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Notre Code n'inculpe les fonctionnaires que dans les cas suivants lorsqu'ils ont ordonné ou fait quelque acte attentatoire à la liberté individuelle; lorsqu'ils ont refusé de déférer à une réclamation tendant à constater une détention arbitraire; lorsque cette détention a été opérée sans un ordre légal; enfin, lorsqu'elle a eu lieu dans une maison non affectée à ce service par l'administration.

529. Le premier paragraphe de l'art. 114 est ainsi conçu : «Lorsqu'un fonctionnaire public, un agent ou un préposé du gouvernement, aura ordonné ou fait quelque acte arbitraire ou attentoire soit à la liberté individuelle, soit aux droits civiques d'un ou de plusieurs citoyens, soit à la constitution, il sera condamné à la peine de la dégradation civique 4. »

Cet article incrimine, en général, l'acte attentatoire à la liberté, sans définir cet acte, sans préciser les circonstances où il peut se produire. Cette vague incrimination, qui est d'ailleurs un vice grave dans la loi pénale, ravit en partie aux citoyens la protection que cette disposition semble leur assurer: car le juge prononce rarement une condamnation, quand les caractères du délit ne sont pas fixés avec précision.

A la vérité, cette définition offrait de graves difficultés ; car il fallait sonder les fonctions des officiers de justice, examiner les actes qui appartiennent à leurs attributions, préciser les cas où ils peuvent se servir de leur pouvoir, et marquer la limite où l'usage se changerait en abus. Peut-être, à défaut de la loi, et pour suppléer à son silence, devrions-nous parcourir ce cercle immense; car la véritable définition de l'arrestation illégale se trouve dans l'énumération des cas où cette arrestation est permise. Mais il est évident que cette

peine qui ne doit pas être exécutée est passible de la réclusion, et, si le fait provient d'une négligence, de l'emprisonnement ou de la détention pendant un an au plus et d'une amende de 300 thalers au plus (art. 345). 1. En matière d'attentats à la liberté, l'art. 114 C. pén. a trait aux abus d'autorité que peuvent commettre les fonctionnaires ou agents du gouvernement dans l'exercice des pouvoirs qui leur sont conférés, tandis que l'art. 341 s'applique à des faits délictueux d'un ordre purement privé, commis en dehors de tout acte de l'autorité régulièrement déléguée. (Bourges, 30 décembre 1870; S. 71.2.167).

discussion, qui ne se rattache qu'accessoirement à la loi pénale, appartient tout entière au Code d'instruction criminelle 1. Nous ne pourrions donc, sans nous écarter de notre plan et du but spécial de ce livre, pénétrer dans une matière qui lui est étrangère, et nous nous bornerons en conséquence à rechercher les cas principaux où les écarts des fonctionnaires pourraient constituer le délit prévu par l'art. 114.

530. Il peut y avoir attentat à la liberté, dans le sens de cet article, lorsqu'un fonctionnaire ordonne une arrestation sans en avoir le droit; lorsque, bien qu'investi du droit d'arrestation, il l'exerce en dehors des limites légales; lorsque enfin des agents de la force publique effectuent une arrestation sans en avoir le pouvoir, ou sans être munis d'un ordre légal. Une règle générale est que le droit d'arrestation ne peut être exercé qu'en vertu d'une disposition formelle de la loi; nous avons cité plus haut le texte constitutionnel d'où cette règle découle. Il en résulte que, lorsque la question s'élève de savoir si ce droit appartient à tel agent de l'autorité, s'il peut être exercé dans telle circonstance, il suffit d'examiner s'il existe une disposition législative qui l'accorde à cet agent ou qui en autorise l'exercice dans cette circonstance. C'est ce principe qu'il faut prendre pour guide dans l'examen des difficultés que soulève cette matière.

534. Les fonctionnaires qui sont investis par la loi du droit d'ordonner une arrestation, sont, avec une mesure inégale de pouvoir, les juges d'instruction, les procureurs de la République, les juges de paix, les officiers de gendarmerie, les maires et leurs adjoints, les commissaires de police et les préfets. Ainsi, et du moins nul doute ne peut s'élever sur ce premier point, tout fonctionnaire, autre que ceux qui viennent d'être énumérés, qui délivrerait un ordre d'arrestation, se rendrait nécessairement coupable d'un acte attentatoire à la liberté.

Parmi les fonctionnaires auxquels la loi a départi le droit d'ordonner une arrestation, le juge d'instruction est celui qui l'exerce avec la plus grande puissance. Quelques publicistes

1. V. notre Traité de l'instruction criminelle, 2e éd., n, 1941 et suiv.

ont critiqué ce pouvoir presque discrétionnaire qu'aucun contrôle ne surveille, et dont la responsabilité est trop vaguement définie 1. Il nous semble que le défaut le plus grave de la loi est dans l'absence de régles précises qui enchaînent et limitent l'action de ce magistrat.

Cependant le Code d'instruction criminelle a donné quelques règles, posé quelques limites, qui, bien que flexibles et mollement tracées, semblent néanmoins circonscrire dans un certain cercle le pouvoir du juge. Mais ces règles ont-elles une sanction dans l'art. 114? L'excès de pouvoir commis par ce magistrat peut-il être qualifié crime? Est-ce un acte attentatoire à la liberté, dans le sens de la loi, que de décerner un ordre d'arrestation quand il n'y a pas d'indices suffisants de culpabilité, ou quand le fait n'est puni que d'une amende ou ne constitue qu'une simple contravention; que d'ajourner au délà de 24 heures l'interrogatoire d'un prévenu en état de mandat d'amener; que de prolonger sa détention lorsque l'interrogatoire a prouvé son innocence, ou lorsqu'il justifie d'un domicile et qu'il n'est inculpé que d'un délit léger?

Dans le droit romain, le juge qui abusait de son pouvoir à l'égard d'un citoyen était condamné à des dommages-intérêts. Judex indebitè inquirens contra aliquem, in omnes impensas et interesse partis vexatæ tenetur 2. Cette règle était généralement enseignée par les docteurs; Baldus dit formellement : Judex temerè capiens innocentem puniendus est, et tenetur ad damna et interesse partis 3. Jousse atteste qu'elle était appliquée dans notre ancien droit : « Les juges, dit cet auteur, qui décrètent légèrement de prise du corps et qui font emprisonner mal à propos, peuvent être pris à partie, et sont tenus des dommages-intérêts envers celui qui a été mis en prison injustement *. » Et il ajoute la raison de cette règle:

1. M. Bérenger, de la Just. crim., p. 367; M. Rossi, t. 1er, 2. L Si filius fam., Dig. de judiciis.

p. 77.

3. In. l. 2, C. de iis qui latron.; Paul de Castro, in 1. Si quis. Dig. de testamentis; Julius Clarus, quæst. 10, n. 3.

4. Traité des mat. crim., t. 2, p. 200 et 214; Airault, Instit. jud., I. 3, part. 1, n. 43 et 14.

« Car la prison, dit-il, est un mal irréparable, à cause de sa rigueur et du déshonneur qui y est attaché. >>

Cette jurisprudence ne pourrait être suivie aujourd'hui qu'en traçant une importante distinction entre les différents actes qui peuvent être imputés au juge. La législation nouvelle semble s'être montrée moins jalouse que l'ancienne de la liberté des citoyens. Les juges d'instruction exercent le droit d'arrestation dans sa plénitude; ils sont appréciateurs souverains des circonstances dans lesquelles les mandats peuvent être décernés; ils ont même le choix des mandats qu'ils décernent. Si la loi a posé des règles pour les guider dans ce choix et cette délivrance, ces règles, dénuées d'une sanction précise, peuvent lier leur conscience, elles n'enchaînent point leurs actes par le frein salutaire d'une responsabilité sérieuse. La loi n'a pas même réservé aux inculpés, hors le seul cas d'incompétence, le droit de se pourvoir par voie d'appel ou d'opposition contre les mandats qui les atteignent. Ils restent sans recours et sans garanties contre l'exercice abusif que le magistrat ferait de son pouvoir, lorsque, par exemple, il les priverait de leur liberté sans nécessité, ou prolongerait la durée de leur détention provisoire. La loi ne leur a laissé que le droit de porter plainte au procureur général, sous la surveillance duquel les juges d'instruction sont placés, recours illusoire et toujours sans effet. C'est là une de ces lacunes qui accusent une législation, en révélant l'absence des premières garanties qu'un accusé doit trouver dans la procédure 1.

Mais si l'acte du juge sort des limites de ses pouvoirs, si la gravité de la faute lui imprime le caractère du dol, si enfin la prévarication devient manifeste, la loi en assure la répression. Le citoyen illégalement privé de sa liberté, non-seulement peut prendre le juge à partie, conformément à l'article 505 du Code de procédure civile, mais encore peut

1. ** Le Code pénal allemand (art. 344) punit de la réclusion tout fonctionnaire qui aura volontairement requis ou ordonné l'ouverture ou la continuation d'une instruction contre une personne dont l'innocence lui est connue.

porter plainte à raison du crime d'attentat à la liberté individuelle. Et nous ne faisons aucun doute que cette plainte ne fût accueillie, si, par exemple, la prolongation de la détention dépassait évidemment les bornes de la nécessité, si des mandats étaient arbitrairement décernés contre d'irréprochables citoyens, si l'arrestation n'avait aucune cause légale, si le prévenu demeurait plusieurs jours sous les liens d'un mandat d'amener sans être interrogé. Dans ces cas et dans plusieurs autres qu'il est superflu de rappeler, il y aurait non-seulement infraction des règles légales, il y aurait encore abus de pouvoir, faute grave équivalente au dol, enfin acte arbitraire. Or ce sont là précisément les caractères du crime d'attentat à la liberté individuelle; c'est donc pour de tels actes, mais seulement pour les actes de cette nature, que la sanction. pénale de l'art. 114 pourrait être invoquée.

532. Après les pouvoirs étendus qu'elle a confiés aux juges d'instruction, la loi en a attribué, mais dans une mesure plus restreinte, aux procureurs « de la République », aux juges de paix, aux officiers de gendarmerie, aux maires et adjoints, aux commissaires de police, aux préfets, et enfin aux gardes champêtres et forestiers, ainsi qu'aux gendarmes.

Les procureurs de la République ne peuvent ordonner l'arrestation d'un citoyen que dans deux cas exceptionnels en cas de flagrant délit, lorsque le fait est de nature à entraîner une peine afflictive et infamante (art. 40 C. inst. crim.); et même hors le cas de flagrant délit, lorsqu'il s'agit d'un crime ou d'un délit commis dans l'intérieur d'une maison, et qu'il y a réquisition de la part du chef de cette maison (art. 46 du même Code). Dans ces deux cas, le procureur de la République ou son substitut peut faire saisir les prévenus présents, ou, s'ils sont absents, délivrer contre eux un mandat d'amener; mais à ces deux circonstances est limité le droit d'arrestation que la loi a confié à ce magistrat ; et si, lors

1. Cette proposition était bien vraie sous le Code d'instruction criminelle; mais nous croyons que la loi du 20 mai 1863 a modifié les art. 40 et 106, Instr. crim., en consacrant le droit d'arrestation en cas de délit flagrant et en donnant le droit au procureur de la République de retenir l'inculpé sous mandat de dépôt.

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