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ciaire ? L'objet de l'action sera seulement d'obtenir des dommages et intérêts. S'il s'agit de modification d'usine, comme abaissement ou exhaussement du déversoir, les tribunaux civils, compétents pour prononcer la réparation du dommage, seraient imcompétents pour ordonner une mesure qui modifierait l'usine: ils doivent laisser à l'administration seule le droit d'ordonner et de faire opérer la modification (1). Ils ne peuvent modifier; pourraient-ils ordonner la démolition de l'usine? Un arrêt du conseil d'État semblerait reconnaître ce droit à l'autorité judiciaire (2); mais il répugne au principe posé plus haut: l'usine est construite sur le lit de la rivière qui est en dehors du domaine privé; l'autorité exécutive a seule le droit de statuer, quand il s'agit d'une dépendance même imparfaite du domaine public: il ne pourrait donc y avoir lieu qu'à une comdamnation judiciaire en dommages et intérêts. La doctrine de la Cour de cassation est conforme à ce principe (3). Il n'en serait pas ainsi dans le cas où il s'agirait d'une usine construite sur un canal artificiel le lit du canal étant une propriété privée, le tribunal pourrait ordonner la démolition de l'usine, parce qu'il ne s'élèverait qu'une question de droit privé.

Le principe qui doit diriger et qui marque nettement la compétence, quand il s'agit des cours d'eau, est celui-ci : La possession d'un cours d'eau n'est que précaire à l'égard du Gouvernement qui n'a point fait de con

(1) Cassation, arrêt du 26 avril 1837.

(2) Conseil d'État, arrêt du 13 février 1828. (3) Cassation, arrêt du 14 février 1833.

cession; mais entre particuliers, cette même possession est exercée à titre de maître, et l'usage du cours d'eau doit être regardé comme une propriété légitime et incommutable (1).

De là, l'action possessoire pour entreprise faite dans l'année sur les cours d'eau (2);

De là, la compétence des tribunaux civils, entre propriétaires d'usines, pour actions relatives à l'usage du cours d'eau, actions qui se résolvent en dommages et intérêts s'il s'agit de modifier une usine pour changer le niveau des eaux;

De là l'incompétence du conseil de préfecture quand il y a discussion d'intérêt privé entre particuliers

La priorité d'établissement, en matière d'usines, peut avoir une grande importance par les présomptions qui en résultent. En l'absence de statuts, coutumes et usages, ou de transaction privée, l'usine la plus ancienne a le droit prépondérant, l'avantage du droit acquis. Lors de la construction de la seconde usine, le droit de la première a dû être respecté : Qui prior ædificavit primas habet partes. Ainsi, la rareté des eaux dans la seconde usine par leur emploi intermittent dans l'usine supérieure, l'engorgement des roues de la seconde usine, par la retenue des eaux dans l'usine inférieure mais plus ancienne, sont des circonstances dont le second propriétaire ne pourra se plaindre : c'était à lui de choisir le lieu de son établissement dans des conditions meilleures.

Si les construtions remontaient à la même époque,

(1) Proudhon, Domaine public, t. III, p. 564. (2) Loi du 25 mai 1838, art. 6.

·USINES; DROIT DU PRÉFET. 117 le tribunal serait compétent pour faire un règlement d'eau ex æquo et bono, entre les propriétaires litigants, mais non dans l'intérêt collectif de l'agriculture et de l'industrie; car l'administration peut seule statuer sur l'intérêt collectif. C'est cette distinction essentielle de l'intérêt particulier et de l'intérêt collectif qui trace profondément la ligne de démarcation entre le droit des tribunaux et le droit de l'administration.

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L'autorisation du gouvernement est nécessaire pour l'établissement d'une usine (1). L'administration a-t-elle le droit de faire démolir l'usine construite sans autorisation?- Oui, puisqu'il s'agit d'une construction faite sur une chose commune ou sans maître. Dans le système que nous avons adopté sur la qualité du lit et du très-fond des rivières non navigables, cette conséquence est juste et nécessaire; mais, dans le système opposé, elle doit être inadmissible, puisqu'il y a seulement propriété privée, et que cette démolition serait une véritable expropriation et cependant, le droit de l'administration, à cet égard, n'est contesté par personne.

Si l'usine non autorisée subsiste par la tolérance de l'administration, et que le gouvernement, usant de son droit dans l'intérêt général, change la direction du cours d'eau, par exemple, pour alimenter un canal public, le propriétaire de l'usine non autorisée n'aura aucun droit d'indemnité; les autres propriétaires, au contraire, ne pourraient être dépossédés sans une indemnité préalable: le droit de l'origine exerce ici tout son empire. L'intérêt collectif de l'industrie et de l'agriculture,

(1) Conseil d'État, arrêt du 18 août 1821.

dont l'administration doit être gardienne, réclame fréquemment son intervention à l'égard des usines et des propriétés riveraines, par suite de l'abaissement ou de l'élévation des eaux. La loi du 6 octobre 1791, comme on l'a vu, veut que « les eaux soient tenues « à une hauteur qui ne nuise à personne, et qui « sera fixée par l'administration. » La loi du 20 août 1790 (ch. vi) prescrit positivement à l'administration d'empêcher la trop grande élévation des écluses de « moulins. » — -Lorsqu'il s'agit d'écluses ou de barrages, de déversoirs ou glacis, des biez, canaux et vannes des moulins, c'est toujours le préfet qui a le droit d'en fixer la hauteur et la dimension; le décret du 2 juillet 1812 l'a spécialement investi de ce pouvoir.

Dans plusieurs départements, et pour les cours d'eau qui intéressent beaucoup l'agriculture ou l'industrie, il existe un syndicat des rivières, composé de propriétaires ou d'industriels, et organisé par ordonnance ou décret. Ce syndicat a pour objet de veiller à la conservation et à l'entretien des cours d'eau; l'usage est de répartir entre les propriétaires des terres et des usines intéressées la perception d'une taxe, afin de pourvoir aux frais de garde, à l'imitation de la taxe pour le curage des cours. d'eau. Un arrêt du conseil d'État (1) a décidé que l'ordonnance qui établissait la taxe, en autorisant le syndicat, était rendue dans les limites du pouvoir exécutif. La taxe dont il s'agit ne profite ni directement, ni indirectement aux caisses de l'État ou des établissements publics; elle n'est pas de nature à être assimilée à un

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impôt que la loi seule peut créer. — Le décret du 22 décembre 1789 a reconnu l'autorité réglementaire du chef de l'État pour la conservation des rivières; l'organisation du syndicat, avec l'accessoire de la taxe de garde, est une mesure pour la conservation des rivières : elle est donc implicitement autorisée par la loi.

SECTION III.

CANAUX ARTIFICIELS.

SERVITUDE LÉGALE D'IRRIGATION;

LOI DU 29 AVRIL 1845.

I. Les canaux artificiels sont créés dans l'intérêt de l'industrie ou de l'agriculture. Les canaux sur lesquels sont établies des usines appartiennent aux propriétaires de celles-ci; ils ont ce qu'on appelle leurs francs-bords: les propriétaires des terres riveraines ne peuvent done exercer le droit d'irrigation par saignées ou barrages l'article 644 du Code civil ne leur est point applicable. Les francs-bords donnent aux propriétaires d'usines le droit respectif du libre passage pour surveiller les cours d'eau et empêcher toute entreprise nuisible à leurs établissements.

Les canaux artificiels font si bien partie de la propriété privée, qu'ils sont, comme on l'a dit plus haut, imposables à la contribution foncière, à la différence des rivières naturelles (1).

Le

gouvernement, à leur égard, a le droit général de police qui s'exerce par le droit de procurer le libre cours

(1) Loi du 3 frimaire an VII, 104.

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