être indépendant de ce pouvoir. >>

D'après M. Stuart Mill (la Liberté), la surveillance attribuée à l'au

L'ensemble de ces attributions fait ressortir clairement et pratiquement le but et la mission de l'État dans les sociétés civilisées. Mais, pour en faire apprécier mieux encore la signification et la portée, il importe de déduire certains corollaires et de présenter quelques applications et quelques conséquences de l'exposé qui précède.

La souveraineté de l'État domine toutes les sphères sociales, mais elle est dominée et doit être gouvernée à son tour par un principe supérieur, celui du droit et de la justice, qui a sa source en Dieu, et l'État est chargé de faire prévaloir dans la société.

que

L'État ne constitue pas la vie sociale, il n'en est que l'ordonnateur et le soutien. Son rôle est exclusivement extérieur, si je puis m'exprimer ainsi, et ne peut se mra

nifester que par des moyens indirects et généraux. Ses

rapports avec les diverses institutions sociales doivent être des rapports de simple protection. A ce titre, l'État

torité centrale devrait avoir surtout pour but et pour effet de centraliser la plus grande masse possible d'informations utiles. de manière à les répandre incessamment du centre à la circonférence.

<< I devrait y avoir » dit-il, « dans chaque département des affaires locales une surintendance centrale formant une branche du gouvernement général. L'organe de cette surintendance concentrerait comme dans un foyer toute la variété d'information et d'expérience tirée et de la direction de cette branche des affaires publiques dans toutes les localités, et de ce qui se passe d'analogue dans les pays étrangers, et des principes généraux de la science politique. Cet organe central aurait le droit de savoir tout ce qui se fait, et son devoir spécial serait de rendre l'expérience acquise dans un endroit utile ailleurs. >>

ne peut absorber les autres sphères de l'activité humaine, les institutions religieuses, morales, scientifiques, artistiques, industrielles, commerciales; il doit laisser à chacune d'elles sa valeur propre, sa liberté d'action particulière; il faut qu'il se borne à leur fournir les conditions extérieures de développement, à assurer leur équilibre et leur harmonie sans prétendre régler leur organisation intérieure, à les maintenir dans la voie de la justice et empêcher qu'elles n'en dévient.

Si son action embrassé à certains égards l'ensemble des rapports sociaux, elle est strictement circonscrite en ce qui concerne les rapports individuels. Il n'appartient pas à l'État de procurer à chaque personne en particulier le bien-être, la moralité, l'éducation, mais seulement de veiller à la prospérité, à la moralisation, à la civilisation générales. Tout ce qui touche à la vie privée, au développement individuel, doit lui rester étranger.

L'État doit s'abstenir de poser son action à côté de celle des particuliers ou des associations sans une nécessité bien démontrée, afin d'éviter de créer une concurrence qui peut aboutir au monopole.

Loin d'entraver l'initiative particulière ou collective, il doit s'efforcer de l'encourager, de la susciter ou de la raviver en l'éclairant au besoin. Ce n'est qu'à titre transitoire qu'il peut intervenir dans l'une ou l'autre sphère, se charger de telle ou telle fonction sociale qui resterait négligée, sauf à restreindre et même à abdiquer son intervention lorsqu'elle n'est plus justifiée par

la nécessité et à mesure du développement de l'esprit d'entreprise.

Il ne peut, sous prétexte de protection, d'encouragement, ou pour d'autres motifs, s'immiscer dans les transactions privées, rétribuer ou subsidier, aux dépens de la généralité, des services qui ne concernent que certaines classes ou certains individus. Ces services doivent être payés par ceux qui en profitent.

Il importe enfin que le pouvoir gouvernemental (gouvernement central, provincial, communal) fonctionne avec justice, intelligence, harmonie, célérité, économie, et la plus grande simplicité de ressorts possible (').

(') Parmi les réformes dont Louis-Napoléon, dans sa profession de foi de candidat à la présidence, en 1849, dénonçait l'urgence, on remarque les suivantes :

<< Admettre toutes les économies qui, sans désorganiser les services publics, permettent la diminution des impôts les plus onéreux au peuple...

« Restreindre dans de justes limites le nombre des emplois qui dépendent du pouvoir et qui souvent font d'un peuple libre un peuple de solliciteurs.

« Éviter cette tendance funeste qui entraîne l'État à exécuter lui-même ce que les particuliers peuvent faire aussi bien et mieux que lui. La centralisation des intérêts et des entreprises est dans la nature du despotisme. La nature de la république repousse le monopole. »

Le prince Napoléon confirmait cette sorte de programme dans son discours solennel à l'exposition de Limoges, le 12 juillet 1858: «Notre unité nationale, préparée par une longue suite de siècles et établie par la Révolution, n'a rien à redouter désormais de l'exagération de l'individualisme ou de l'esprit local. Le danger n'est pas là, il serait plutôt dans la tendance contraire, si elle se développait à l'excès. Ce que nous devons craindre, en effet, c'est l'absorption des forces individuelles par la puissance collective, c'est la substi

Bien que l'État puise sa légitimité, son autorité et sa force dans l'ordre divin, il faut qu'il soit complétement distinct de l'Église qui représente cet ordre dans la société (). La religion, expression des rapports de

tution du gouvernement au citoyen pour tous les actes de la vie sociale, c'est l'affaiblissement de toute initiative personnelle sous la tutelle d'une centralisation administrative exagérée. Je voudrais voir les citoyens, cessant de compter sur l'intervention et les faveurs de l'État, mettre un légitime orgueil à se suffire à euxmêmes. »

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S'inspirant de la même pensée, l'un des principaux dignitaires de l'empire s'exprimait en ces termes à l'ouverture du conseil général du Puy-de-Dôme, au mois d'août 1858 « Grâce à l'appareil légis– latif que nous a légué le passé en France, on ne peut pas remuer une pierre, creuser un puits, exploiter une mine, élever une usine, s'associer et, pour ainsi dire, user et abuser de son bien sans la permission et le contrôle du pouvoir central, et de grands intérêts se trouvent souvent retardés ou sacrifiés dans les degrés inférieurs de l'échelle administrative. Je crois que plusieurs réformes seront apportées à cette situation, grâce à l'initiative et à la volonté puissante de l'empereur, qui a fait étudier depuis longtemps tous les éléments de cette question. Le jour où le département, la commune et l'individu pourront, pour ainsi dire, s'administrer euxmêmes, les affaires s'expédieront promptement, et bien des mécontentements qui remontent jusqu'au pouvoir central s'éteindront. Mais je comprends aussi que le pays doit faire son éducation dans le nouveau système ; il ne faut pas qu'il attende tout du gouvernement et rien de ses propres efforts, et que dans son humeur il le rende responsable de la tournure des événements et des saisons dont il n'est pas malheureusement le maître. »

Voilà les promesses: comment ont-elles été remplies? Je laisse à d'autres le soin de répondre à cette question, en me bornant à appeler l'attention sur le parallèle que j'établis entre la France et la Belgique. (V. Appendice, litt. D.)

(') Je ne crois pas devoir insister sur le principe de la distinction ou de la séparation de l'Église et de l'État. Ce principe est généra

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