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Gafton, Duc d'Orléans, difoit plaifamiment, à l'occafion du mariage d'un Auteur pauvre avec une Demoiselle qui n'étoit pas riche, que la faim & la foif fe marioient ensemble. M. de Bauval dit au fujet de celui de M. Dacier avec Mlle le Fevre, c'est l'union du Grec & du Latin.: Cette alliance n'a pas été féconde, car ces deux: Langues font aujourd'hui fort négligées parmi

nous.

DAGUESSEAU, [ Henri-François D'] Chan-: celier de France, Commandeur des Ordres du Roi, né à Limoges en 1668, mort en 1751, un de ces hommes qui font l'honneur de leur fiecle, de leur Nation, de l'humanité, & dont le culte s'il nous eft permis de nous fervir de cette expreffion, ne peut qu'augmenter par la fucceffion des

temps.

La Nature n'en produit pas fouvent de cette trempe. Pour les former, il faut qu'elle réuniffe: tous les talens & toutes les vertus, un esprit capable de toutes les connoiffances, un cœur rempli de tous les fentimens.

Jamais homme ne fit fentir avec plus de dignité l'accord de ces deux mérites. Placé dans la plus haut rang, il en fut la gloire, & feroit un de nos plus célebres Ecrivains, quand même il. 'auroit pas été un de nos plus grands Magistrars.»;

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Avoir reçu du Ciel une imagination vive & féconde, un jugement auffi exquis que folide; allier à l'étendue du favoir une profonde fageffe; aux charmes de l'éloquence l'empire de la vertu; à l'élévation des dignités un amour auffi éclairé qu'intrépide pour le bien; avoir ajouté à ces qualités une application infatigable à cultiver fes talens, une modeftie fincere la véritable parure du mérite: tel est le privilége heureux qui diftingue ce Grand Homme, à qui les hommages ne peuvent être trop prodigués.

Il paffa fucceffivement par toutes les places de la haute Magiftrature, &, dans les différentes fonctions qu'il eut à remplir, il fut toujours régler fes travaux felon l'efprit de chaque miniftere.

Les Difcours qu'il prononça, étant Avocat ou Procureur-Général, ne nous laiffent rien envier aux Orateurs d'Athenes & de Rome. On y admire une éloquence naturellement proportionnée aux fujets, fublime dans les plus élevés, communicative & intéreffante dans les plus fimples; une érudition choifie, toujours dirigée pour l'utilité ; une profondeur de raisonnement parée de toutes les graces de l'élocution. Quelles que foient les matieres qu'il embraffe, il fait naître la persuafior, & entraîne les fuffrages. Les inftructions

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les idées, les fentimens naissent en foule avec la variété des tours & le choix des termes propres a les embellir. Peu d'ouvrages offrent autant d'exemples de ce fublime, qui confifte dans l'expreffion fimple d'une grande pensée. Les ornemens fe préfentent d'eux-mêmes fous la plume de cet Orateur fagement philofophe, fans qu'il ait befoin de les chercher ; jamais la raifon ne s'exprima avec plus de noblesse & de candeur.

Tous fes Difcours font d'une utilité qu'on ne peut comparer qu'aux talens qui les parent, On croit entendre Démofthene parler le langage de Platon. Plein de chaleur & d'intérêt, il fait donner la vie à tout ce qu'il peint, & la Nature même devient plus intéressante par les charmes que fon pinceau répand fur tous les objets.

Les autres Ouvrages de M. Dagueffect pottent l'empreinte du même génie. Ses Inftructions pour les Magiftrats, fon Effai fur le Droit public, fes Ecrits fur les Belles-Lettres, fes Inftructions pour l'éducation de fon fils, font autant de monumens qui renferment, chacua en particulier, une raifon fupérieure, des traits brillans dont se forme un grand corps de lumiere qui éclaire l'esprit autant qu'il échauffe le cœur, Tout ce qu'il difcute, porte avec foi le caractere d'une fagacité qui étonne. Il interprete les Loix,

comme l'eût fait le Législateur lui-même ; il expofe le Droit naturel & le Droit Public, comme s'il étoit l'interprete de la Nature & de toutes les Nations; il parle de Littérature, comme fi les Muses, les Graces & le bon Goût l'euffent rendu dépofitaire de leurs oracles. Dans fes Mercuriales fur-tout, il eft aifé de reconnoître une fuite de tableaux où l'Homme de Loix eft forcé de puifer la plus haute idée de fa profeffion & l'amour de fes devoirs ; l'Homme d'Etat, les leçons de la faine politique & les moyens de la rendre utile & refpectable; le Philofophe, le modele de l'ufage qu'il doit faire de fes lumieres & de la fageffe qui fait les contenir; le Littérateur, les fineffes de fon art & les folides beautés qui peuvent l'embellir; tous les Hommes, le respect des Loix, les regles de la vertu & les charmes qui la font aimer.

Comment M. Dagueffeau eft-il parvenu à fe rendre ainfi fupérieur dans chaque genre? La queftion eft facile à réfoudre, & offre un exemple qu'on ne fauroit trop imiter. Une étude constante, fecours néceffaire aux dons les plus heureux de la Nature, fit éclore, étendit, fortifia fes talens, & l'habitude de ne s'occuper que de grands objets, lui procura l'heureuse facilité de s'exprimer avec nobleffe felon les différentes parties qu'il embraffoit. C'est ainfi qu'il fe rendit fupérieur à

tout.

Sa maniere de traiter les matieres les plus abftraites a cela de particulier., qu'elle eft à la portée de tous les efprits. Il avoit la méthode de réduire chaque sujet à des propofitions fimples, mais vraies ; de ces propofitions il en déduifoit plufieurs autres, qui toutes concouroient à déve→ lopper les premiers. Par ce moyen, de vérité en vérité, de conféquence en conféquence, il atteignoit, le but qu'il s'étoit proposé, & finissoit par perfuader, & fe faire aimer.

On ne peut fe rendre ainfi maître de l'efprit des autres, qu'après s'être, avant toutes choses, rendu maître du fien. Quelque heureufement qu'on. foit né, l'étude de foi-même, celle des hommes, l'attention à fe former fur de bons modeles,. font absolument nécessaires pour fe mettre en état de devenir un modele à fon tour.

Auffi tous les genres de favoir, acquis par une application infatigable, avoient-ils concouru à enrichir l'efprit de M. Dagueffeau de la substance de tous les autres efprits. Mathématiciens, Orateurs, Hiftoriens, Poëtes, il avoit tout connu tout digéré. Dans les premiers, il avoit puifé l'analyse & la justesse; dans les feconds, l'éloquence & la fublimité; dans l'Hiftoire, l'ordre & la fimplicité de la marche ; dans les Poëtes, la vivacité des images, la hardieffe des expreffions; cette riche abondance, & principalement cette has

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