contraire, que de la soustraction des actes et titres qui, quelle que soit leur importance, n'ont point une valeur déterminée et précise; aussi la loi n'a point pris cette valeur en considération dans la gradation de la peine. Enfin, l'art. 169 ne s'occupe que du détournement et de la soustraction des pièces et actes; l'art. 173 prévoit de plus leur soustraction ou leur suppression. De là plusieurs règles particulières à l'art. 173. D'abord, en parlant d'actes et titres, il est évident que la loi a entendu parler d'actes utiles dont la soustraction ou la perte pût nuire à des tiers: ainsi, par exemple, s'il s'agissait de la copie d'un titre ou d'un acte dont l'original existât, le détournement de cette copie ne pourrait constituer un crime qu'autant qu'on s'en serait servi pour produire un préjudice; car la perte seule ne pourrait léser aucun droit. En deuxième lieu, il est nécessaire que l'action judiciaire, dans cette hypothèse comme dans la première, constate l'intention coupable de l'agent: si la perte de la pièce est le fruit d'une simple négligence, si le magistrat auquel une procédure a été communiquée n'est coupable que de n'avoir pas assez veillé à sa conservation, il n'y aurait ni crime ni délit. Il convient même de remarquer à ce sujet que l'art. 254, qui punit d'une peine correctionnelle les dépositaires publics qui par leur négligence ont donné lieu à la soustraction d'un acte, ne s'applique qu'aux gardiens, archivistes, greffiers et autres officiers qui sont spécialement chargés de veiller à la garde d'un dépôt public; mais cette responsabilité n'a point été étendue aux autres fonctionnaires auxquels des actes ou des titres sont momentanément confiés à raison de leurs fonctions; ils doivent sans doute veiller avec le même soin à leur conservation, mais ce devoir est moins impérieux, parce que cette surveillance n'est pas l'objet principal de leurs fonctions. Il faut enfin que le fonctionnaire ou l'officier public ait reçu le dépôt des actes et titres en sa qualité et à raison de ses fonctions ce n'est que dans ce cas, en effet, qu'il commet le double délit d'abus de confiance et d'abus de ses fonctions, qui élève le fait au rang des crimes. Mais il n'est pas nécessaire, ainsi que l'exigeait le Code de 1791, que la communi cation ou la remise ait eu lieu en vertu d'une confiance nécessaire la loi n'a point formulé cette condition. Ainsi il a été jugé que la remise faite de confiance, par un greffier à un avoué, d'un procès-verbal d'ordre, rentrait dans les termes de l'article 173, et par conséquent que la destruction de deux contredits compris dans ce procès-verbal constituait le crime qu'il punit 1. Dans cette espèce toutefois, la loi n'ordonnait point cette remise, mais elle avait été motivée à raison des fonctions de l'avoué, et par suite de la confiance qu'elles inspiraient. 797. L'art. 173 s'applique non-seulement aux juges, aux administrateurs, aux fonctionnaires, mais encore aux officiers publics; nous avons indiqué précédemment la différence qui sépare ces expressions. La jurisprudence a jugé que les officiers ministériels, et particulièrement les avoués, devaient être compris dans la classe des officiers publics : «< attendu qu'ils sont officiers établis près les tribunaux et nommés par le roi pour représenter en justice les parties de qui ils sont chargés d'instruire et faire juger les procès; qu'ils sont assermentés; que les particuliers qui ont des procès civils, soit en demandant, soit en défendant, sont forcés de recourir à leur ministère, et que dès lors ils sont officiers publics par cela même qu'ils sont officiers ministériels 2 ». L'art. 169 n'inculpe que le commis à une perception. L'article 173 étend encore plus loin son incrimination; il y comprend les agents, préposés ou commis soit du gouvernement, soit des dépositaires publics. Cette différence n'est qu'une conséquence du but divers que ces deux articles se sont proposé là il ne s'agissait que des comptables et de leurs préposés, ici de tous les agents secondaires qui sont placés sous les ordres des fonctionnaires publics, et qui, dépositaires de la même confiance, doivent supporter la même responsabilité. La Cour de cassation a rangé dans cette catégorie le 1. Cass., 10 mai 1823, cité par Bourgnignon, Jur. des Cod. crim., t. 3, p. 176. 2. V. le même arrêt. facteur de la poste aux lettres qui soustrait les effets renfermés dans une lettre qu'il est chargé de distribuer 1. Enfin l'article 173 prévoit, non-seulement la soustraction et le détournement des actes et titres, mais encore leur suppression et leur destruction. Or, dans ce dernier cas, la preuve testimoniale est sans aucun doute admissible, et dès lors aucune question préjudicielle ne vient se placer au-devant de l'action. En effet, ce qu'il s'agit de prouver ici, ce n'est point l'existence d'une convention, mais bien celle d'un fait matériel, le fait de la destruction ou de la suppression de l'acte de cette convention. A la vérité, la preuve de cette destruction suppose la préexistence de l'acte. Mais la preuve testimoniale pourrait être étendue même à ce fait préjudiciel : car on ne pourrait opposer à la partie lésée la disposition de l'art. 1341 du Code civil, puisqu'elle s'était conformée au vœu de cet article, et qu'il n'a pas été en son pouvoir de prendre la preuve littérale du fait qui a détruit la preuve de la convention 2. 798. Nous passons maintenant à l'examen des pénalités que la loi a attachées à ces différents faits. L'art. 169 porte la peine des travaux forcés à temps, «< si les choses détournées ou soustraites sont d'une valeur audessus de trois mille francs ». L'art. 170 imprime la même importance à d'autres circonstances: « La peine des travaux forcés à temps aura lieu également, quelle que soit la valeur des deniers ou des effets détournés ou soustraits, si cette valeur égale ou excède soit le tiers de la recette ou du dépôt, s'il s'agit de deniers ou effets une fois reçus ou déposés, soit le cautionnement, s'il s'agit d'une recette ou d'un dépôt attaché à une place sujette à cautionnement, soit enfin le tiers du produit commun de la recette pendant un mois, s'il s'agit d'une recette composée de rentrées successives et non sujettes à cautionnement. » Si la chose détournée n'atteint par 1. Cass., 13 avril 1818. S. 17, 321. 2. V. dans ce sens Merlin, Questions de dr., vo Suppression de titres, Ser; Toullier, t. 9, p. 257; Cass., 4 oct. 1816, 21 oct. 1824 et 15 mai 1834, Dall., t. 12, p. 538; t. 10, p. 741, et 1834, p. 265. sa valeur ces diverses limites, le détournement perd son caractère de crime, et n'est plus qu'un simple délit correctionnel; c'est ce qui résulte de l'art. 171 ainsi conçu : « Si les valeurs détournées ou soustraites sont au-dessous de trois mille francs, et en outre inférieures aux mesures exprimées en l'article précédent, la peine sera un emprisonnement de deux ans au moins et de cinq au plus, et le condamné sera de plus déclaré à jamais incapable d'exercer aucune fonction publique. » Enfin l'art. 172 complète ce système de pénalité; il porte « Dans les cas exprimés aux trois articles précédents, il sera toujours prononcé contre le condamné une amende dont le maximum sera le quart des restitutions et indemnités, et le minimum le douzième 1. » Cette peine progressive a pris sa source dans la déclaration du 5 mai 1690, portant: « Tous commis aux recettes générales et particulières, caissiers et autres ayant maniement des deniers de nos fermes, lesquels seront convaincus de les avoir emportés, seront punis de mort, lorsque le divertissement sera de 3,000 livres et au-dessus, et de telle autre peine afflictive que nos juges arbitreront, lorsqu'il sera au-dessous de 3,000 livres. » On voit que si la loi nouvelle n'a pas conservé les mêmes châtiments, elle a du moins emprunté à cet édit, et le système progressif de la peine, et la limite qui sépare les deux termes de cette peine. Il suit de là que la valeur des choses détournées devient une circonstance aggravante, quand cette valeur dépasse un certain taux. C'est ce qui a été reconnu par un arrêt, qui déclare « que le crime prévu et puni par l'art. 169 est un crime spécial; que de la rubrique générale et de l'intitulé du paragraphe sous lesquels est placé cet article, comme de son rapprochement avec les articles 171 et 401, il résulte que les détournements et soustractions qu'il réprime sont ceux com 1. Le Code pénal allemand (art. 350, 351) punit ces faits, sans considération du quantum de la somme détournée, d'un emprisonnement de trois mois au moins, avec privation facultative des droits civiques, et, si le détournement a été commis à l'aide de quelque falsification, de la réclusion pendant 10 ans au plus en cas de circonstances atténuantes, la peine est l'emprisonnement pour six mois au moins. mis par les fonctionnaires ou dépositaires publics sur les deniers mêmes ou effets placés entre leurs mains en vertu de leurs fonctions; que cette qualité de fonctionnaire et le fait d'un dépôt ou d'une détention de deniers, qui a sa cause dans le titre même de la fonction, sont des éléments constitutifs et inséparables de la nature du crime ou du délit dont parle la loi ; que la circonstance véritablement aggravante est celle mentionnée au dernier paragraphe dudit article 169, qui prévoit le cas où les choses détournées ou soustraites sont d'une valeur au-dessus de 3,000 francs; qu'alors la peine prononcée devient, de purement correctionnelle, afflictive et infamante 1. » 799. Le projet du Code, où cette théorie se trouvait exposée, donna lieu à de nombreuses objections. La peine, disaiton, ne devait pas dépendre de la valeur de la chose soustraite: ce n'est pas cette valeur, mais l'action du vol en elle-même. qui doit lui servir de base. Le même fait peut-il, parce que le préjudice s'élève à un franc de plus ou de moins, changer de nature et devenir, suivant le chiffre définitif du reliquat, soit un délit, soit un crime? Dans les vols qui n'intéressent point l'Etat, le plus ou moins de valeur des objets soustraits rend-il le délit plus ou moins grave? Pourquoi cette exception pour les vols faits à la généralité des citoyens?? A ces objections, reproduites dans le Conseil d'Etat par Cambacérès, M. Berlier répondit: «< que, dans la stricte rigueur des principes, l'argent que l'on tient ou reçoit pour autrui est un dépôt sacré, et auquel on ne peut toucher sans devenir coupable; mais cette culpabilité ne peut-elle même se graduer de manière que le dépositaire imprudent qui n'aura détourné qu'une très faible partie du dépôt, et souvent pour subvenir aux besoins de sa famille et avec espoir de remplacement, soit puni moins gravement que celui qui emporte frauduleusement toute sa recette? La législation pénale irait au delà de son but, si elle ne prenait pas en considération jusqu'à un certain degré la 1. Cass., 15 juin 1860, Bull., n. 135. 2. Observations sur le projet du Code crim. par les tribunaux criminels du Doubs, de la Haute-Garonne et du Var. |