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1814. avait achevé la ruine de cette troupe d'élite, permettrait à une escadre française de lui prescrire les heures et les conditions du travail, et de réinstaler les planteurs avec leurs fouets et leurs bâtons dans les habitations qui, comme les biens nationaux de France, avaient trouvé de nouveaux maîtres aussi résolus à les garder et à les défendre, que ceux dont la charte venait de garantir la propriété. La lettre suivante fera, mieux que tous nos récits, juger de l'état moral du royaume d'Hayti et de la population du Nord dans ces circonstances. Des communications sans caractère officiel avaient été faites au roi Christophe par un Français résidant à Londres, qui reçut au mois de juillet 1814 la dépêche suivante du comte de la Limonade, ministre des affaires étrangères du royaume d'Hayti.

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MONSIEUR,

« Vos lettres du 21 mars et du 5 avril derniers, et leurs duplicata, m'ont été apportés par le brick anglais Le Vigilant, capitaine Flanagan, qui est entré au port du Cap Henry, le 19 mai, par Le Bedfort, capitaine Stuckfield, et Le Smolensk, capitaine Jowsey, qui y sont entrés hier, m'apportant vos gazettes et d'autres papiers.

« J'ai remis ces lettres au Roi, qui en a entendu la lecture avec toute l'attention qu'elles méritent.

« Les détails que vous nous donnez sur les grands événements Survenus en Europe, et particulièrement en France, ont été fort agréables au Roi. Sa Majesté, qui a suivi avec beaucoup de soin le fil des événements qui se sont succédés depuis la retraite de Moscou et les mouvements de l'Allemagne, avait conclu que Napoléon, sans les secours de tout le peuple français, par une

levée en masse, ne pourrait jamais tenir tête à ses nombreux ennemis, d'autant plus formidables qu'ils sont instruits par l'expérience, qu'ils ont de longs différends à terminer, et que leur existence et l'honneur de leurs trônes sont en jeu.

«... Ce qu'avait prévu Sa Majesté s'est en partie vérifié par le renversement de l'implacable ennemi du monde ; mais le repos de l'univers ne sera jamais assuré tant que Napoléon vivra.

« Sa Majesté voit de nouyelles assurances de sécurité pour son royaume; dans les principes de philantropie que les gouvernements de l'Europe semblent désireux d'adopter, toutefois, depuis l'expulsion des satellites de Napoléon du sol d'Hayti, elle n'a cessé de se préparer à la guerre et à la résistance la plus opiniâtre dans le cas d'une invasion.

« Les moyens de défense ont encore été augmentés par l'organisation complète de ses troupes, l'approvisionnement de ses forteresses, et d'autres moyens qui ont été récemment adoptés, depuis les premières ouvertures pour la paix entre Napoléon et l'Angleterre, par la médiation de l'Autriche, que nous avons connues ici par les journaux ; et surtout en conséquence des divers documents et des avis précieux que vous nous avez donnés, et qui ont mis Sa Majesté en état de prendre toutes les mesures convenables.

Mais, si d'un côté, la politique de Sa Majesté l'a conduite à prendre les mesures de prudence nécessaires à sa sûreté, de l'autre, elle n'a pas cessé de faire fleurir l'agriculture, comme vous pouvez vous en convaincre par l'immense quantité de denrées qui sortent des ports de cette île.

« Vous devez avoir remarqué, par les divers actes du gouvernement de Sa Majesté, depuis son avènement au trône, qu'elle n'a jamais confondu le peuple français avec les gouvernements qui l'ont opprimé; elle a constamment offert aux paisibles commerçants, sécurité protection et facilité le pour commerce, en même temps qu'elle était déterminée à repousser tous les ennemis qui voudroient nous remettre en esclavage.

« Vous pouvez déclarer, monsieur, et vous êtes maintenant autorisé à le faire, que S. M. recevra avec plaisir les vaisseaux français marchands qui seront légalement expédiés pour les ports d'Hayti; ils seront traités et protégés comme les sujets des autres puissances amies qui commercent en paix avec nous, pourvu qu'ils se conforment ponctuellement aux lois du royaume. Vous pouvez donner cette assurance aux négociants français, et même rendre cette déclaration publique par la voie des journaux.

« Un nouvel ordre de choses commence : Sa Majesté embrasse l'espoir consolateur de trouver en France un gouvernement juste et philantropique qui, convaincu que la force est impuissante pour nous réduire en esclavage, n'oubliera pas que nous n'avons cessé de combattre son plus implacable ennemi, depuis le commencement de son règne jusqu'à sa chute, et que nous n'avons jamais voulu prêter l'oreille à aucune des propositions que ses agents de toutes les contrées ont pu nous faire.

<< Sa Majesté se flatte qu'elle trouvera des sentiments humains dans un souverain instruit par le malheur.

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Mais, incertains comme nous le sommes de la conduite que le nouveau roi de France est disposé à tenir envers nous nous ne pouvons hasarder aucune démarche, aucun pas, comme vous nous y invitez, jusqu'à ce que nous soyons positivement informés de ses intentions.

« C'est à vous, monsieur, qui, avec un attachement et une fidélite sans bornes, avez constamment défendu les intérêts du trop infortuné monarque que vous servez, qui êtes attaché par tant de liens à la cause du roi Henry, et qui connaissez les desseins de l'Angleterre, à préparer la voie par laquelle les deux puissances peuvent venir à s'entendre sur leurs intérêts mutuels et sur ceux de leurs sujets respectifs. Après cela, vous ne devez pas douter que Sa Majesté n'écoute favorablement toutes les propositions justes et raisonnables qui pourront lui être faites, et qu'elle ne se hâte de choisir un représentant accrédité pour discuter ses intérêts et ceux de son royaume. »

Les sentiments et les intentions des habitants de la partie du Sud de l'île étaient les mêmes que dans le Nord. Le gouvernement avait officiellement décidé qu'à la première apparence d'invasion on mettrait le feu à toutes les villes, et qu'on détruirait tout ce qui ne pourrait être emporté dans les montagnes. Les arsenaux étaient pleins de mèches prêtes à être allumées; ces mesures de politique, discutées au conseil, avaient été arrêtées en vertu de l'article 5 de la constitution du 20 mai 1805, qui portait textuellement ces mots : Au premier coup de canon d'alarme, les villes disparaîtront et la nation se levera; et sous le souvenir encore récent du grand incendie de Moscou, dont la destruction avait sauvé la Russie du pouvoir de la France, et l'Europe entière du despotisme prétorien, le pire de tous.

La lettre suivante, datée du Port-au-Prince, n'est pas moins intéressante que celle que nous venons de transcrire; elle fut adressée, le 1er août 1814, à un négociant anglais par l'un de ses compatriotes établi dans cette ville.

La présente est pour vous donner quelque idée de notre situation et de mes craintes, depuis la dernière révolution opérée sur le continent. Je ne puis porter mes regards, sans frémir, sur les scènes de sang et de massacre qui se préparent dans cette île, dans le cas où les Français viendraient l'attaquer. Le peuple, si l'on en juge par ce qu'il sent maintenant, n'écouterait patiemment aucune proposition qui contrarierait les principes de l'indépendance. J'ai été très lié avec le prési

dent Pétion pendant plusieurs années, et je puis vous assurer n'avoir jamais connu d'homme plus aimable, plus vertueux. Il est l'idole du peuple, et la confiance qu'on a en lui est sans bornes.

« Mais il perdrait bientôt tout son pouvoir, si on pouvait lui supposer le projet de rendre cette colonie à la France. Les informations que nous avons reçues nous font présager une attaque pour le mois de décembre. Le gouvernement a fait publier officiellement que, sitôt que l'ennemi paraîtrait, on eût à

mettre le feu aux villes et à détruire tout ce qui pourrait être de quelque secours aux ennemis. Mais en même temps il nous a donné la promesse consolatrice de nous rembourser de toutes nos pertes et de toutes nos dettes, si l'ennemi était chassé de l'ile et les finances tenues en bon ordre.

« C'est, en vérité, un spectacle qui fait frémir l'humanité, de voir tous les préparatifs faits pour la destruction des villes et de toutes les choses que l'on ne peut emporter dans les montagnes. Les arsenaux sont remplis de torches que l'on doit allumer au premier signal; et si à la Maison-Commune on s'informe des moyens de défense: regardez à Moscou, répond-on; si Moscou n'eût pas été détruit, Napoléon serait encore le tyran de l'Europe.

pas

< J'avoue que ce raisonnement me paroît solide; pour moi, j'espère m'enfuir avec ma fortune assez loin n'être pour le témoin des scènes tragiques qui se préparent. Les deux partis, de Pétion et de Christophe, peuvent mettre sur pied au-delà de soixante mille hommes, dans le cas d'une invasion de la part de la France, et les soldats sont endurcis au danger et à la fatigue. Je puis vous assurer que j'ai vu au siége de cette ville des actes de bravoure dans des régiments entiers qui feraient honneur aux meilleures troupes de l'Europe. Tous les forts et forteresses dans les montagnes sont remplis de munitions et de provisions rassemblées dans la contrée. Tel est maintenant l'état d'Hayti, et tels sont les préparatifs faits pour la destruction des hommes, et tout cela sous l'administration du plus éclairé et du plus vertueux de tous. Mon ame est abîmée de douleur

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