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d'hommes; si la cupidité espagnole eût pu accepter ce conseil donné au nom de la divinité. L'or, dit un historien, était alors leur seul dieu *

Dans cette même année 1511, le conseil du roi, frappé des plaintes qui ne cessaient d'arriver de la colonie et n'ayant pu résister à l'éloquence d'un dominicain, envoyé à la cour par ses frères établis dans l'ile Espagnole, résolut de faire cesser le désordre dont enfin on avait osé l'instruire, et rendit un décret qui proclama la liberté des Indiens; c'est-àdire que, comme les bêtes de charge s'étaient extrê

* Ce même écrivain rapporte le fait suivant, qui semble rentrer dans notre sujet. Les caciques de Cuba s'étaient assemblés pour aviser aux moyens d'empêcher les Espagnols de venir surprendre l'île, qu'ils semblaient menacer. « Toutes précautions « sont inutiles, s'écria hautement Hatuey, l'un d'entre eux, si, << avant toutes choses, vous ne tâchez de vous rendre propice << le dieu des Espagnols. Je le connais, ce dieu, le plus puissant << de tous je sais le moyen de le gagner, et je vais vous l'ap« prendre. » Aussitôt il se fait apporter un panier, où il y avait de l'or; et, le montrant aux caciques : « Le voilà, dit-il, « célébrons une fête en son honneur, il nous regardera d'un air favorable » ; et, tous à l'instant se mirent à fumer autour du panier, à chanter, à danser, jusqu'à tomber d'ivresse et de fatigue.

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Le lendemain matin Hatuey rassembla les caciques, et leur dit : « J'ai beaucoup réfléchi sur l'affaire dont je vous ai parlé ; « mon esprit n'est pas encore tranquille; et je ne pense pas que « nous soyons en sûreté tant que le dieu des Espagnols sera parmi nous. Partout où ils le trouvent, ils s'y établissent pour « le posséder ; il est inutile de le cacher, ils ont un secret mer

mement multipliées dans l'île, il fut expressément défendu de faire porter aux insulaires aucun fardeau, ou de se servir contre eux du bâton, ou du fouet il fut aussi nommé des visiteurs sans le consentement desquels il n'était permis d'en mettre aucun en prison. Enfin, on régla, qu'outre les dimanches et fêtes, ils auraient dans la semaine un jour de relâche, et que les femmes enceintes ne seraient assujetties à aucune sorte de travail.

Les dispositions de cet édit n'ayant point été exécutées par les obstacles sans nombre qu'y apportèrent

<< veilleux pour le découvrir; si vous l'aviez avalé, ils vous « éventreraient pour l'avoir. Je ne sache que le fond de la mer << où ils n'iront pas assurément le chercher ; c'est là qu'il faut le << mettre. Quand il ne sera plus parmi nous, ils nous laisseront « en repos ; car c'est uniquement ce qui les attire hors de chez

« eux. »

or,

Le conseil parut admirable; les caciques rassemblerent tout leur le jetèrent à la mer assez loin du rivage, et s'en revintent fort contents; persuadés, qu'avec ce précieux métal, ils avaient noyé toutes leurs inquiétudes.

L'île de Cuba fut pourtant surprise par une troupe d'Espagnols; et Hatuey brûlé vif, pour n'avoir pas voulu se convertir à la foi catholique. Il était attaché au poteau funeste, lorsqu'un religieux le conjura de nouveau d'embrasser cette foi, et de se procurer le bonheur du Paradis. « Y a-t-il des Espagnols dans le « lieu de délices dont tu me parles, dit brusquement le cacique? - « Il y en a, repartit le missionnaire; mais il n'y en a que « de bons. - Le meilleur n'en vaut rien, reprit l'Indien, et je ne veux point aller où je puisse craindre d'en rencontrer « un seul. » Il périt au milieu des flammes.

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les chefs, et les propriétaires opulents de la colonie, le conseil, cinq ans après, fatigué des plaintes nouvelles qui s'élevaient, fit pour cet objet particulier un réglement très sage, qui fut remis à des commissaires envoyés pour le faire exécuter. Il leur recommandait:

1° Qu'ils fissent en sorte d'engager les insulaires à travailler librement aux mines;

2° Que l'heure d'aller au travail et d'en sortir fût fixée;

3° Que personne n'y fût employé avant l'âge de vingt ans, ni après celui de cinquante;

4° Qu'il n'y eut jamais plus du tiers d'un village dans les mines; et que les mêmes hommes n'y restassent pas au-delà de deux mois de suite;

5° Que les femmes n'y fussent point admises, à moins qu'elles ne s'y offrissent elles-mêmes, et avec l'agrément de leurs maris;

6° Que les mineurs gardassent ce qu'ils auraient tiré du minérai jusqu'au temps de la fonte; qu'alors, tout ce qui s'en trouverait dans la bourgade fût porté par les mineurs accompagnés du visiteur et du Cacique, au lieu où se ferait la fonte ;

7° Que ce qui en proviendrait, fût divisé en trois parts égales; dont la première appartiendrait au roi, et les deux autres seraient distribuées entre le cacique, le mineur et la bourgade, après néanmoins qu'on en aurait tiré de quoi payer les frais de la fonte, les outils, et toutes les dépenses communes;

8° Que dans toute l'île il y eût douze mineurs castillans, dont l'emploi serait de découvrir les mines, et de les montrer aux Indiens, à qui seuls il serait permis d'y travailler; et que les appointements de ces mineurs-généraux fussent payés moitié par le trésor, et moitié par les Indiens.

9° Que ceux des Espagnols, qui avaient ou qui auraient, dans la suite, des esclaves caraïbes, pourraient les faire travailler aux mines pour leur compte, à condition de payer au roi le dixième, si ces esclaves étaient mariés, et le septième s'ils ne l'étaient pas ; et, pour leur donner moyen d'avoir des esclaves, le roi s'engageait à fournir des caravelles toutes équipées, avec défense, sous peine de la vie ; de courir sur d'autres que sur des cannibales. Ce nouveau réglement eût put adoucir la situation du petit nombre d'indigènes qui restait encore, mais il ne fut point exécuté. Laɛ-Casas, qui avait été nommé visiteur-général de la colonie et protecteur des Indiens, éleva fortement la voix et fit valoir les droits attachés à ces deux charges: mais son courage mit sa vie en péril sans apporter aucun soulagement aux maux qu'il dénonçait.

Bientôt l'intrépide missionnaire repassa en Europe, et, devant une junte, présidée par Charles V, nouveau roi d'Espagne, et depuis empereur d'Al`lemagne, il s'expliqua sans ménagement sur les désordres honteux et la conduite cruelle des tyrans de l'île Espagnole.

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fait

s'écria

«Eh! dans quel pays du monde, Sire, s' «<t-il, les apôtres et les hommes apostoliques ont«<ils jamais cru avoir droit sur la vie, sur les biens « et sur la liberté des infidèles ? Quelle étrange «< manière de prêcher l'Évangile, cette loi de grâce « et de sainteté, qui, d'esclaves du démon, nous à la liberté des vrais enfants de Dieu, passer « que de réduire en captivité ceux qui sont nés « libres, que de déchirer à coups de fouet des in<<nocents dont tout le crime, par rapport à nous, « est de ne pouvoir supporter les travaux dont nous « les accablons, d'inonder leur pays d'un déluge de << sang; de leur enlever jusqu'au nécessaire, et de « les scandaliser par les plus honteux excès! Voilà, sire, ce qu'on cache à Votre Majesté ; voilà ce que j'ai vu, et sur quoi je ne crains pas d'être dé«menti. Jugez à présent la cause des Indiens, selon votre sagesse, votre équité, votre religion; et je m'assure qu'ils souscriront sans peine à votre << arrêt. >>

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Charles Quint écouta avec émotion la véhémente harangue du prélat: mais les soins plus pressants de son ambition l'empêchèrent de faire droit à ses réclamations; sa flotte mettait à la voile à la Corogne, et la couronne impériale l'attendait à Vienne. Ce qui restait de la race indienne fut donc encore livré pour un temps à la barbare cupidité de ses maîtres.

Mais tant de cruautés faillirent trouver un terme tout autre que leurs auteurs ne l'avaient attendu.

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