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fut pour la garnison de Saint-Marc, au nombre de 6,000 hommes, l'occasion ou le prétexte d'une révolte. Le général qui commandait cette garnison, et le colonel envoyé pour remplacer celui qu'on dégradait, furent mis à mort dans la chaleur de la première émeute, et l'on envoya leurs têtes au président Boyer, en lui demandant assistance et protection.

Le 6 octobre, à la nouvelle de l'insurrection, Christophe envoya l'ordre aux 12,000 hommes qui se trouvaient au Cap, de marcher sur SaintMarc; mais déjà ces soldats, et leurs chefs en tête, venaient de se déclarer contre lui. Il ne restait plus au monarque abandonné que la garde, demeurée autour de sa personne; il prit le parti de l'envoyer contre les rebelles du Cap, après l'avoir fait passer en revue devant sa litière et avoir gratifié chaque soldat de quatre dollars. Cette troupe partit de Sans-Souci, pleine du plus vif enthousiasme, excitée surtout par l'espoir du pillage de la ville du Cap, qu'on lui avait promis. Mais à mi-chemin, elle rencontra les révoltés qui marchaient sur Sans-Souci, aux cris de vive la liberté! Soit que ce cri parlât fortement à leur âme, soit que l'inutilité de la résistance leur devînt manifeste, les soldats royaux se mêlèrent à la garde du Cap, et faisant volte-face, ils marchèrent avec elle contre la demeure du roi, pour qui ils étaient venus

combattre. Le bruit de leur défection les avait précédés à Sans-Souci. Dès qu'il fut venu aux oreilles de Christophe, ce chef se retira dans sa chambre, et feignit d'avoir besoin de repos. Ensuite il fit appeler sa femme et ses enfants, qui se rangèrent autour du lit sur lequel il était assis. Il donna quelques caresses à ses filles, demanda du linge, jeta sur son fils un regard douloureux; et, sans rien plus leur dire, il leur fit signe de se retirer. Alors on lui apporta de l'eau; il se lava les mains et les bras, comme s'il voulait se purifier, changea de vêtements, se couvrit la tête d'un mouchoir, et renvoya les domestiques qui l'entouraient. Ceux-ci n'avaient pas encore fermé la porte, que le bruit d'un coup de pistolet les fit rentrer. Christophe n'était plus. La balle lui avait traversé le cœur, et il était couché à la renverse sur son lit. Son corps fut enlevé par des soldats à qui la reine le confia pour le porter dans un lieu qu'elle avait désigné : mais le roi d'Hayti fut trouvé quelques jours après à demi dévoré par les bêtes, au bord d'un bois où on l'avait jeté sans sépulture. Après sa mort, le général Paul Romain, prince du Limbé, se mit à la tête des affaires, et proclama la république, tandis que, d'un autre côté, un parti se déclarait pour le fils de Christophe. Ce fut le 15 octobre que le nord et le nord-ouest de Saint-Domingue se constituèrent en une république dont Paul Romain fut nommé président. Les chefs de ce gouver

nement nouveau firent transmettre à Boyer l'acte. constitutif de leur organisation. Mais celui-ci le renvoya sans le lire, et refusa toute assistance tant que l'État du Nord se tiendrait séparé de la république du Sud. Cet état de division ne dura pas long-temps. Enfin, le 21 octobre, Boyer prit possession des Gonaïves, sans éprouver de résistance; le 22 il marcha sur le Cap, où, dès la veille, les principaux habitants s'étaient réunis pour concerter les préparatifs de sa réception. Le 22, il entra dans cette ville à la tête de vingt mille hommes, et fut proclamé président le 26. La proclamation suivante, signée du général Paul Romain et de ses principaux adhérents, avait été rendue publique, dès le 21 du même mois.

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RÉPUBLIQUE D'HAYTI.

LIBERTÉ, ÉGALITÉ, INDÉPENDANCE.
Adresse au Peuple d'Hayti.

Citoyens, soldats, les soussignés magistrats et généraux, vous annoncent avec la joie la plus vive, qu'il n'existe aujourd'hui à Hayti qu'un seul gouvernement et une seule constitution.

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Citoyens, soldats, la paix est faite, et il n'y a plus de guerre parmi nous. Tous les Haytiens sont frères et réunis. Le président Boyer et son armée entreront incessamment dans cette ville, pour recevoir et donner le salut de paix et de fraternité. Préparez-vous à les recevoir avec l'enthou→.

siasme qui caractérise les véritables Haytiens. Allons, répétons mille fois ces cris, gages du bonheur et du salut de la patrie : Vive la république d'Hayti! vive l'indépendance! vive la liberté et l'égalité! vive le président Boyer!

» Fait à la Maison-de-Ville du Cap, le 21 octobre 1821, dix-septième année de l'indépendance d'Hayti. »

Christophe était âgé de cinquante-trois ans, quand il cessa de vivre et de régner. C'était un homme de mœurs pures, et d'un abord froid, qui faisait soupçonner en lui plus de profondeur dans les conceptions qu'il n'en avait réellement. Les écrivains anglais et français ne se sont guère accordés sur son caractère. Les premiers, dont il favorisait la nation et le commerce, l'ont représenté nonseulement comme un homme du plus haut génie, mais encore comme un roi s'occupant surtout d'exercer la justice et de la rendre à chacun suivant ses œuvres : les autres ont voulu faire voir en lui un tyran sanguinaire, et n'ont cherché que dans l'excès de ses cruautés la cause de sa ruine. Avec un esprit peu susceptible de méditations continues, Christophe possédait une volonté opiniâtre et puissante. Il fallut d'abord qu'on sollicitât pour lui le titre de général sous ToussaintLouverture; mais une fois placé dans un rang où

il n'avait plus qu'un chef contre mille inférieurs, il se laissa aller à toute l'énergie de son caractère. Parvenu au commandement suprême et au trône, il se trouvait placé entre l'exercice d'une autorité absolue qu'il fallait maintenir, et la nécessité de civiliser le peuple qui lui était soumis, pour le mettre au rang des nations. La position était fausse. Pressé d'augmenter, par le commerce, la force matérielle de son empire, et d'en développer la force morale par l'éducation; en même temps qu'il imposait aux noirs émancipés du joug européen un travail digne des jours d'esclavage, et qu'il remplaçait par le bâton des chefs inspecteurs de district le fouet des commandeurs, le nouveau roi appelait de tous côtés les lumières sur son peuple longtemps abruti. La conséquence était inévitable; l'instruction porta ses fruits contre le despotisme; Christophe succomba, et l'ancienne partie française d'Hayti ne forma plus qu'un seul état sous le nom et sous la forme d'une république.

La révolution qui venait de réunir le royaume du Nord à la république du Sud, ne fut pas sans influence sur les destinées de la puissance espagnole dans la partie orientale d'Hayti : déjà les événemens qui se passaient dans la métropole européenne, agitaient ce débris de colonie en sens divers. L'insurrection des Amériques espagnoles et les succès du parti indépendant, plus peut-être que le voisinage immédiat d'une république heu

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