Avoir une action contre quelqu'un, former une action contre quelqu'un, sont deux choses très-distinctes. Le mot action a donc deux acceptions. Dans la première, c'est le droit que nous avons de poursuivre en justice ce qui nous est dû ou ce qui nous appartient. Dans la seconde, c'est l'exercice de ce droit, ou la demande judiciaire. L'action proprement dite, ou le droit, existe avant la demande: actio, ut quisque contraxit, statim ei competit, et dominus, amissá possessione, jus habendi habet statim, id est, antequam prætor adeatur (1). Souvent aussi une demande est formée sans qu'il y ait réellement une action ou un droit; car elle peut n'ètre pas fondée, et il ne suffit pas toujours de demander pour obtenir. Chez les Romains les actions avaient un nom spécial qu'elles tiraient ou des contrats nommés, ou d'une loi, ou du préteur qui les avait créées, ou d'un fait particulier (2). Ainsi, de la vente sortaient les actions empti et venditi; du dépôt, l'action depositi; du mandat, l'action mandati; de la société, l'action pro socio; de la loi aquilia, l'action aquilienne; de l'édit du préteur Publicius, l'action publicienne; du vol, l'action furti, etc., etc. Lorsqu'une action nommée manquait, cùm proprium nomen invenire non possumus (5), on avait recours à l'action præscriptis verbis, ainsi appelée parce qu'elle s'intentait d'après les termes de la convention: secundùm id quod contrahentes habuére præscriptum et conventum. On l'appelait aussi in factum parce qu'elle se formait par le récit du fait. Les actions étaient civiles, lorsqu'elles prenaient leur source dans la loi. Celles qui furent introduites successivement par les édits des préteurs, pour suppléer à la loi, ou pour modifier ses dispositions suivant les principes de l'équité, prirent le nom de prétoriennes. Il y avait les actions de bonne foi, dans lesquelles le juge avait la liberté d'estimer ce qui devait être accordé au demandeur : ex æquo et bono æstimandi, quantùm actori restitui debeat (4); les actions arbitraires, dans lesquelles le juge pouvait ajouter une peine et augmenter la condamnation, pour vertes que la science y a faites, se trouve traité avec une méthode parfaite et une admirable clarté par M. le professeur Decaurroy, dans son 40 volume des Institutes de Justinien nouvellement expliquées. (3) L. 8 ff. de præscript. verb. le cas où la partie condamnée n'obéirait pas à la sentence: in quibus, nisi arbitrio judicis is cum quo agitur actori satisfaciat, veluti rem restituat, vel exhibeat, vel solvat, etc., condemnari debeat (1). Les actions qui n'étaient ni de bonne foi, ni arbitraires, étaient de droit étroit, stricti juris; le juge y devait suivre littéralement les conventions des parties, accorder la totalité de la demande, ou acquitter entièrement le dé fendeur. Dans certaines affaires, et suivant la qualité des personnes, la condamnation n'était que << pour autant que ces personnes pouvaient faire; >> il fallait leur laisser de quoi subsister: in condemnatione personarum quæ in id quod facere possunt damnantur, non totum quod habent extorquendum est, sed ipsarum ratio habenda est ne egeant (2). Ce privilége s'appelait beneficium.competentiæ; il était accordé au mari poursuivi en restitution de la dot, au père poursuivi par ses enfants, au donateur poursuivi par le donataire, aux associés, aux militaires, à ceux qui avaient fait cession de biens. Il ne s'étendait point aux cautions; le dol le faisait cesser. L'action tombait en déchéance, s'il était demandé plus qu'il n'était dû. Il y avait quatre cas de plus-pétition : 1o Par la chose ; exemple: celui auquel il n'était dù que dix écus en demandait quinze. 2o Par le temps, lorsqu'une chose payable à terme ou sous condition était réclamée avant l'expiration du terme ou l'événement de la condition. 5o Par le lieu, lorsque la délivrance d'une chose était demandée dans un lieu autre que celui qui avait été convenu. 4o Par la cause lorsque la demande n'était pas conforme à l'obligation du débiteur, comme si, après la stipulation de donner un esclave ou dix écus d'or, le créancier se faisait lui-même l'arbitre du choix en exigeant l'esclave. chant la plus-pétition fut tempérée par les constitutions des empereurs; elles permirent de réformer la demande avant la contestation en cause, c'est-à-dire avant l'exposition de l'affaire devant le juge. Lis contestata videtur, cum judex per narrationem negotii causam audire cœpit (3). Le droit français n'a point adopté ces dénominations et ces distinctions multipliées à l'infini. Chez nous les actions s'expliquent sans qu'il soit nécessaire de les nommer. Elles sont toutes de bonne foi, en ce sens que le juge estime ce qu'il faut accorder et ce qu'il faut refuser au demandeur: quantum, vel quid æquius, melius. Toutefois il ne peut ajouter à la demande, et juger ultrà petita. S'il est demandé plus qu'il n'est dù, ce n'est point un motif de rejeter l'action, mais seulement de la réduire. Nous n'avons point admis le beneficium competentiæ; nous avons su concilier le respect pour l'entier accomplissement des conventions avec les devoirs de la nature et les devoirs de l'humanité; car il est des débiteurs, comme un père, un époux, auxquels on devrait des aliments, si la condamnation obtenue et exécutée contre eux les laissait dans la détresse. Nous n'avons pris des Romains que les grandes divisions qui servent à faire connaître les principaux genres d'action; nous disons avec eux que l'action est ou personnelle, ou réelle, ou mixte ; que l'action réelle est ou réelle mobilière, ou réelle immobilière, et que cette dernière se divise en action pétitoire et en action possessoire. C'est là que se borne l'utilité de la nomenclature. Diviser et sousdiviser encore serait hérisser de vaines difficultés les abords de la science (a). L'action purement personnelle est celle que l'on dirige contre un individu personnelle La rigueur de l'ancien droit romain tou- ment obligé à donner, ou à faire, ou à ne (1) Institut. de act. $ 31. (2) L. 75 ff. de reg. jur. (3) L. unic. Cod. de lit. contest. (a) On peut conférer la théorie de Boncenne sur les actions avec celles de Carré, Lois d'organisation et de compétence, elc., t. 2, p. 265-277 (édition de Demat, 1826), de Dalloz, Jurisprudence du XIXe siècle, be édition, t. 1, p. 253-256 éd. Tarlier, 1825-1832) et de Pigeau, La procédure civile, etc., t. 1, p. 68-79 (éd. Tarlier, 1854). 1 pas faire quelque chose. Une pareille obligation ne peut se concevoir séparée de l'individu; elle y est attachée, adhérente; ejus ossibus hæret ut lepra cuti (1). On ne peut en demander l'accomplissement qu'à lui ou à ceux qui le représentent. L'action personnelle dérive d'une convention, comme d'un prèt, d'un dépôt, d'un mandat; ou de l'autorité de la loi, comme lorsqu'un père demande des aliments à son fils (2); ou d'un quasi-contrat, ainsi celui qui reçoit ce qui ne lui est pas dû s'engage à le restituer (3); ou d'un délit, d'un quasi-délit, d'est-à-dire d'un fait quelconque qui cause un dommage et qui oblige à une réparation (4). Par l'action réelle, on revendique la propriété ou la possession d'une chose, contre toute personne qui la détient, et en quelques mains qu'elle passe. La revendication d'une chose suppose nécessairement quelqu'un qui la possède indument; mais elle n'en est pas moins l'unique objet de l'action, car les possesseurs peuvent - changer et se succéder sans que l'action se détache de la chose. L'action réelle est réelle mobilière ou réelle immobilière, suivant qu'elle tend à la revendication d'un meuble ou d'un immeuble. Dans le langage des lois on donne simplement le nom d'action mobilière à la revendication d'un effet mobilier, et l'on entend plus ordinairement par action réelle l'action réelle immobilière. C'est en ce sens que les articles 59 et 64 du Code de procédure ont été rédigés. L'action réelle immobilière se divise en action pétitoire et en action possessoire. L'action pétitoire est la revendication de la propriété d'un immeuble ou d'un droit réel sur un immeuble, contre celui qui le possède et qui prétend aussi en ètre propriétaire. Il faut bien supposer que le demandeur, en ce (5) Code civil, article 2229, Code de procédure, art. 23. cas, est privé de la possession, et que la propriété ou le droit lui sont contestés; autrement l'intérêt de son action ne se concevrait pas. L'action possessoire n'a trait qu'à la possession d'un immeuble ou d'un droit réel. La possession fut le premier des titres, et, jusqu'à la preuve contraire, nous présumons toujours que celui qui possède est le propriétaire. Il importe au bon ordre et à la paix publique que la possession soit protégée; mais cette faveur ne s'étend pas sur toute espèce de possession. La possession à laquelle la loi attache une présomption du droit de propriété et l'effet d'acquérir ce droit, s'appelle possession civile, pour la distinguer d'une occupation purement physique et naturelle, souvent disputée, fugitive ou passagère. La possession civile doit avoir duré au moins pendant une année sans interruption; elle doit avoir été paisible, publique, et empreinte de l'esprit de propriété, animo domini (5). Sans ces conditions, le possesseur serait-il l'image du propriétaire? Un fermier occupe ou détient le domaine dont le bail lui a été consenti; mais il possède pour le maître, à titre précaire, et ce titre, tant qu'il subsiste, est une protestation constante contre les effets ordinaires de la possession (6). La possession étant un acheminement, par la prescription, au droit de propriété, elle n'est jamais utile à l'égard des choses immobilières qui ne peuvent s'acquérir que par un titre (7). Ainsi le droit de passage ou de pacage sur le fonds d'autrui ne s'établit point par la possession, quelque longue qu'elle ait été, parce qu'une pareille servitude serait discontinue (8), et parce que des présomptions tirées de la tolérance ou de quelques relations de voisinage, peuvent combattre la supposition d'un droit primitif; alors la pos (6) Qui ex conducto possidet, quamvis corporaliter teneat, non tamen sibi, sed domino rei creditur possidere. L. 2 Cod. de usucap. (7) En fait de meubles, la possession vaut titre, la possession et la propriété se confondent. Cod. civ., art. 2279. (8) Cod. civ., art. 688 et 691. session devient équivoque, et les faits ne tirent plus à conséquence. Dans les cas généraux où la possession est utile, l'action possessoire se réduit aux termes les plus simples: Lequel des concurrents possède, lequel ne possède pas? L'action pétitoire au contraire conduit à cette question: Lequel est propriétaire? Car celui qui ne possède pas peut être le véritable propriétaire. Ici c'est un fait, là c'est un droit à juger (1). L'action possessoire se nomme complainte, lorsque celui qui l'exerce n'a éprouvé qu'un trouble dans sa possession, et réintégrande, lorsqu'il a été tout à fait dépossédé. C'est ce que les Romains appelaient l'interdit retinendæ possessionis, et l'interdit recuperandæ possessionis. Les interdits (interim dicta) étaient des décrets du préteur sur la possession, jusqu'à ce que les débats sur la propriété fussent vidés (2). Un fragment de la loi des douze tables, conservé par Aulu-Gelle, portait : Si qui in jure manum conserunt, secundum eum qui possidet vindicias dato. Les Romains mettaient partout des figures; un procès pour la possession d'un champ était comme la représentation d'une lutte. Dans les premiers temps, l'entrelacement des mains se faisait sur le terrain litigieux, où les parties se rendaient accompagnées du préteur. Mais la multitude des affaires rendit bientôt ce mode impraticable; on y suppléa en prescrivant aux contendants d'aller chercher une motte de terre, pour la déposer aux pieds du tribunal. Puis chacun, saisissant les mains de son adversaire, plaidait alternativement, et le préteur réglait la possession, vindicias dabat (3). On appelait vindiciæ la jouissance par (1) Separata esse debet possessio à proprietate. Fieri enim potest ut alter possessor sit, dominus non sit; alter dominus quidem sil, possessor verò non sit: fieri potest ut et possessor idem et dominus sit. L. 1, § 2, ff. uti possid. In interdicto, possessio; in actione, proprietas vertitur. L. 14, § ult., ff. de except. rei judic. (2) Cujas in Cod., de interdict. provision de la chose contestée; d'autres donnaient ce nom aux mottes de terre symboliques (4). Dans les questions d'état, la provision était toujours adjugée en faveur de la liberté. Appius Claudius, l'un des décemvirs, épris d'un fol amour pour Virginie, aposta un homme qui la revendiqua devant lui, comme son esclave, et il adjugea la provision à cet homme, au mépris du droit sacré qu'il avait lui-même établi dans les douze tables. Virginius tua sa fille pour lui sauver l'honneur; son couteau tout sanglant fut le signal d'une révolte qui se termina par la mort d'Appius et par la ruine des décemvirs (5). Je me propose de revenir sur diverses questions concernant les actions possessoires, en traitant des justices de paix. Lorsque le droit de revendiquer une chose se fonde sur une obligation, l'action, en thèse générale, doit être dirigée contre la personne obligée; car il faut faire juger l'existence ou la validité de son obligation. Il y a donc mélange de réalité et de personnalité; voilà l'action mixte, c'est-à-dire l'action contre la chose et contre la personne. On remarque quelque confusion dans le droit romain et dans les auteurs sur la distinction de cette espèce d'action. Justinien donne seulement pour exemples celles formées par des cohéritiers ou des copropriétaires, afin de parvenir au partage d'un immeuble commun, familiæ erciscundæ, vel communi dividundo, et celles en bornage, finium regundorum; parce que dans ces cas le juge remplace ordinairement une égalité trop difficile à conserver dans la désignation des lots, par des prestations personnelles, des solutes ou des retours (6). Ulpien cite également ces actions comme (3) Aulu-Gelle, liv. 20, chap. 10. (4) Festus. (5) L. 2, $ 24, ff. de orig.jur. (6) Quædam actiones mixtam causam oblinere videntur, tàm in rem quàm in personam: qualis est familiæ erciscundæ actio, quæ competit cohæredibus de dividenda hæreditate. Item communi dividundo, quæ inter eos redditur, inter des actions mixtes, et se détermine par une considération différente. C'est, dit-il, que chacun des plaideurs y est demandeur : mixtæ sunt actiones in quibus uterque actor est (1). ! Des auteurs, et Pothier entre autres, reconnaissent bien dans les actions en bornage et en partage des signes de nature mixte, mais par d'autres raisons encore. Suivant eux, ces actions sont mixtes, parce qu'on y joint ordinairement à la revendication d'une chose la demande d'un rapport, d'un remboursement d'impenses, d'une restitution de fruits, etc. Ni les unes ni les autres des ces considérations ne paraissent satisfaisantes. Il est peutêtre difficile d'admettre, avec Ulpien, que les actions en partage et en bornage tirent leur nature mixte de ce motif que chacune des parties y est demanderesse. Le demandeur dans ces sortes d'actions, comme dans toutes les autres, est celui qui a ouvert l'instance; c'est l'opinion de Gaius: in tribus istis judicüs, familiæ erciscundæ, communi dividundo, et finium regundorum, quæritur quis actor intelligatur, quia par causa omnium videtur? sed magis placuit eum videri actorem qui ad judicium provocasset (2). Si les deuxparties concluent ensemble à ce qu'un héritage soit partagé ou borné, il n'y a pas de procès sur ce point. Mais, lorsque l'une d'elles résiste, soit parce que l'opération aurait déjà été faite, soit parce que l'adversaire serait sans droit, sans qualité, soit parce que l'action serait prescrite, il ne faut plus qu'on répète alors: Uterque actor est. Est-il plus vrai de dire que l'action en partage et l'action en bornage sont mixtes, à cause des retours, des remboursements, des restitutions et des autres prestations personnelles qu'on a coutume de mèler à la demande? Je ne le crois pas, car il s'ensuivrait que ces actions deviendraient purement réelles, lorsqu'elles seraient formées et jugées quos aliquid commune est, ut id dividatur. Hem finium regundorum actio, quâ inter eos agitur qui confines agros habent. In quibus tribus judiciis permittitur judici rem alicui ex itigatoribus ex bono et æquo adjudicare, si unius pars prægravari videbitur, eum invicem et sans accession de la moindre prestation personnelle. M. Favard a été entraîné jusqu'à cette conséquence, lorsqu'il a dit : « Ce n'est qu'autant que la demande principale, c'est-à-dire celle en pétition d'hérédité, en partage ou en bornage, est accompagnée de la demande accessoire de prestations, que l'action est mixte: si la demande principale est seule, elle est réelle; elle ne devient mixte que par la jonction de celle de prestations. « Cette distinction résulte de la nature même des choses. En effet, que le copropriétaire d'un immeuble indivis, par exemple, se borne à en demander le partage contre son copropriétaire, il exerce l'action appelée communi dividundo. << Dès qu'il ne réclame aucune restitution de fruits, aucune prestation, son action n'est personnelle sous aucun rapport; elle est purement réelle immobilière, puisqu'elle tend uniquement à faire déterminer sa part dans un immeuble. Mais si à l'action en partage le demandeur joint celle en restitution de fruits ou en dommages-intérêts, il agit alors contre son copropriétaire à deux titres distincts: il l'actionne comme copropriétaire d'immeuble, ce qui constitue l'action réelle et comme obligé à des prestations résultant de son fait, ce qui forme l'action personnelle. Or c'est le concours de ces deux actions personnelle et réelle qui constitue l'action mixte (3). » C'est avec une grande défiance de moimème que je me hasarde à présenter des doutes contre l'opinion d'un magistrat dont les lumières et l'expérience étaient si imposantes. On le sait déjà: l'action réelle se distingue de l'action personnelle, en ce que, par la première, une chose est demandée sans considération de la personne qui la détient, et que, dans l'autre, on agit en vertu d'une obligation contre une personne engagée. L'une et l'autre se confondent, quand on certâ pecuniâ alteri condemnare. Instit. de act. $ 20. (1) L. 57, $ 1, ff. de oblig. et act. (2) L. 13, ff. de judiciis et ubi quisque, etc. (5) Répertoire de nouvelle législation civile et commerciale, verb. action, $ 1, n. 5. |