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IMP. DE HAUMAN ET Co.—DELTOMBE, GÉRANT.

Rue du Nord, no 8.

THÉORIE

DE LA

PROCÉDURE CIVILE,

PRÉCÉDÉE D'UNE INTRODUCTION;

PAR

M. Boncenne,

AVOCAT A LA COUR ROYALE ET DOYEN DE LA FACULTÉ DE DROIT DE POITIERS.

TROISIÈME ÉDITION,

MISE EN RAPPORT AVEC LA LÉGISLATION ET LA JURISPRUDENCE
DE BELGIQUE.

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Il y a sur l'administration de la justice des idées fondamentales qui se trouvent partout, et que le simple instinct de notre existence sociale a dù suggérer.

Je ne veux les placer ici qu'en substance et comme des points de départ.

Quand l'esprit de propriété s'introduisit dans le monde, l'intérêt se développa, l'industrie créa des besoins et des arts, l'homme eut des lois.

Les mœurs, les transactions civiles, tout était simple encore; seulement l'équité naturelle se changea en justice exacte, et l'autorité de la raison en droit positif.

Chez les peuples actifs, riches, entreprenants, au sein desquels la civilisation fit éclore ces combinaisons infinies qui agitent et croisent tous les intérêts, les lois se multiplièrent successivement pour embrasser les relations diverses des individus avec la société, et celles des individus entre eux.

Les lois civiles, considérées en elles-mêmes,

BONCENNE. TOME 1.

sont des abstractions, des principes inani més qui ne peuvent être mis en action que par leur application aux circonstances pour lesquelles ils ont été établis.

Il leur faut donc des voix vivantes, s'il est permis d'ainsi parler, qui les appliquent et les fassent exécuter.

Dans les premiers àges qui suivirent le règne barbare du droit du plus fort, lorsqu'un débat s'élevait sur quelque possession, il est naturel de croire que les chefs de famille, les amis, les voisins, intervenaient ou étaient appelés pour le terminer, et que l'administration de la justice se bornait alors à ce naif usage.

Mais la législation, en s'étendant, devint plus compliquée; la connaissance de toutes ses règles, de toutes ses distinctions, exigea des études profondes, suivies, et une expérience consacrée; les juges furent institués.

Les juges sont les organes de la loi. Ils ne font pas le droit, ils le déclarent. Ils en sont les dispensateurs et non les maîtres.

<< Si les jugements étaient une opinion par

1

ticulière du juge, on vivrait dans la société sans savoir précisément les engagements qu'on y contracte (1). »

L'établissement des juges dut conduire à la nécessité d'un régime judiciaire qui donne à tous l'accès des tribunaux, la faculté de s'y faire entendre, et des garanties contre les surprises, les erreurs, l'arbitraire ou la faveur.

Ces garanties se trouvent dans la méthode et les formes de procéder. Cette méthode, ces formes n'étaient dans l'origine que des précautions imaginées pour un petit nombre d'événements prévus; les législateurs les ont multipliés, à mesure que leur prévoyance plus éclairée a pu calculer les efforts des passions et les ruses de la mauvaise foi.

Répéterai-je ici tout ce qu'on a dit et écrit pour ou contre les formes de la procédure?

La plupart des gens du monde se récrient contre cet axiome: La forme emporte le fond, contre les nullités, les déchéances, qu'ils signalent comme autant d'écueils où vient se perdre la justice.

M. de Voltaire écrivait à un magistrat qu'il ne serait pas mal de trouver un jour quelque biais pour que le fond l'emportât sur la forme. Le mot était joli, si l'on veut; mais avec quelques réflexions sur la marche des affaires et sur l'esprit du temps, on verra que ce biais ne serait autre chose qu'un pouvoir arbitraire et une funeste précipitation de jugement.

Les auteurs d'un ouvrage périodique qui s'imprimait il y a cinquante ans (2) conseillaient sérieusement aux souverains qui voudraient composer de nouveaux codes, de n'y point employer des jurisconsultes.

Ces académiciens, s'estimant seuls capables de réformer la législation, croyaient qu'il suffisait d'un nouveau code pour faire d'un vieux peuple un peuple nouveau, pour substituer à ses institutions et à ses mœurs une candeur native, et le faire rentrer d'un saut dans la simplicité des voies de la nature.

Il serait désirable sans doute qu'on pût retrancher les procédures ou les réduire à la seule comparution des parties devant le juge,

(1) Esprit des lois, liv. 11, chap. 6.

pour expliquer leur différend, et recevoir la décision.

Mais cette théorie ne peut être appliquée qu'à un pays pauvre, rétréci, où les relations sont peu multipliées et peu actives, où les mots d'industrie et de commerce sont à peine connus. Les procès doivent y être simples et rares.

Encore faut-il supposer que l'esprit humain y sera toujours docile à porter le joug de la règle, et que la vigilance du législateur n'aura pas besoin de le suivre dans mille détours; que les parties appelées devant le juge ne manqueront pas de se présenter; que les moyens seront bien déduits de part et d'autre; que les témoins seront incorruptibles; que les juges, toujours éclairés, toujours irrécusables, poseront d'eux-mêmes des limites à leur autorité; que l'on s'en rapportera, pour l'exécution de la sentence, à la sagesse de celui qui aura gagné son procès et à la soumission de celui qui l'aura perdu.

Cette sorte d'utopie judiciaire ressemble aux fables dont les vieux livres sont remplis sur la perfection de la justice chez les anciens, et que beaucoup de gens prennent pour des vérités historiques.

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On répète encore de bonne foi, d'après Diodore de Sicile, qu'en Égypte on ne connaissait point de légistes; que toutes les affaires y étaient traitées par écrit, et que les parties étaient obligées de rédiger elles-mêmes leurs actes et leurs mémoires; que la cause étant instruite, et les juges ayant suffisamment lu et délibéré, les portes du tribunal s'ouvraient; que le président avait un collier d'or auquel était attachée une petite figure enrichie de pierres précieuses, symbole de la justice ou de la vérité, et que, sans proférer une parole, il tournait la petite figure du côté de celui qui avait gagné son procès.

Il faut remarquer d'abord que cette justice muette devait être fort embarrassée, lorsque l'une des parties n'obtenait pas gain de cause en entier, et que la sentence contenait, soit des restrictions, soit des conditions.

Mais il est surtout difficile d'admettre qu'il fut un temps où les habitants de l'Égypte sa

(2) Journal littéraire, dédié au Roi, vol. 10.

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