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ment irrécusable pour les rois comme pour les nations. Il nous faut aujourd'hui une raison qui réponde à tous, hommes et peuples, quelle que soit leur position sociale; car, dans notre révolution, il y a autre chose que des ruines, il y a un commencement de construction. S'il ne s'agissait que d'un fait achevé, fini, eût-il été encore mille fois plus calomnié, si nous en cherchions la raison seulement pour l'honneur de l'humanité, pour l'honneur de notre pays, on nous pardonnerait quelque négligence; mais il s'agit d'un passé qui se continue, et qui produira notre avenir. Nous avons donc besoin, pour engager la discussion, d'un terrain que chacun acceptera, pourvu qu'il soit né d'européen; et c'est à cette fin que nous choisissons le sol chrétien luimême. Les événemens de la révolution, dès qu'ils sont placés là, sont justifiés aux yeux de tous, peuples, rois et prêtres ; ils changent d'aspect; car on est obligé de voir dans ses axiomes des lois depuis long-temps enseignées, depuis long-temps poursuivies, et qui approchent de la réalisation.

Qu'on ne dise pas que le peuple se livra au mouvement révolutionnaire pour conquérir quelques biens matériels; car on pourrait prouver que quelque part en Europe, il y a des serfs et des populations esclaves mille fois plus heureuses que nos ouvriers et nos paysans libres de France: au moins ceux-là ne souffrent-ils jamais ni du froid, ni de la faim; au moins ceux-là n'ont jamais senti le mal qui ronge nos salariés, le mal d'un travail sans sécurité, d'une existence incertaine de son avenir; et aussi, ils meurent chargés d'années, après une vie exempte de maladies. Non, les Français, en se livrant à l'enthousiasme révolutionnaire, ne regardèrent que comme un but inféricur, et encore comme une conquête dont jouiraient seulement leurs petits enfans, l'acquisition de ce mieux-être physique: ils se dévouèrent à des principes;

ils se sacrifièrent, afin de faire un centre aux grandes idées d'égalité et de fraternité, promises aux jouissances des générations futures.Est-il un seul homme, assez haut ou assez bas placé dans le monde, pour oser insulter à tous ces martyrs morts dans l'œuvre d'une si belle tâche!

Lorsqu'on se place sur le vrai terrain des causes de la révolution, sur celui que nous avons choisi, on voit comment une si haute volonté est venue; on voit qu'il a fallu quatorze siècles d'une activité toujours la même, pour faire cette fière nation, qui, d'elle-même et sans chef, s'est mise un jour à penser et à agir comme un seul homme. Alors l'idée révolutionnaire a une histoire qui est celle du monde, et où nous apprenons, en même temps, pourquoi chaque peuple est à la place qu'il occupe, et pourquoi notre nation est la première entre les nations modernes. Alors on lit que l'idée révolutionnaire a un droit antérieur à tous les droits qui s'élèvent et luttent contre elle : car toutes les dynasties existantes aujourd'hui, toutes, sont sorties d'un service qui lui a été rendu, et ont été sacrées à ce titre. Quelle passion, quelle colère, quel préjugé ne restera confondu et muet à ce spectacle!

Ainsi, c'est pour donner au fait révolutionnaire sa véritable valeur et toute son autorité, que nous avons passé sur les inconvéniens d'avancer, dans le commencement d'un ouvrage qui est rédigé dans l'espérance d'une grande publicité, une idée qui est rigoureusement vraie, sans doute, mais qui, par sa nouveauté, pourra repousser quelques esprits, et nuire au succès de notre publication. Elle nous était d'ailleurs indispensable comme introduction à l'esquisse de l'histoire des Français qui va suivre. Il n'est plus permis aujourd'hui à personne, et à nous moins qu'à d'autres, de dépouiller les faits de leur but.

Nous n'écrivons pas seulement pour nos concitoyens de France; mais nous rassemblons les pièces d'un grand enseignement pour tous les hommes, quelle que soit leur patrie; et, pour qu'elles soient comprises, nous nous servons de la langue commune, la seule qui soit en Europe; d'une langue qui sera entendue aussi bien du Polonais que du serf russe, de l'Espagnol que de l'Irlandais, de l'Italie papale que de l'Allemagne catholique ou pro

testante.

LIVRE PREMIER.

HISTOIRE DE L'ETABLISSEMENT DE LA NATIONALITE

FRANCAISE.

CHAPITRE PREMIER.

IDÉE GÉNÉRALE DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE.

TOUTES les fois qu'un nom national nouveau vient à paraître dans l'histoire, il est certain que c'est une fonction nouvelle qui commence. Dans la grande société des peuples, chacun est, à son tour et à sa place, ouvrier de l'œuvre de perfectionnement qui s'accomplit au profit de tous; chacun poursuit, dans la succession des temps, une part de ce travail de civilisation, dont le bénéfice est toujours pour les enfans.

Dans l'humanité, ce sont les idées qui créent et gouvernent les faits aussi peut-on suivre également bien l'histoire des hommes, soit en étudiant la succession des idées, soit en observant la succession des faits. Or, chaque nation est une idée qui s'est faite chair; et de même que les idées succèdent aux idées, de même les nations succèdent aux nations; et de même encor que toutes les idées tendent à un résultat unique, de même toutes les nations travaillent à conquérir un but unique. L'œuvre est commune, les fonctions seules diffèrent.

Parce que jamais ouvrier jusqu'à ce jour n'a manqué à la tâche, parce que l'œuvre progressive s'est poursuivie sans interruption, qu'on ne pense pas cependant que les hommes ne soient pas maîtres d'accepter ou de refuser une part d'efforts. Non. Les nations ont la liberté du choix. Elles jouissent de la faculté du libre arbitre aussi bien que les individus. L'histoire nous montre, en effet, qu'à ces époques de crise, qui commandent une

fonction, et par suite une nationalité nouvelle, il y a beaucoup d'appelés, et peu qui veuillent être élus. Aussi voyez-vous alors paraître une multitude de noms de peuples différens. Parmi tous ces noms, un seul reste, et vient se faire une histoire; les autres ou s'éteignent à jamais, ou descendent au titre de quelque province obscure. Ce n'est pas parce que cette multitude est dévorée par un plus fort; loin de là, car c'est, au contraire, bien souvent le plus obscur et le plus faible qui surnage à tous les autres; mais aussi, c'est qu'il s'agit de choisir entre le dévouement et l'égoïsme. L'œuvre progressive est une œuvre difficile et rude qui exige de longs et obstinés sacrifices. Or, qui veut vivre seulement pour soi, n'y prendra jamais part.

L'histoire de la nationalité française est la vérification complète de tous les principes précédens. Elle vint tenir la place de l'empire romain d'Occident qui était infidèle à sa fonction. Seule au milieu de plusieurs nations, elle comprit et saisit l'œuvre à faire, l'oeuvre de civilisation'; elle se dévoua au Catholicisme; et il se trouva même un moment où elle fut la seule nation catholique. Pendant cinq siècles, le nom de Francs fut celui d'une armée qui servait de bras au christianisme. Dans les Gaules, en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, on ne connut pas sous un autre nom que sous celui de Français, ces hommes courageux qui luttèrent partout contre cette barbarie nomade qui allait au pillage comme à une chasse, contre ces doctrines ariennes, impies, qui menaçaient le progrès de mort, contre le mahométisme, leur enfant; qui partout travaillèrent à construire une unité européenne par le seul moyen qui puisse l'établir et la faire durer parmi les hommes, par l'unité des doctrines. Que sont devenus aujoud'hui ces Goths, 'ces Alains, ces Suèves, ces Vandales, ces Huns, ces Hérules, ces Lombards, ces Bourguignons, etc., si nombreux et si terribles? Leurs noms ont disparu, ou ne sont plus que des noms de provinces.

L'existence d'une nationalité, comme celle d'un individu, se

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