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En 1519, dans la vingt-septième année de la découverte, une poignée de ces malheureux insulaires, triste reste de plus d'un million d'individus, qui peuplaient l'île à l'arrivée des Européens, ayant enfin trouvé un chef digne de les commander prirent les armes, et, pendant treize ans, résistèrent à toutes les forces, et à tous les efforts de leurs tyrans, jusque-là que la fierté castillane fut enfin obligée de traiter avec ces révoltés, et de leur donner, dans l'île Espagnole même, une souveraineté indépendante.

Dans la ville de Saint-Jean de la Maguana, un jeune espagnol, nommé Valençuela, avait hérité par la mort de son père, d'un département d'Indiens, ayant à leur tête un cacique chrétien, élevé dans la maison des religieux de Saint-François, et qui portait le nom de Henri. Tant qu'il avait été aux ordres du père de Valençuela, le jeune Indien, doucement traité par son maître, avait supporté son sort avec patience. Mais le nouveau possesseur était un tyran; le cacique Henri porta ses plaintes devant toutes les autorités, sans obtenir justice d'aucune. Il n'avait que lui pour appuyer son droit ; il prit les armes, fit un appel à quelques mécontents; se retira avec eux dans les montagnes de Baoruco, et là, plein de la confiance du désespoir, il attendit les Espagnols.

Valençuela se présenta bientôt : douze soldats l'accompagnaient dans cette expédition dont l'issue ne lui semblait pas douteuse. Deux de ces soldats s'avançèrent vers Henri pour le saisir; le cacique

révolté représenta avec calme à l'Espagnol que son autorité avait cessé; et il lui conseilla de se retirer. La fureur de l'Européen en fut portée à son comble; il renouvela les ordres qu'il avait donnés : mais les deux premiers soldats qui obéirent tombèrent morts aux pieds d'Henri; trois autres furent blessés; le reste prit la fuite sans qu'on les poursuivît.

Le cacique se tenait toujours sur la défensive. En vain on envoya contre lui des forces plus considérables; il les battit à chaque rencontre; et, en peu de il se vit à la tête d'une troupe nomtemps, breuse d'Indiens, parfaitement accoutumés à tous les détails de la tactique européenne, et qu'il armait de la dépouille des vaincus.

Treize années s'écoulèrent pendant lesquelles toutes les tentatives des Espagnols pour soumettre Henri n'aboutirent qu'à une suite non interrompue de défaites, dont chacune grossissait sa troupe en affaiblissant les forces de ses ennemis. Enfin, en 1533, le conseil de Madrid, lassé d'une guerre honteuse pour l'honneur de la couronne, aussi bien que dispendieuse pour l'État, envoya à l'île Espagnole, Barrio Nuevo, avec le titre de général, pour suivre vivement cette affaire s'il ne pouvait, comme commissaire impérial, la terminer par un traité avantageux.

Arrivé au centre des montagnes qu'habitait le cacique, et se fiant à sa générosité, le commissaire impérial lui fit demander un entretien. Dès que

celui-ci aperçut Barrio Nuevo, le prenant par la main, il le conduisit sous un grand arbre, où ils s'assirent tous deux sur des couvertures de coton; en même temps cinq ou six capitaines indiens vinrent embrasser le général espagnol, armés, comme il le raconte lui-même, de casques, d'épées et de boucliers, et entourés de grosses cordes teintes en rouge, qui leur servaient de cuirasses.

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Alors Barrio Nuevo, adressant la parole au cacique, lui dit « L'empereur, mon très redouté : seigneur et le vôtre, le plus puissant des souve«rains du monde, mais le meilleur des maîtres, « m'envoie pour vous exhorter à mettre bas les «armes; il vous offre le pardon du passé, à vous, « et à tous ceux qui vous ont suivi; mais ila donné ordre de vous poursuivre à toute outrance si u vous persistez dans votre rébellion : j'amène des forces suffisantes pour que cet ordre soit exécuté». Alors l'envoyé remit au cacique une lettre de son souverain.

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L'Indien avait attentivement écouté son discours; il lut avec une joie respectueuse, la lettre de Charles V, dans laquelle l'empereur l'appelait Don Henri; il la baisa et la mit sur sa tête. Ayant ensuite parcouru le sauf-conduit de l'audience royale, scellé du sceau de la chancellerie ;

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A présent que le très auguste empereur me donne sa parole, dit-il à Barrio Nuevo, je ressens, « comme je le dois, l'honneur que me fait sa ma

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jesté, et j'accepte, avec une très humble reconnais«sance, la grâce qu'elle veut bien m'accorder». Alors il s'approcha des siens, leur montrant la lettre de l'empereur, et disant qu'il n'y avait plus moyen de refuser l'obéissance à un aussi puissant monarque, qui leur témoignait tant de bonté. Ils répondirent tous par leurs acclamations ordinaires, c'est-à-dire, rapporte l'historien que nous suivons, par de grandes aspirations qu'ils tirèrent avec effort deleur poitrine, en appellantleurchef Dom Henri, notte seigneur. Alors on s'assit en cercle, les provisions des Espagnols furent mêlées au gibier et au poisson des insulaires, et l'on but successivement avec de grands cris, et les démonstrations du plus profond respect, à la santé de l'empereur et à celle du cacique.

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Le protecteur des Indiens, Las-Casas, vint bientôt lui-même trouver Dom Henri, et les premières paroles qu'il entendit de sa bouche furent celles-ci : << Pendant toute la guerre, je n'ai pas manqué un jour à dire mes prières ordinaires; j'ai exactement jeûné tous les vendredis; j'ai veillé avec beaude soin sur la conduite et les mœurs de «mes sujets; j'ai pris surtout de bonnes mesures « pour empêcher tout commerce suspect entre les « personnes de différents sexes: évêque, bénis<<< moi». Ce fut surtout par la présence du noble prélat que les dernières défiances du cacique furent calmées; il se rendit enfin à San-Domingo, où la

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paix fut signée. On lui laissa choisir un lieu où il s'établirait avec tous ceux de sa nation, dont il fut déclaré prince héréditaire, avec exemption de tout tribut, et sous l'obligation seulement de rendre hommage à l'empereur et à ses successeurs, toutes les fois qu'il en serait requis.

Il se retira peu de temps après dans un endroit nommé Boya, à treize ou quatorze lieues de la capitale, vers le nord-est. Tous les Indiens qui purent prouver leur descendance des premiers habitants de l'île, eurent permission de le suivre. Leur postérité subsistait encore, mais peu nombreuse en 1750, au même lieu, et jouissaît des mêmes priviléges. Leur prince, qui s'intitulait cacique de l'île d'Hayti, jugeait et condamnait à mort; mais il y avait un appel à l'audience royale. Ils étaient quatre mille, lorsqu'ils vinrent s'établir à Boya, sous les auspices de Dom Henri.

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