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doute de grandes choses; elle a été un instrument terrible de vengeance et de destruction mais a-t-elle édifié la vraie liberté? ne l'a-t-elle pas au contraire compromise et foulée aux pieds en armant la France contre l'indépendance et la liberté des autres peuples, et en la livrant elle-même aux abus de la force et du despotisme? Qu'a-t-elle apporté à la Belgique en particulier? et sous le régime dont elle nous a momentanément dotés étions-nous plus libres et plus heureux qu'aux siècles antérieurs où florissaient nos grandes communes et où la libre association opérait ses merveilles (')?

que Robespierre condamnait le régime dont il se prévalait pour imposer à la France son joug et son utopie. « Il existe, » disait-il, « un moyen de diminuer la puissance des gouvernements au profit de la liberté et du bonheur du peuple : il consiste dans l'application de cette maxime énoncée dans la déclaration des droits que je vous ai présentée : « La loi ne peut défendre que ce qui est nuisible à la société, elle ne peut ordonner que ce qui lui est utile. » Fuyez la manie ancienne des gouvernements, de vouloir trop gouverner; laissez aux individus, laissez aux familles le droit de faire ce qui ne nuit pas à autrui; laissez aux communes le droit de régler ellesmêmes leurs propres affaires en tout ce qui ne tient pas à l'administration générale de la République; rendez à la liberté individuelle tout ce qui n'appartient pas naturellement à l'autorité publique, et vous aurez laissé d'autant moins de prise à l'ambition et à l'arbitraire. » (Discours à la Convention, 40 mai 1793.)

(1) « Quand a-t-on construit ces édifices qui font l'honneur de nos cités, » dit M. B. Dumortier, «< ces superbes canaux qui font de nos villes de véritables ports de mer, ces routes qui sillonnent la Belgique de toutes parts? Tout cela a été fait du temps de la liberté communale; c'est à elle que nous devons la grandeur de la patrie. » (Moniteur belge, 1836.)

Le patriotisme de l'honorable représentant aurait pu s'étendre longuement sur ce sujet, et il serait aisé de compléter l'énumération

De tous les pays peut-être, c'est la Belgique qui présente l'exemple le plus saillant des funestes conséquences de l'immixtion exagérée et abusive de l'État dans les affaires où la prudence et la justice lui commandaient de s'abstenir ou de n'intervenir qu'à titre de modérateur, de soutien du droit et de protecteur des libertés. Les révolutions qui l'ont bouleversée à diverses reprises, les troubles du xvi° siècle, la lutte acharnée et sanglante avec l'Espagne, le soulèvement contre la domination autrichienne à la fin du siècle dernier, n'ont pas eu d'autre origine. L'histoire nationale atteste qu'à toutes ces époques les Belges combattaient contre le despotisme gouvernemental et pour le maintien de leurs droits et de leur liberté. Ce sont les doctrines de centralisation absolue, et les prétendues réformes que Joseph II voulait leur imposer d'autorité, qui ont entraîné la rupture du pacte qui les liait à l'Autriche. L'oran

qu'il fait des bienfaits de la liberté communale, et j'ajouterai de l'initiative particulière et collective, aux siècles écoulés. Ainsi, aujourd'hui que l'on met en suspicion tout ce qui touche à la charité privée et libre et que l'on exalte d'autant l'assistance publique en l'investissant d'une sorte de monopole qu'elle devrait répudier comme un don funeste, il n'est pas hors de propos de rappeler qu'elle n'est si riche et si puissante que parce qu'on l'a revêtue des dépouilles des fondations charitables particulières accumulées d'âge en âge, et qui ont été heureusement soustraites aux déprédations des proconsuls de la république française. L'histoire de ces fondations, de leur pieuse origine, de leur développement, de leur infinie variété qui correspondait, pour ainsi dire, à celle des misères humaines, serait le plus éloquent panégyrique de l'expansion et de la fécondité de la liberté dans son application la plus élevée et la plus généreuse : le soulagement et l'amélioration du sort des classes souffrantes.

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gisme, en s'engageant dans les mêmes voies, a abouti, quelques années plus tard, aux mêmes résultats que joséphisme. Après avoir secoué le joug napoléonien, la Belgique, par sa réunion à la Hollande, avait reconquis son rang légitime parmi les nations indépendantes. Une période d'incontestable prospérité matérielle semblait présager le succès final d'une combinaison qui rétablissait l'ancienne fraternité des provinces que les dissensions religieuses avaient séparées. C'était compter sans l'esprit centralisateur et tracassier qui, comme un mauvais génie, vint semer la défiance et la division alors qu'il était si nécessaire et qu'il eût été si facile de maintenir la concorde. Dès le moment où le gouvernement porta atteinte aux libertés et crut pouvoir s'immiscer dans ce qui constitue la vie intime des citoyens, la religion, l'enseignement, la langue, l'association, l'édifice qu'il devait s'efforcer de préserver s'affaissa, et de ses ruines surgit une insurmontable barrière entre les provinces du nord et celles du midi. L'excès et l'abus de la centralisation entraînèrent une séparation finale qui eût certainement été prévenue si le gouvernement avait eu le bon sens de se mêler de moins de choses, de maintenir une balance égale entre les Belges et les Hollandais, de respecter leurs tendances diverses, et d'abandonner au temps et à la liberté le soin de concilier et de fusionner des intérêts qui, après tout, n'étaient pas aussi opposés qu'on l'a prétendu.

M. Laboulaye fait parfaitement ressortir et explique ce fatal enchaînement de causes et d'effets que je me

borne à signaler. Il faut relire le brillant tableau qu'il trace de la lutte entre l'idée païenne de l'omnipotence de l'État et l'idée chrétienne de la liberté de l'individu pour se rendre compte des perturbations qu'entraîne dans la vie des nations l'intervention intempestive ou tyrannique des gouvernements.

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C'est, dit-il, « au nom de l'intérêt social que l'État a pris en sa main la religion, la morale, l'industrie; où en est-il arrivé? Pour contraindre les gens à être religieux, il a fallu recourir aux bûchers, à l'exil, à l'inquisition; on a récolté l'incrédulité, la superstition et l'ignorance. Le soin des mœurs a amené la plus immorale de toutes les institutions, la police. Les nations les plus éclairées sont sans doute celles où le gouvernement réprime les désordres de la presse et dispense seul la vérité? Demandez à l'Autriche et à la Russie ('). Cherchez enfin un pays où le travail national soit protégé par des prohibitions et des monopoles, y trouverezvous des citoyens riches et actifs, ou, tout au contraire, un peuple indolent et misérable? La raison des ces éternels mécomptes est visible; on ne force pas la nature des choses; la religion, la morale, la vérité, l'art, la science, ne sont pas des cocardes qu'on porte au chapeau par ordre supérieur, ce sont des sentiments, des idées, des volontés qui ont leur siége dans le cœur et dans l'esprit de l'individu. C'est la liberté seule qui les enfante et qui les nourrit. Contraindre les gens à croire, à sentir, à vouloir, c'est les forcer d'être

(1) Cela a été écrit peu avant que l'Autriche n'entrât spontanément dans la sphère des États constitutionnels. En arborant à son tour le drapeau de la liberté elle s'est arrêtée sur la pente d'une décadence et d'une ruine imminentes et s'est rallié les sympathies qui l'abandonnaient. La Russie, qui vient de décréter l'abolition du servage, ne tardera pas, il faut l'espérer, à suivre cet exemple : son honneur et son intérêt l'y convient également.

libres. Rousseau, qui ne craignait pas le paradoxe, allait jusque-là dans son Contrat social, sans voir qu'il y a là une impossibilité logique aussi bien que matérielle, et qu'on ne peut concilier deux termes qui se contredisent et s'excluent... >>

On peut affirmer à priori que les nations les moins gouvernées sont aussi les plus avancées politiquement, matériellement, intellectuellement et moralement. Seules elles possèdent la sécurité, suprême garantie du progrès. Il a fallu à Napoléon un joug de fer qui s'appesantit trop longtemps sur l'Europe, pour qu'il pût y verser cette mer de sang où il s'engloutit avec sa vaine gloire. L'excès de centralisation, en même temps qu'il prive le peuple du ressort qui le rend maître de ses destinées, enlève à l'indépendance nationale son fondement le plus solide. Que le gouvernement soit renversé, le peuple n'étant, ne pouvant rien, reste livré sans défense à la conquête, et s'y résigne dans l'impossibilité où il se trouve même de protester.

A l'impuissance contre la domination étrangère vient se joindre le danger incessant des commotions intérieures. Quels sont les peuples qui se révoltent? Ce sont les peuples administrés, régis, gouvernés le plus paternellement du monde, si l'on veut, où les individualités s'effacent et se prosternent devant le pouvoir toutpuissant, mais pour s'insurger à la première occasion favorable, protester contre leur abaissement et revendiquer leurs droits méconnus. Voyez quel contraste présentent nos deux puissantes voisines, la France et

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