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posséder légalement; les universités, les académies, les sociétés savantes, littéraires ou artistiques, ne peuvent recevoir ni donations ni legs; la combinaison de la société anonyme est restreinte à certaines entreprises industrielles et commerciales, et la jurisprudence administrative ou, pour mieux dire, bureaucratique, après avoir longtemps hésité et varié, l'a même interdite aux associations pour l'amélioration et la construction des habitations ouvrières. En surbordonnant, en outre, cette combinaison à l'arbitraire de l'autorisation du gouvernement, complétement incompétent à cet égard, on engage inconsidérément sa responsabilité, et l'on cause plus de mal que de bien par la confiance que cette formalité inspire d'ordinaire au public.

Pour écarter ces inconvénients et ces inconséquences, il importe qu'indépendamment de la consécration du droit d'association comme règle de droit commun, une loi sur les sociétés anonymes fixe d'une manière générale les conditions à observer pour la création et dans l'organisation de ces sociétés, et qui soient propres à donner aux sociétaires et à l'ordre social des garanties réelles

morte et des abus d'un autre âge, et l'on a sacrifié à un préjugé que rien ne justifie les principes mêmes sur lesquels se fonde le libéralisme et en l'absence desquels il n'est plus qu'un mensonge et un instrument d'oppression. Qu'on ne s'y méprenne pas cependant : l'atteinte portée à une seule liberté, fût-ce la plus modeste et, en apparence, la plus inutile, est une atteinte qui affecte la liberté tout entière. C'est la fissure, imperceptible d'abord, qui, peu à peu, mine la digue, l'envahit et l'emporte pour livrer passage au flot mugissant.

sur l'utilité et les chances favorables des entreprises auxquelles elles se rapportent. L'autorisation préalable du gouvernement doit être supprimée, et son rôle borné à veiller à ce que chaque société reste fidèle à sa constitution. C'est le principe déjà sanctionné par le code civil hollandais et que l'Angleterre à son tour vient d'introduire dans sa législation sur les sociétés à responsabilité limitée (limited liability).

VIII.

Distinction entre la centralisation politique et la centralisation administrative; vices et inconvénients de cette dernière.

La centralisation, comme je l'ai déjà fait observer, peut être envisagée sous deux rapports principaux et à certains égards distincts, sous le rapport politique et sous le rapport administratif. Je me suis occupé jusqu'ici de la centralisation politique ou générale, en essayant d'en tracer les règles et les limites. Il me reste à rechercher et à poser les principes qui doivent présider à la centralisation ou à l'organisation administrative, afin d'atteindre le but proposé et de réaliser d'une manière complète une réforme commandée dans le double intérêt de l'État et de la société, des gouvernants et des gouvernés.

Pour faire ressortir les vices et les inconvénients de l'organisation administrative telle qu'elle existe chez la

plupart des peuples civilisés, il est nécessaire de se proposer un type qui permette de résoudre pratiquement les questions que soulève cette organisation. Or ce type je le prends en Belgique, où la centralisation, moins développée et moins absorbante qu'elle ne l'est en France), par exemple, tient en quelque sorte le milieu entre les pays où domine l'action du pouvoir et ceux où prévaut ce que l'on appelle le self government.

(1) M. Jules Simon a calculé qu'il y avait en France, sur douze millions de citoyens, un demi-million de fonctionnaires : « Il faut y ajouter deux ou trois millions de solliciteurs. Et si l'on pense qu'il se donne chaque année au moins cinquante mille croix demandées, au bas mot, par cinq cent mille personnes; qu'il y a des bourses gratuites dans toutes les écoles publiques; que toutes les affaires départementales et toutes les affaires communales sont soumises à l'approbation du gouvernement; qu'il faut une autorisation pour ouvrir un grand nombre de commerces, une enquête pour fonder une usine, une décision préfectorale ou ministérielle pour obtenir une prise d'eau, une ordonnance pour exploiter une mine, un brevet pour faire usage avec quelque sécurité d'une découverte dont on est l'auteur, un visa de la douane pour exporter ou importer une marchandise, un acquit-à-caution et un passavant pour porter son vin de son pressoir à sa cave, un port d'armes pour avoir un fusil, un permis de chasse pour tuer un lièvre, un passe-port pour sortir de sa commune, un livret pour se présenter dans un atelier, on verra qu'une des plus grandes occupations du peuple français est de demander, un de ses plus grands soucis d'obtenir; qu'il est gouverné, gêné, ou, si l'on veut, administré de tous les côtés et par toutes les mains; que si le fardeau de sa liberté lui pèse, c'est qu'il est vraiment bien déshabitué de la responsabilité et de l'initiative; et que l'idéal des communistes, un couvent ou une caserne, n'est pas si loin de nous en réalité qu'on le croirait au premier abord, quand on prend au pied de la lettre les grands principes de 1789, dont nous remplissons bien innocemment tous nos discours. >> (La Liberté, tome II, chap. Ier, p. 456.)

En Belgique, l'administration est encore régie par des dispositions émanant pour la plupart des gouvernements français et hollandais qui ont occupé le pays au commencement de ce siècle, et dont les éléments ont été accommodés, tant bien que mal, au gouvernement nouveau issu de la révolution de 1830. Toutefois, les lois promulguées en 1836 pour régler les administrations provinciale et communale ont remédié à beaucoup d'égards aux vices de la centralisation française en transportant aux provinces et aux communes certaines attributions réservées auparavant au gouvernement proprement dit. Les règlements émanés du régime hollandais avaient déjà préparé cette utile transformation qui a été complétée depuis avec un certain succès. Mes observations porteront donc principalement sur l'administration centrale. C'est là surtout qu'existent les anomalies, les complications, les superfétations, les lenteurs et les entraves qui ne peuvent être bien appréciées que par ceux qui, nourris dans le sérail, en connaissent les détours. Cet arcane échappe aux regards de la masse des administrés, qui en souffrent et se bornent à s'en plaindre. Le personnel administratif, mieux à même de connaître les abus, se garde bien de les dénoncer et s'abandonne sans trop de remords au courant de la routine. Quant aux chefs, aux ministres, en arrivant au pouvoir l'idée peut leur venir parfois de balayer cette écurie d'Augias, mais ils s'arrêtent bientôt devant les difficultés de la tâche, et la vieille machine continue à se mouvoir comme devant.

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