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respectif. Leur autorité était toute militaire. Des espèces de massues, des javelots de bois, durcis au feu vers la pointe, et qu'ils lançaient avec beaucoup d'adresse, étaient les seules armes des guerriers dans les combats. Dans la partie orientale de l'île, on connaissait le maniement des flèches, introduit sans doute à la suite de quelques guerres avec les Caraïbes, insulaires voisins, à qui l'usage de cette arme offensive était familier.

Dans leurs foyers, comme à la guerre, les hommes étaient entièrement nus. Les filles étaient nues comme les hommes; les femmes portaient seules une jupe de coton qui ne descendait pas au-dessous du genou.

Ces peuples donnaient à leur patrie le nom d'Hayti (terre montagneuse), qu'elle a repris depuis qu'elle a secoué le joug de la France; ils l'appelaient aussi Quisquéia (grande terre). A la fin du quinzième siècle, au moment de la découverte, cinq caciques principaux, et indépendants les uns des autres, se partageaient presque en entier la souveraineté de l'île. D'autres chefs régnaient sur des parties moins étendues, mais avec une autorité égale.

Le premier des cinq grands royaumes, celui de Magna ou de la plaine, nommé depuis Véga-Réal, s'étendait au nord-est de l'île dans une longueur de So lieues sur 10 lieues de largeur. D'après le récit de Las Casas, témoin oculaire, ses nombreuses rivières roulaient l'or avec le sable de leur lit. Le cacique

de Magna faisait sa résidence dans le même lieu où les Espagnols ont eu depuis une ville célèbre, à laquelle ils avaient donné le nom de la Conception de la Vega.

Le second royaume, celui de Marien, sous la dépendance de Guacanahari, était dès lors, s'il faut en croire l'évêque de Chiapa, plus fertile que le Portugal. Toute la partie de la côte du nord, depuis le cap Saint-Nicolas jusqu'à la rivière connue aujourd'hui sous le nom de Mont-Christ, et toute ja plaine du Cap français, composaient le domaine de ce chef; et c'était au Cap même qu'il avait établi sa capitale.

Le troisième cacique régnait sur le pays de Maguana, et son royaume était le plus riche de toute l'île. Peu de temps avant l'arrivée des Européens, un caraïbe, nommé Caonabo, aventurier plein de courage et d'adresse, était parvenu à s'établir en souverain, sur cette partie du pays qui renfermait la riche province de Cibao, et presque tout le cours de la rivière de l'Artibonite, la plus grande de l'île. La résidence ordinaire du chef était au bourg de Maguana, qui avait donné son nom au royaume. Les Espagnols en firent une villé qui ne subsiste plus; le quartier où elle était située, est ce que les Français ont appelé depuis la savane de San-Ouan.

Leroyaume de Xaragua était le quatrième ; il s'étendait sur toute la côte occidentale de l'île, et sur une grande partie de la côte méridionale;、

le bourg du Cul-de-sac est aujourd'hui sur le même emplacement qu'occupait la capitale de ce royaume, plus vaste, plus peuplé et surtout plus policé que les autres.

Béhechio en avait été cacique. Ses États étaient passés après sa mort à sa sœur Anacoana, veuve de Caonabo, qui n'avait point hérité des possessions de son époux; car, par des principes sages de légitimité, la couronne se transmettait, non au fils du roi, mais à celui de sa sœur, ou au plus proche descendant par la ligne utérine, ou enfin à cette sœur elle-même, si elle était susceptible d'avoir des enfants.

Le cinquième royaume, celui d'Hyguey, occupait toute la partie orientale de l'île ; il était borné au nord par la rivière d'Yague, et au sud par le fleuve Ozama. Obligés de se défendre souvent contre les attaques des Caraïbes anthropophages, leurs voisins, les peuples de ce canton étaient plus braves et plus aguerris que les autres insulaires.

Les indigènes d'Hayti avaient une idée grossière de l'immortalité de l'ame et des récompenses de l'autre vie pour les bons; mais il n'était point question de peines pour les méchants. Leur paradis était tout terrestre; ils devaient s'y retrouver, après la vie, avec leurs parents, leurs amis, et des femmes en abondance.

Ces sauvages avaient surtout une grande vénérapour une caverne d'où, selon leur croyance,

tion

étaient sortis le soleil et la lune, et qui contenait deux idoles auxquelles les prêtres avaient soin de faire consacrer les plus riches offrandes *.

Ils représentaient leurs divinités sous les formes les plus bizarrement hideuses: c'étaient des crapauds, des tortues, des couleuvres et des caïmans; ou des figures humaines, horribles et monstrueuses, ridicule assemblage d'une multitude de têtes et de membres incohérents, bien plus propre à semer l'épouvante et le dégoût, qu'à nourrir la confiance, base de tout sentiment religieux. Ils pensaient naturellement que de pareils dieux étaient plus disposés à nuire qu'à protéger, et ils avaient coutume d'accompagner leurs sacrifices d'ardentes prières, pour conjurer la fureur de leurs idoles, préposées chacune à une attribution particulière et exclusive, comme de présider aux saisons, à la santé, à la

* On conjecture que cette caverne est celle qu'on voit dans le quartier du Dondon, à 6 ou 7 lieues du Cap français. Elle a 150 pieds de profondeur, et environ autant de hauteur; mais elle est fort étroite, elle ne reçoit de jour que par son entrée, et par une ouverture ménagée dans la voûte, en forme de clocher. On ajoute que c'est par là que le soleil et la lune se sont fait un passage pour aller briller dans le ciel.

Du reste, cette voûte est belle et régulière; l'on a peine à se persuader qu'elle soit l'ouvrage de la nature seule. On n'y voit aujourd'hui aucune statue; mais on y aperçoit encore des zémès (figures des dieux) gravés dans le roc; et toute la caverne est partagée en plusieurs niches hautes et basses, assez profondes, et qui semblent avoir été ménagées à dessein.

chasse ou à la pêche; aussi chacune d'elles recevait des offrandes et des supplications analogues à la, nature du pouvoir qu'on lui supposait.

Les premiers auteurs de l'histoire de la découverte d'Hayti, ne nous ont conservé qu'une seule tradition relative au culte solennel des anciennes divinités de l'île : c'était une fête générale dont le cacique marquait le jour, et dont le moment et l'ordre étaient annoncés par des crieurs publics.

La cérémonie commençait par une nombreuse procession, où les hommes et les femmes paraissaient couverts de leurs plus précieux ornements; et, après ceux-ci, les filles toutes nues, selon la coutume du pays. Le cacique, ou le plus considérable du lieu se montrait à la tête de la troupe, battant continuellement du tambour, et dirigeant la marche vers le temple.

Là, les prêtres ou butios présentaient à leurs dieux les offrandes de la procession, en poussant des cris et des hurlements affreux. Les femmes formaient des danses accompagnées de chants, à la louange de Zémès et des aïeux du cacique présent, et ces chants finissaient toujours par des prières pour le salut et la prospérité de la nation.

Les prêtres rompaient ensuite les gâteaux consacrés par la cérémonie de l'offrande, et les distribuaient aux chefs de famille. Ces fragments, conservés avec grand soin toute l'année, étaient regardés, par une superstition commune à des

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