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99 en étoient satisfaites. Mais il restoit encore des doutes à Camus. « Je n'entends pas, dit-il, cette » manière-là. Il me semble que l'on juge sur des » mots. Je suis surpris que vous soyez toujours » aussi légers et aussi prompts à prendre une im»pression favorable..... Je demande que l'assem» blée nomme quatre commissaires pour se trans» porter dans tous les bureaux où le passe-port » peut avoir été expédié, et vérifier s'il a existé » quelque pièce ou mémoire pour le demander. » Cette motion fut accueillie, et Camus fut un des commissaires nommés pour aller faire la vérifica♣ tion qu'il avoit proposée. En attendant leur retour, M. de Montmorin resta à l'assemblée, ainsi que les autres ministres qui s'y étoient rendus.

par

Dans cet intervalle, l'assemblée rendit, sur le rapport du comité de constitution, un décret lequel, considérant que, dans le nouvel ordre d'évènemens où elle se trouvoit placée, elle ne pouvoit pas, sans compromettre la chose publique, fixer l'époque précise de sa séparation, quelque zèle qu'elle mît à la rapprocher, etc. etc., elle ordonna que les électeurs qui avoient été ou qui seroient nommés par les assemblées primaires, ne se réuniroient pas, et sursoieroient à toute nomination de députés, jusqu'au jour qui seroit déterminé par un nouveau décret.

Plusieurs voix s'élevèrent d'abord pour repousser ce décret par la question préalable; d'autres

vouloient que la lecture n'en fût pas achevée; mais le comité de constitution, puissamment appuyé par quelques membres d'un patriotisme non suspect, et sur-tout par Rewbell, représenta que cette mesure étoit indispensable pour empêcher que les assemblées électorales ne délibérassent sur Jes circonstances présentes, et que si on ne l'adoptoit pas, on couroit le risque d'avoir non-seulement quatre-vingt-trois corps délibérans, mais deux assemblées nationales existantes à-la-fois ; que ce désordre et cette confusion ne pourroient qu'entraîner la dissolution de la monarchie. Il étoit assez remarquable sans doute que cette considération, qui fit prévaloir l'avis du comité, fût mise en avant par les membres de l'assemblée les plus acharnés au renversement des formes et des principes du gouvernement monarchique.

Les commissaires envoyés dans les bureaux de M. de Montmorin, revinrent à l'assemblée à cinq heures du soir, et déclarèrent avoir vérifié que la baronne de Korff avoit obtenu un passe-port le 5 juin, sur la demande de M. de Simolin, ministre de Russie; qu'ayant feint d'avoir, par mégarde, brûlé ce passe-port, elle en avoit demandé et obtenu un duplicata par la même voie, et que les pièces qui constatoient tous ces faits leur avoient été remises. Ce rapport ne laissant plus aucun nuage sur le compte de M. de Montmorin, l'assemblée décréta à l'unanimité que la

conduite de ce ministre étoit irréprochable, et ordonna que ce décret et le rapport sur lequel il avoit été rendu, seroient publiés et affichés surle-champ dans la capitale. Elle chargea en mêmetems quatre nouveaux commissaires d'aller éclairer et arrêter le peuple, qui se portoit en foule à l'hôtel de Montmorin.

L'assemblée reçut dans ce moment une lettre des trois commissaires qu'elle avoit envoyés audevant du roi. Elle étoit conçue en ces termes :

A Dormans, le 24 juin 1791, trois heures un quart du matin.

« Monsieur le président...... Nous avons joint » le roi à peu de distance d'Epernay. Il étoit dans » une voiture avec la reine, le dauphin, ma» dame Royale, madame Elisabeth et madame » Tourzel. Trois domestiques étoient sur le siège ; » deux femmes suivoient dans un cabriolet; un » peuple immense et en armes étoit sur la route; » nous nous sommes approchés de la personne » du roi; nous lui avons fait part de notre mis»sion, et nous lui avons donné lecture du décret » de l'assemblée nationale; nous en avons éga»ment fait lecture aux braves citoyens qui lui »servoient de cortège; nous avons institué M. » Dumas leur commandant, et nous nous sommes » rendus en bon ordre à Dormans, où nous passons la nuit; demain nous nous rendrons à

» Meaux, et après-demain à Paris. Ce qui ra» lentit notre marche, c'est l'affluence des gardes » nationales qui se rendent de toutes parts sur le » passage du roi pour l'escorter, et dont nous » devons louer le zèle et la conduite prudente » et généreuse. Nous sommes, etc. etc.

» Signés PÉTION, LATOUR-MAubourg, » BARNAVE, DUMAS. »

Après la lecture de cette lettre, les six tribunaux criminels de Paris furent admis à la barre. Ils complimentèrent l'assemblée sur sa sagesse, sur son énergie, sur son héroïsme, lui offrirent l'hommage de leur admiration, l'assurance de leur fidélité, et lui donnèrent la mesure de leur patriotisme, par la phrase suivante : « Dans ces »jours de crise, où le premier citoyen de l'em» pire est parjure, où le premier fonctionnaire public, entraîné par de perfides suggestions, » a déserté son poste, etc. etc. etc. » Et ces blasphêmes, vivement applaudis, méritèrent à ceux qui les avoient proférés, les remercîmens de l'assemblée et les honneurs de la séance.

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A cette députation criminelle, succéda celle du conseil-général de la commune de la bonne ville de Paris, qui venoit présenter à l'assemblée les deux individus qui avoient le plus contribué à l'arrestation de la famille royale. « Voici, dit l'ora

teur, M. Drouet, maître de poste de Sainte

Menehould, qui, le premier, ayant cru recon»noître le roi et la reine, a pris le parti de courir » à leur suite. Voilà M. Guillaume, son cama» rade, qui accourut en même-tems que lui, et qui, de concert avec lui, prit des mesures » pour arrêter le passage des voitures suspectes. » M. Drouet demande à l'assemblée la permission de lui présenter le récit de ce qu'il a fait dans cette circonstance.

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Drouet (1) prenant la parole, lut une partie de son récit, improvisa le reste; et ce tissu de jactances patriotiques et de plates fanfaronades, fut applaudi presque à chaque phrase (2). La réponse du président méritoit et obtint le même succès. Elle étoit conçue en ces termes :

« L'assemblée nationale vous a reçu avec cet

(1) Ce même Drouet a joué depuis un très-grand rôle dans la révolution. Il fut élu membre de la convention, en 93; et celui qui avoit arrêté Louis XVI, se réunit aux provocateurs les plus ardens de sa mort. C'est ce même. Drouet qui s'écria un jour à la tribune de la convention : On nous appelle brigands... el bien! SOYONS BRIGANDS! Commissaire dans la Belgique, ce digne apôtre du brigandage tomba au pouvoir des Autrichiens, en 93: il est resté deux ans dans les prisons d'Autriche ; et par une des monstrueuses singularités de notre révolution, il a fini par être échangé avec Camus, Lamarque et Quinette, contre la fille de Louis XVI. (Note de l'éditeur.)

(1) Voyez les pièces justificatives, no. 'III.

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