Page images
PDF
EPUB

De cette définition ressortent des conséquences nécessaires :

Le but de l'État est de favoriser l'accomplissement des buts rationnels de l'homme et de la société par l'application et le développement du droit.

L'État n'est donc pas simplement une institution de police et de sécurité; sa mission est en outre positive en ce qu'il doit concourir au perfectionnement social dans tous les ordres du bien. En plaçant et en maintenant au-dessus de la volonté de l'individu, de la majorité et des masses, les principes éternels de morale et de justice, l'État doit reconnaître et proclamer les grandes vérités religieuses, mais sans s'identifier cependant avec la religion: il importe, pour le bien de l'humanité, que ces deux sphères, l'Église et l'État, restent distinctes et indépendantes dans leur nature et leur organisation. La conception de l'État athée, si elle pouvait se réaliser, serait une honte pour la civilisation et le signe de sa décadence (').

monde en s'appuyant sur les Écritures et la tradition. Mais l'homme n'en a toutefois qu'une notion incomplète, parfois obscure et vacillante. L'État, tout en s'appuyant sur le droit qu'il a mission de maintenir et de faire prévaloir, ne le possède pas et ne peut se l'assimiler dans sa plénitude. Le droit absolu n'existe qu'en Dieu.La justice est l'application du droit.

() << La distinction entre l'État et l'Église n'implique pas une séparation telle que l'Église et l'État demeurent complétement étrangers l'un à l'autre. Les rapports entre ces deux ordres sociaux ne sont pas purement négatifs; ils n'ont pas à rester vis-à-vis l'un de l'autre dans un état d'indifférence ou de complète inaction. La maxime que l'État et la loi sont athées dérive de cette conception vulgaire du principe du droit, selon laquelle l'action de la justice

En procurant à l'homme et à la société les moyens d'accomplir leur destination, l'État doit s'abstenir par là même de tout ce qui pourrait directement ou indirectement l'entraver. Il faut qu'il protége l'exercice des droits et facilite l'accomplissement des devoirs, en évitant de porter atteinte à la liberté et de substituer sa responsabilité à celle de l'individu; qu'il respecte sous tous les rapports la liberté individuelle, en tant qu'elle s'applique à la vie et à la conduite personnelle. Chacun doit rester libre de se servir des moyens que la société lui fournit pour exister et se développer en sa qualité d'homme, pourvu que l'usage ou le non-usage n'implique pas une lésion du droit vis-à-vis des autres membres de la société. En d'autres termes, l'État, investi de la puissance coactive inhérente au droit, ne peut y recourir que dans un intérêt social bien dé

est seulement négative, n'ayant pour but que de maintenir les individus et les institutions sociales dans les limites de leurs sphères particulières; elle signifie seulement qu'il y a et qu'il doit y avoir une séparation complète entre la religion et les institutions politiques, et en ce sens elle renferme une grande vérité. L'organisation du droit et celle de la religion sont basées en effet sur des principes distincts; mais il n'en est pas moins vrai que l'État et l'Église soutiennent dans la vie sociale de nombreux rapports que le principe de la justice ne saurait méconnaître. L'État a d'ailleurs pour but spécial de fournir à toutes les institutions les conditions positives et négatives de leur existence et de leur développement; 'il n'est donc pas plus athée que la religion elle-même, et celle-ci ne peut être mise en quelque sorte hors la loi. C'est la loi de justice qui doit tracer à l'Église comme à l'État le cercle de leurs obligations réciproques. >> (DARIMON, Exposition des principes de l'organisation sociale.)

montré. L'homme, maître de sa destinée, est libre d'opter entre ce qui est un bien ou un mal pour lui seul, sans que l'État et le droit puissent forcer sa volonté. Si l'État, par exemple, pouvait avoir prise sur la moralité intérieure des individus, toute liberté de conscience disparaîtrait. Rien n'empêcherait dès lors que l'État n'imposât aux membres de la société une morale comme il l'entendrait, qu'il ne prescrivît telle religion qu'il jugerait bonne et n'employât pour ces prescriptions. les forces extérieures dont il peut disposer. Cet abus, en portant atteinte à la liberté personnelle, aboutirait au plus insupportable despotisme (').

La mission de l'État est indépendante de la forme qu'il revêt (2). Quelle que soit cette forme, quel que

(1) « Le despotisme est l'opposé et le contraste de la liberté. Il faut entendre par ce mot, non pas seulement une forme de gouvernement d'après laquelle la direction des affaires de l'État est laissée à l'arbitraire d'un ou de plusieurs individus. Le domaine du despotisme est bien plus vaste. Despotique est tout gouvernement qui veut intervenir dans la gestion des affaires qui ne regardent pas le droit ou la justice, qui s'arroge ainsi le pouvoir de prescrire l'usage que les particuliers doivent faire de leur liberté, et qui se mêle d'intérêts qui ne le regardent pas directement; qui s'impose enfin comme tuteur là où les hommes sont censés être majeurs et capables de connaître leurs intérêts et de diriger leurs actes vers un but rationnel. Tous les gouvernements qui se font monopoleurs ou centralisateurs prennent une forme despotique. Le gouvernement de l'État n'a pour objet que l'exercice du droit et de la justice; il ne doit se faire ni prêtre, ni savant, ni artiste, ni industriel. Toutes ces branches doivent être laissées à l'activité des particuliers et des individus qui s'occupent de la religion, de la science, de l'art, de l'industrie, de l'éducation, du commerce... » (A. DARIMON, Exposition des principes de l'organisation sociale, p. 66.)

(2) Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de traiter ici la question

soit le degré de développement et de civilisation d'une société ou d'une nation, le but de l'État reste le même ; ses attributions et ses obligations peuvent s'étendre ou se restreindre, selon les circonstances et les besoins, mais sans que son essence se modifie.

Tout ce qui tend à dénaturer ou à pervertir cette essence, à troubler l'ordre des rapports naturels et nécessaires entre l'État et la société, entre l'autorité et l'individu, est une déviation ou une violation des lois primordiales sur lesquelles repose toute l'organisation sociale.

La constitution de l'État est inséparable d'une centralisation plus ou moins développée :

«Toute formation de la société politique, » dit M. de Rémusat ('), « toute naissance de l'État, toute création de gouvernement est une certaine centralisation; le mot est nouveau, mais il désigne le développement et le dernier progrès d'une très-vieille chose. La centralisation est le mouvement par lequel se constitue la chose publique. Ce mouvement peut s'arrêter à divers degrés. La société peut être un ensemble de centres de systèmes particuliers qui gravitent vers le centre du système général. La force

de l'organisation politique de l'État. Il me suffit de poser en principe que cette organisation doit reposer sur la justice et la liberté. Sous ce rapport la forme constitutionnelle et représentative est celle qui semble devoir prévaloir, qui correspond le mieux aux aspirations et aux besoins des peuples civilisés, qui admet et garantit l'exercice le plus large de la liberté, et la seule qui se concilie avec la théorie sur la mission de l'État que j'expose dans cette étude.

(1) Revue des Deux Mondes.

publique peut compter un plus ou moins grand nombre d'attributions. Lorsqu'on suppose qu'elle a au centre des centres le plus grand nombre d'attributions possible, on dit éminemment qu'il y a centralisation; mais il est évident que le degré de centralisation est variable: c'est une quantité qui oscille entre deux extrêmes. Il est d'usage de dire qu'elle est à son maximum en France, à son minimum dans l'Amérique du Nord: l'une est une monarchie unitaire, essentiellement administrative; l'autre est une fédération républicaine. »

La centralisation peut être envisagée sous un double rapport, politique et administratif. La centralisation politique dépend du plus ou moins d'étendue des attributions conférées à l'État; la centralisation administrative s'entend surtout de l'accaparement et de l'absorption par le pouvoir supérieur ou central de la plupart des fonctions qui, dans un gouvernement bien ordonné, peuvent être attribuées aux pouvoirs intermédiaires provinciaux et communaux. Je reviendrai plus loin sur cette distinction (').

Prise dans son sens le plus large et le plus général, la centralisation doit avoir des limites. Quelles sont ces limites? Lorsqu'on se rend bien compte de la nature de l'État et du but de son institution, elles ressortent pour ainsi dire nécessairement de cette nature même et de ce but. Mais on ne se préoccupe guère de l'origine de l'État, de sa définition philosophique, du fondement sur lequel il repose; ce qui intéresse avant tout, c'est la

() V. § VIII.

« PreviousContinue »