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LIVRE SECOND

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DEPUIS la négociation mise à fin par Barrio Nuevo, jusqu'à l'an 1586, l'histoire de l'île Espagnole n'offre rien de remarquable. Il serait sans intérêt de rapporter ici la liste des gouverneurs qui se succédèrent dans cette période sans rien, faire de sage ou de grand; car la colonie dépérissait de jour en jour, les mines étant heureusement presque abandonnées; mais la culture du sol n'avait que très peu gagné à cet abandon qui semblait devoir lui rendre une foule de bras devenus inutiles, et tourner toute l'activité des colons vers de nouvelles industries...

Au milieu de cette détresse générale de l'île, San-Domingo s'embellissait par les soins d'une administration plus soigneuse d'étonner l'Europe de l'histoire de son luxe, que d'utiliser pour la mèrepatrie des conquêtes qui avaient tant coûté à l'humanité et à la religion. Cette ville dont nous avons déjà cité la magnificence d'après les récits d'Oviedo, renfermait en 1586, trois couvents dédiés à saint Dominique, à saint François, et à sainte Marie; mais elle n'avait qu'un hôpital.

On vantait surtout l'architecture de sa cathedrale, et les riches dotations de son siége apostolique. Nous avons dit que cette ville superbe fut en partie détruite par l'amiral anglais sir François Drake. Ce fut en 1586, sous le règne d'Élisabeth, que l'escadre de ce navigateur célèbre parut dans les Antilles, où elle s'empara d'une grande partie des possessions et des vaisseaux espagnols dans ces mers. San - Domingo demeura pendant un mois au pouvoir du commodore anglais, et déjà le feu avait fait disparaître la moitié de cette belle cité, quand le conquérant abandonna sa proie pour une rançon de sept mille livres sterlings.

En 1625, de nouveaux ennemis, plus terribles, quoique d'abord on les eût redoutés moins, partirent des côtes d'Angleterre et de France pour venir inquiéter la puissance espagnole dans l'archipel occidental. L'Europe était alors en paix; mais le droit que s'était arrogé l'Espagne, d'arrêter tous les bâtiments que ses flottes rencontraient au-delà du tropique, justi fiait des représailles qui, sans être autorisées par les métropoles de l'Ancien Monde, étaient au moins tolérées et peut-être secrètement encouragées par elle.

Il y avait déjà long-temps que des navigateurs anglais et français fréquentaient les îles du Vent sans qu'ils eussent jamais songé à s'y établir, ou plutôt sans qu'ils en eussent trouvé les moyens; peutêtre aussi n'avaient ils pas jugé digne de leur attention un sol qui ne produisait encore aucune des

denrées que l'ancien monde demandait au nouveau, et que leurs vues courtes ne leur permettaient pas d'espérer d'une culture suivie, et de travaux dont les habitudes oisives du métier de soldat les rendaient incapables. Enfin des Anglais conduits par Warner, des Français aux ordres de Desnambuc, abordèrent en 1625, à St-Christophe, le même jour, et par deux côtés opposés. Des échecs multipliés avaient convaincules uns et lesautres, qu'ils ne s'enrichiraient sûrement des dépouilles del'Espagnol, leurennemi commun, que, lorsqu'ils auraient une demeure fixe, des ports, et un point de ralliement: aussi ce ne fut pas un sol fécond, ou des richesses qu'ils demandèrent à la nouvelle terre dont ils prenaient pos session; ils n'y voulaient trouver qu'une retraite. Nulle idée de commerce, d'agriculture et de conquête, ne leur faisait désirer des domaines plus étendus qu'il n'était nécessaire pour établir quelques rádoubs, et dresser quelques cabanes; ils se partagèrent donc paisiblement les côtes de l'île où le hazard les avaient réunis. Les naturels du pays s'éloignèrent d'eux, sans avoir ténté de les repousser; sans disputer un sol un sol qu'ils estimaient peu, parce que ses productions surpassaient leurs besoins; et ils disaient à ces aventuriers: Il faut que la terre soit -mauvaise chez vous, ou que vous en ayez ayez bien peu, -pour en venir cherchersiloin, à travers tant de périls. La cour de Madrid conçut plus d'alarmes que les Caraïbes, sur un pareil voisinage. Frédéric de

Tolède, qu'elle envoyait en 1630, au Brésil avec une puissante flotte, destinée à combattre les Hollandais, eut ordre d'exterminer en passant ces pirates, que l'Espagne appelait des usurpateurs.

Les Français et les Anglais réunirent inutilement leurs faibles moyens contre l'amiral espagnol ; ils furent battus. Ceux qui ne succombèrent pas dans l'action, furent fait prisonniers; un très petit nombre se réfugia avec précipitation dans les îles voisines. Le danger passé, ils regagnèrent leurs habitations. L'Espagne occupée d'intérêts plus graves, ne les inquiéta plus, se reposant peut-être d'ailleurs de leur destruction sur leur mutuelle jalousie.

Les deux nations vaincues suspendirent leurs rivalités pour le malheur des Caraïbes. Déjà soupçonnés de méditer une trahison à Saint-Christophe, ces malheureux insulaires en avaient été chassés ou exterminés: on s'était approprié leurs femmes, et leurs vivres, comme on avait déjà fait de la terre qu'ils habitaient. L'esprit d'inquiétude qui suit l'usurpation, fit penser aux Européens que les peuples sauvages voisins entraient dans la conspiration, ou qu'ils finiraient par y entrer. On alla au-devant de ce dessein qu'on leur soupçonnait: on les attaqua dans leurs îles. Ces hommes simples, sans opposer d'autre défense, reculaient les limites de leurs habitations à mesure que l'ennemi s'avançait; car ils croyaient qu'on en voulait seulement au sol qu'ils foulaient; mais à mesure qu'ils

cédaient, l'acharnement de l'ennemi était redoublé. Quand ils virent que leur liberté et leur vie étaient la conquête qu'ambitionnaient le plus les Européens, ils prirent enfin les armes, et la vengeance qui, cette fois n'alla pas plus loin que l'injure, fut plus terrible pour avoir été plus attendue.

Dans les premiers temps, les Anglais et les Français faisaient cause commune contre les Caraïbes; mais cette espèce de société fortuite était souvent interrompue. Les sauvages savaient en profiter : quelquefois ils avaient l'adresse de faire la paix avec l'une des deux nations, et souvent ils servirent d'auxiliaire à l'un ou à l'autre des deux peuples. Ces divisions entre leurs ennemis eussent d'ailleurs été une faible ressource pour la sûreté de ces insulaires, si l'Europe, qui ne s'occupait guère d'un petit nombre d'aventuriers qui, sous divers pavillons, n'avaient travaillé que pour eux, n'eût également négligé le soin de les gouverner, et l'attention de les mettre en état de pousser ou de reprendre leurs avantages. L'indifférence des deux métropoles détermina, au mois de janvier 1660, leurs sujets du Nouveau-Monde, à faire eux-mêmes une convention qui assurait à chaque peuple les possessions que les événements variés de la guerre lui avaient données, et qui n'avaient eu jusqu'alors aucune consistance.

Ces dispositions rétablirent pour quelque temps la tranquillité dans cette partie de l'Amérique. La

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